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chymiste de cette académie. Toujours le jardin royal, toujours l'académie, autant qu'il était possible.

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Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans son testament, c'est d'avoir fait madame sa mère sa légataire universelle. Jamais sa tendresse pour elle ne s'était démentie. Ils n'avaient point discuté juridiquement leurs droits réciproques, ni fait de partages; ce qui convenait à l'un lui appartenait, et l'autre en était sincèrement persuadé. Quoique ce fils si occupé eût besoin de divertissement, quoiqu'il les aimât, quoique le monde où il était fort répandu lui en offrît de toutes les espèces, il ne manquait presque jamais de finir ses journées par aller tenir compagnie à sa mère avec le petit nombre de personnes qu'elle s'était choisies. Il est vrai, car il ne faut rien outrer, que les gens naturellement doux et gais, comme il était, n'ont pas besoin de plaisirs si vifs. Mais ne court-on pas souvent à ces plaisirs-là sans en avoir besoin, et par la seule raison que d'autres y courent? La raison du devoir et de l'amitié, plus puissante sur lui, le retenait. Il était extrêmement connu " et personne ne l'a connu qui ne l'ait regretté. Je n'ai point vu d'éloge funèbre fait par le public, plus net, plus exempt de restrictions et de modifications

le sien..

que

Aussi les qualités qui plaisaient en lui, étaient précisément celles qui plaisent le plus généralement : des mœurs douces, une gaieté fort égale, une grande envie de servir et d'obliger; et tout cela n'était mêlé de rien qui déplût, d'aucun air de vanité, d'aucun étalage de savoir, d'aucune malignité ni déclarée ni enveloppée. On ne pouvait pas regarder son extrême activité comme l'inquiétude d'un homme qui ne cherchait qu'à se fuir lui-même par les mouvemens qu'il se donnait au dehors: on en voyait trop les principes honorables pour lui, et les effets souvent avantageux aux autres.

L'académie a été plus touchée de sa mort que le reste du public. Quoique occupée des sciences les plus élevées au-dessus de la portée ordinaire des hommes, elle ne laisse pas d'avoir des besoins et des intérêts, pour ainsi dire, temporels, qui l'obligent à négocier avec des hommes; et si elle n'y employait que des agens qui ne sussent que la langue qu'elle parle, elle ne serait pas si bien servie par eux, que par d'autres qui parleraient et sa langue et celle du monde. Du Fay était une espèce d'amphibie propre à vivre dans l'un et l'autre élément, et à les faire communiquer ensemble. Jamais il n'a manqué l'occasion de parler ou d'agir pour l'académie; et comme il était partout, elle était sûre d'avoir partout un agent habile et zélé, sans même qu'il eût été chargé de rien. Mais ce qu'elle sent le plus, c'est

d'avoir perdu un sujet déjà distingué par ses talens, destiné naturellement à aller fort loin, et arrêté au milieu de sa course.

ELOGE

DE PERRAULT.

CLAUDE PERRAULT, de l'académie royale des sciences, et médecin de la faculté de Paris, est mort le neuvième octobre de la présente année, âgé de soixante et quinze ans. C'était un homme né pour les sciences, et particulièrement pour les beaux arts, qu'il possédait presque tous sans les avoir jamais appris d'aucun maitre. Il savait parfaitement l'architecture; et Colbert ayant pris des dessins pour la façade du devant du Louvre de tous les plus fameux architectes de France et d'Italie, le dessin que Perrault donna fut préféré à tous les autres, et il a été entièrement exécuté tel qu'on le voit aujourd'hui sur les profils et sur les mesures qu'il en a donnés. C'est aussi sur ses dessins qu'a été bâti l'observatoire de Paris, avec toutes les commodités qui s'y trouvent pour observer; et cet édifice est d'autant plus à estimer, qu'il est d'une espèce toute singulière, qui a demandé beaucoup de génie et d'invention. Perrault fit aussi le grand modèle de l'arc de triomphe, et une partie considérable du même arc de triomphe a été construite sur ses dessins.

