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ÉLOGE

DE TAUVRY.

DANIEL TAUVRY, né en 1689, était fils d'Ambroise Tauvry, médecin de la ville de Laval. Son père fut son précepteur pour le latin et pour la philosophie; et il trouva dans son disciple de si heureuses dispositions, qu'il lui fit soutenir problématiquement une thèse de logique à l'âge de neuf ans et demi. La thèse générale de philosophie, problématique aussi, vint un an après. Ensuite Tauvry le père, qui était médecin de l'hôpital de Laval, enseigna en même temps à son fils la théorie de la médecine, et la pratique sur les malades de cet hôpital. Mais pour l'instruire davantage dans cette profession, il l'envoya à Paris, ágé de treize ans, et deux ans après le jeune médecin fut jugé digne par l'université d'Angers d'y être reçu docteur. Il revint à Paris, où il s'appliqua pendant trois ans à l'anatomie; et ce fut alors qu'il donna au public son anatomie raisonnée, âgé de dix-huit ans; car on ne peut s'empêcher de marquer toujours exactement des dates si singulières. De l'étude de l'anatomie, il passa à celle des remèdes, et composa son traité des médicamens vers l'âge de vingt-un ans. Quelque temps après, sur les défenses que le roi fit aux médecins étrangers de pratiquer, il se présenta à la faculté de Paris, et y fut reçu docteur. Il en redoubla son ardeur pour une profession qu'il avait embrassée presque dès le berceau; et comme il avait l'esprit fertile en réflexions, et que ses lectures et ses expériences lui en fournissaient incessamment des sujets, il composa sa nouvelle pratique des maladies aiguës, et de toutes celles qui dépendent de la fermentation des liqueurs. Cet ouvrage parut en 1698..

Je le connus en ce temps-là, et conçus beaucoup d'estime pour lui. J'avais l'honneur d'être de l'académie des sciences, et j'étais en droit de nommer un élève. Je crus ne pouvoir faire un meilleur présent à la compagnie, que Tauvry; et quoique ma nomination ne fût pas assez honorable pour lui, l'envie qu'il avait d'entrer dans cet illustre Corps l'empêcha d'être si délicat sur la manière d'y entrer.

ou

En 1699, le roi honora l'académie d'un nouveau réglement, et nomma en même temps plusieurs académiciens nouveaux, avança les anciens. Ce fut alors que Tauvry passa de la place d'élève à celle d'associé.

Aussitôt après il s'engagea contre Méry dans la fameuse dispute de la circulation du sang dans le fœtus, et à cette occasion il fit

son traité de la génération et de la nourriture du fœtus, qui fut publié en 1700.

Cette dispute contribua peut-être à la maladie dont il est mort; car comme il avait en tête un grand adversaire, il fit de grands efforts de travail, et prit beaucoup sur son sommeil, pour étudier à fond la matière dont il s'agissait, et pour composer son livre, sans interrompre cependant la pratique de sa profession.

Quoi qu'il en soit, une disposition naturelle qu'il avait à être asthmatique augmenta vers le commencement de cette année, et il est mort d'une phthisie au mois de février 1701, âgé de trente-un ans et demi.

Il paraît assez par tout ce qui vient d'être rapporté de lui, qu'il devait avoir l'esprit extrêmement vif et pénétrant. A la grande connaissance qu'il avait de l'anatomie, il joignait le talent d'imaginer heureusement les usages des structures, et en général il avait le don du système. Il y a beaucoup d'apparence qu'il aurait brillé dans l'exercice de la médecine, quoiqu'il n'eût ni protection, ni cabale, ni art de se faire valoir; son mérite commençait déjà à lui donner entrée dans plusieurs maisons considérables, où je suis témoin qu'il a été fort regretté.

ÉLOGE

DE TUILLIER.

ADRIEN TUILLIER, fils de Tuillier, docteur-régent de la faculté de médecine de Paris, né le 10 janvier 1674, fut destiné d'abord au barreau, et commença à s'y distinguer dès l'âge de vingt-deux ans; mais une inclination naturelle pour la physique lui fit quitter cette profession. Il étudia en médecine, et fut reçu à yingt-six ans docteur-régent avec applaudissement.