Colbert, qui aimait l'architecture, et qui voulait donner le moyen aux architectes de France de s'y perfectionner, lui ordonna de faire une traduction nouvelle de Vitruve, et de l'éclaircir avec des notes; en quoi l'on peut dire qu'il a réussi au-delà de tous ceux qui l'ont précédé dans ce travail, parce que jusqu'à lui ceux qui s'en étaient mêlés n'étaient ou que des savans qui n'étaient pas architectes, ou que des architectes qui n'étaient pas savans. Pour lui, il était grand architecte, et très-savant. Il avait une grande connaissance de toutes les choses dont parle Vitruve par rapport à l'architecture, comme de la peinture, de la sculpture, de la musique, des horloges, et principalement de la médecine et de la mécanique, dont l'une était sa profession particulière, et l'autre son inclination dominante. Il avait un génie extraordinaire pour les machines, et joignait à cela une grande adresse de la main pour dessiner et faire des modèles ; jusques-là que tous les connaisseurs ont remarqué que les dessins de sa main sur lesquels on a gravé les planches de son Vitruve, sont beaucoup plus exacts, plus justes et plus finis que les planches mêmes, quoiqu'elles soient d'une beauté extraordinaire.

Après avoir donné son Vitruve, il en fit un abrégé pour la commodité de ceux qui commencent à étudier l'architecture. Il a fait encore un autre livre sur la même matière, intitulé: Ordonnance des cinq espèces de colonnes selon la méthode des anciens, où il donne les véritables proportions que doivent avoir les cinq ordres d'architecture.

Quand l'académie des sciences fut établie, il fut nommé des premiers pour en être, et pour y travailler sur les matières de physique. Il n'était pas possible qu'il ne les entendit parfaitement bien, puisqu'il avait l'esprit de la mécanique au suprême degré. Il en a donné des preuves dans ses essais de physique, où l'on a trouvé beaucoup de systèmes très-ingénieux et de pensées nouvelles. Ses traités de la circulation de la sève dans les plantes, du son, et de la mécanique des animaux, excellent entre tous les autres. Il imprimait, quand il est mort, un quatrième tome de ses essais de physique; et il sort présentement de dessous la presse. On n'en dira rien, parce que cet ouvrage n'a pas encore été jugé par le public. Il travaillait aussi, dans le temps qu'il est tombé malade, à mettre en ordre un recueil de diverses machines de son invention. Il ne reste qu'à les graver, à quoi on a déjà commencé de travailler. Son frère, de l'académie française, trèssemblable à feu Perrault par le génie des beaux-arts, mais plus connu dans le monde du côté des belles-lettres, prendra soin de cette édition, et donnera aussi au public' ce qui en paraîtra digne parmi les papiers qui sont présentement passés entre ses

mains.

Perrault avait le soin de dresser les mémoires pour servir à l'histoire naturelle des animaux, à laquelle l'académie des sciences travaille sur les dissections qu'elle fait. Ces mémoires ont été imprimés à diverses fois, et depuis on en a fait une édition au Louvre en un seul volume en 1676.

Ce génie de mécanique et de physique n'empêchait point dans Perrault celui des belles-lettres. Il possédait à fond les auteurs anciens grecs et latins, et eût pu se distinguer par cet endroit-là, s'il ne se fût pas trouvé un mérite plus considérable. Il allait même jusqu'à faire agréablement des vers latins et français. Enfin on peut dire qu'il serait très-difficile de trouver un homme qui eût rassemblé plus de différens talens. Mais ce qu'il y'avait en lui de plus estimable, c'est qu'il ne tirait aucune vanité de ce qui en aurait donné beaucoup à d'autres. Tout grand physicien qu'il était, il n'était nullement entêté de la physique, et il ne regardait ses propres systèmes que comme des probabilités qui étaient, à la vérité, le sujet le plus raisonnable sur lequel l'esprit humain pût s'exercer, mais qui ne méritaient pas une

créance entière. On peut s'imaginer combien cela le préservait de l'air dogmatique si insupportable dans presque tous les savans, et combien sa conversation en était plus aisée et plus agréable. Quand on a bien du mérité, c'en est le comble que d'être fait comme les autres.

ÉLOGE

DE MME. LA MARQUISE DE LAMBERT. LA MARQUISE DE LAMBERT, qui se nommait Anne-Thérèse de

Marguenat de Courcelles, était fille unique d'Etienne de Marguenat, seigneur de Courcelles, maître ordinaire en la chambre des comptes, mort le 22 mai 1650, et de Monique Passart, morte le 21 juillet r692, pour lors femme en secondes noces de François le Coigneux, seigneur de la Rocheturpin et de Bachaumont, célèbre par son bel esprit.