Il entra à l'académie en 1699 en qualité d'élève de Bourdelin; et comme Lémery succéda à Bourdelin dans la place d'académicien pensionnaire, il eut aussi Tuillier pour élève.

En 1702, il fut envoyé pour être médecin de l'hôpital de Keyservert; et comme le siége de cette place fut fort long par la vigoureuse défense du marquis de Blainville, Tuillier eut tant de malades et de blessés à voir, qu'il succomba à la fatigue, et mourut le 2 juin d'une fièvre continue maligne.

ÉLOGE

DE VIVIANI.

VINCENZIO VIVIANI, gentilhomme florentin, naquit à Florence

le 5 avril 1622. A l'âge de seize ans, son maître de logique, qui était un religieux, lui dit qu'il n'y avait point de meilleure logique que la géométrie; et comme les géomètres, qui encore aujourd'hui ne sont pas fort communs, l'étaient beaucoup moins. en ce temps-là, il n'y avait alors dans la Toscane qu'un seul maître de mathématique, qui était encore un religieux, sous lequel Viviani commença à étudier.

Le grand Galilée était alors fort âgé, et il avait perdu, selon sa propre expression, ces yeux qui avaient découvert un nouveau ciel. Il n'avait pas cependant abandonné l'étude; ni son goût ni ses étonnans succès ne lui permettaient de l'abandonner. Il lui fallait auprès de lui quelques jeunes gens qui lui tinssent lieu de ses yeux, et qu'il eût le plaisir de former. Viviani à peine avait un an de géométrie, qu'il fut digne que Galilée le prît chez lui, et en quelque manière l'adoptât; ce fut en 1639.

Près de trois ans après, il prit aussi chez lui le fameux Evangelista Torricelli, et mourut au bout de trois mois, âgé de soixante-dix-sept ans, génie rare, et dont on verra toujours le nom à la tête de plusieurs des plus importantes découvertes sur lesquelles soit fondée la philosophie moderne.

Viviani fut donc trois ans avec Galilée, depuis dix-sept ans jusqu'à vingt. Heureusement né pour les sciences, et plein de cette vigueur d'esprit que donne la première jeunesse, il n'est pas étonnant qu'il ait extrêmement profité des leçons d'un si excellent maître; mais il l'est beaucoup plus que, malgré l'extrême disproportion d'âge, il ait pris pour Galilée une tendresse vive et une espèce de passion. Partout il se nomme le disciple, et le dernier disciple du grand Galilée, car il a beaucoup survécu à Torricelli son collègue jamais il ne met son nom à un titre d'ouvrage, sans l'accompagner de cette qualité; jamais il ne manque une occasion de parler de Galilée, et quelquefois même, ce qui fait encore mieux l'éloge de son cœur, il en parle sans beaucoup de nécessité : jamais il ne nomme le nom de Galilée sans lui rendre un hommage; et l'on sent bien que ce n'est point pour s'associer en quelque sorte au mérite de ce grand homme et en faire rejaillir une partie sur lui; le style de la tendresse est bien aisé à reconnaître d'avec celui de la vanité.

Après la mort de Galilée, il passa encore deux ou trois ans

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dans la géométrie sans aucune interruption, et ce fut en ce temps-là qu'il forma le dessein de sa divination sur Aristée. Pour entendre ce que c'est que cette divination, il faut un peu remonter à l'histoire des anciens géomètres..

Pappus d'Alexandrie, mathématicien du temps de Théodose, parle en quelques endroits d'un Aristée qu'il appelle l'ancien, pour le distinguer d'un autre Aristée, géomètre aussi-bien que le premier, mais qui avait vécu après lui. Aristée l'ancien avait fait cinq livres des lieux solides, c'est-à-dire, selon l'explication de Pappus même, des trois sections coniques. Il n'a pu vivre plus tard qu'Euclide dont nous avons les élémens, et par conséquent il a été environ trois cents ans avant Jésus-Christ. Ces cinq livres sont entièrement perdus.

Viviani, fort versé dans la géométrie des anciens, et regrettant la perte d'un grand nombre de leurs ouvrages, entreprit à l'âge de vingt-quatre ans de la réparer du moins en partie, en se remettant, autant qu'il était possible, sur leur piste, et en tâchant de deviner ce qu'ils avaient dû nous dire. S'il est jamais permis aux hommes de deviner, c'est en cette matière, où, si l'on n'est pas sûr de retrouver précisément ce qu'on cherche, on l'est du moins de ne rien trouver de contraire, et de trouver toujours l'équivalent.