Elle avait été mariée le 22 février 1666 avec Henri de Lambert, marquis de Saint-Bris en Auxerrois, baron de Chytry et Augy, alors capitaine au régiment royal, et depuis mestre de camp d'un régiment de cavalerie, fait brigadier en 1674, maréchal de camp le 25 février 1677, commandant de Fribourg en Brisgaw au mois de novembre suivant, gouverneur de Longwy, et lieutenant-général des armées du roi au mois de juillet 1682, et enfin gouverneur et lieutenant-général de la ville et duché de Luxembourg, au mois de juin 1684, mort au mois de juillet J686.

Elle avait eu, outre deux filles mortes en bas âge, un fils et une autre fille. Le fils est Henri-François de Lambert, marquis de Saint-Bris, né le 13 décembre 1677, lieutenant-général des armées du roi du 30 mars 1720, et gouverneur de la ville d'Auxerre, autrefois colonel du régiment de Périgord. Il a été marié le 12 janvier 1725 avec Angélique de Larlan de Rochefort, veuve de Louis-François du Parc, marquis de Locmaria, lieutenant-général des armées du roi, mort le 4 octobre 1709. La fille de la marquise de Lambert était Marie-Thérèse de Lambert, qui avait été mariée en 1703 avec Louis de Beaupoil, comte de SaintAulaire, seigneur de la Porcherie et de la Grenellerie, colonellieutenant du régiment d'Enguien, infanterie, tué au combat de Ramersheim dans la haute-Alsace le 26 août 1709. Elle est morte le 13 juillet 1731, âgée de cinquante-deux ans, ayant laissé une fille unique, nommée Thérèse-Eulalie de Beaupoil de Saint-Aulaire, mariée le 7 février 1725 avec Anne-Pierre d'Harcourt, marquis de Beuvron, seigneur de Tourneville, lieutenant

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général pour le roi au gouvernement de Normandie, gouverneur du vieux palais de Rouen, et mestre de camp de cavalerie, frère du duc d'Harcourt.

La mère de la marquise de Lambert épousa, comme on l'a dit, M. de Bachaumont, qui non-seulement faisait fort agréablement des vers, comme tout le monde sait par le fameux voyage dont il partagea la gloire avec Chapelle; mais qui de plus était homme de beaucoup d'esprit, et de plus encore de très-bonne compagnie, dans un temps où la bonne et la mauvaise se mêlaient beaucoup moins, et où l'on y était bien plus difficile. I s'affectionna à sa belle-fille, presque encore enfant, à cause des dispositions heureuses qu'il découvrit bientôt en elle; et s'appliqua à les cultiver, tant par lui-même que par le monde choisi qui venait dans sa maison, et dont elle apprenait sa langue comme on fait la langue maternelle.

Elle se dérobait souvent aux plaisirs de son âge pour aller lire en son particulier; et elle s'accoutuma dès-lors de son propre mouvement, à faire de petits extraits de ce qui la frappait le plus. C'étaient déjà ou des réflexions fines sur le cœur humain, ou des tours d'expression ingénieux, mais le plus souvent des réflexions. Ce goût ne la quitta, ni quand elle fut obligée de représenter à Luxembourg, dont le marquis de Lambert était gouverneur, ni quand après sa mort elle eut à essuyer de longs et cruels procès, où il s'agissait de toute sa fortune. Enfin, quand elle les eut conduits et gagnés avec toute la capacité d'une personne qui n'eût point eu d'autre talent, libre enfin, et maîtresse d'un bien assez considérable qu'elle avait presque conquis, elle établit dans Paris une maison où il était honorable d'être reçu. C'était la seule, à un petit nombre d'exceptions près, qui se fût préservée de la maladie épidémique du jeu; la seule où l'on se trouvât pour se parler raisonnablement les uns les autres, et même avec esprit selon l'occasion. Aussi ceux qui avaient leurs raisons pour trouver mauvais qu'il y eût encore de la conversation quelque part, lançaient-ils, quand ils le pouvaient, quelques traits malins contre la maison de madame de Lambert; et madame de Lambert elle-même, très-délicate sur les discours et sur l'opinión du public, craignait quelquefois de donner trop à son goût : elle avait le soin de se rassurer, en faisant réflexion que dans cette même maison, si accusée d'esprit, elle y faisait une dépense trèsnoble, et y recevait beaucoup plus de gens du monde et de condition, que de gens illustres dans les lettres.

Son extrême sensibilité sur les discours du public, fut mise à une bien plus rude épreuve. Elle s'amusait volontiers à écrire pour elle seule, et elle voulut bien lire ses écrits à un très-petit

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