Lorsque Viviani travaillait à tirer de son propre fonds les cinq livres d'Aristée sur les lieux solides, ou sections coniques, un grand nombre de choses différentes le traversèrent, soins et affaires domestiques, maladies, ouvrages publics, où il fut employé par les princes de Médicis, de qui son mérite était déjà connu, et même récompensé.

Il fut quinze ans entiers sans jouir de cette tranquillité si nécessaire pour de grandes études. Cependant la géométrie, qui n'a pas coutume de laisser en paix ceux dont elle a une fois pris possession, le poursuivit au milieu de tant de distractions différentes; il lui donnait tous les momens qu'il avait pour respirer, et il conçut alors le dessein d'un ouvrage où il s'agissait de deyiner encore.

Apollonius Pergæus, ainsi nommé d'une ville de Pamphilie, et qui vivait quelque deux cent-cinquante ans avant Jésus-Christ, avait ramassé sur les sections coniques tout ce qu'avaient fait avant lui Aristée, Eudoxe de Cnide, Menaechme, Euclide, Conon, Trasidée, Nicotèle. Ce fut lui qui donna le premier aux trois sections coniques les noms de Parabole, d'Hyperbole et d'Ellipse, qui non-seulement les distinguent, mais les caractérisent. Il avait fait huit livres, qui parvinrent entiers jusqu'au temps de Pappus d'Alexandrie. Pappus composa une espèce d'introduction à cet

ouvrage, et donna les lemmes nécessaires pour l'entendre. Depuis, les quatre derniers livres d'Apollonius ont péri.

Il paraît par l'épître d'Apollonius à Eudemus, et par Eutocius Ascalonite, auteur plus jeune que Pappus, que dans le cinquième livre des coniques d'Apollonius, il était traité des plus grandes et plus petites lignes droites, qui se terminassent aux circonférences des sections coniques; c'est ce qu'on appelle présentement des questions de maximis et minimis.

Viviani laissant Aristée pour quelque temps, songea à restituer de la même manière le cinquième livre d'Apollonius, et s'y occupa dans ses quinze années de distraction.

En 1658, le fameux Jean-Alphonse Borelli, auteur de l'excellent livre de motu animalium, passant par Florence, trouva dans la bibliothèque de Médicis, un manuscrit arabe, avec cette inscription latine, Apollonei Pergai Conicorum libri octo. Il jugea par toutes les marques extérieures qu'il put rassembler, que ce devaient être effectivement les huit livres d'Apollonius en leur entier, et le grand-duc lui permit de porter ce manuscrit à Rome, pour le faire traduire par Abraham Ecchellensis Maronite, professeur aux langues orientales.

Sur cela, Viviani qui ne voulait pas perdre le fruit de tout ce qu'il avait préparé pour sa divination sur le cinquième livre d'Apollonius, prit toutes les mesures nécessaires pour bien établir qu'il n'avait fait effectivement que deviner. Il se fit donner des attestations authentiques qu'il n'entendait point l'arabe ; et pour plus de sûreté qu'il n'avait jamais vu le manuscrit, il obtint du prince Léopold, frère du grand-duc Ferdinand II, la grâce qu'il lui paraphât de sa propre main ses papiers en l'état où ils se trouvaient alors : il ne voulut point que Borelli lui mandât jamais rien de ce qu'Ecchellensis aurait pu découvrir en traduisant; et enfin il se hâta de deviner, et imprima son ouvrage en 1659 sous ce titre : de maximis et minimis geometrica divinatio, in quintum Conicorum Apollonii Pergæi adhuc desideratum. C'est là le premier qui ait paru de lui.

Pendant ce temps-là, Abraham Ecchellensis, qui ne savait point de géométrie, aidé par Borelli, grand géomètre, qui ne savait point d'arabe, travaillait à traduire la traduction arabe d'Apollonius. Il se trouva qu'elle avait été faite par un auteur nommé Abalphat, qui vivait à la fin du dixième siècle. Il manquait le huitième livre d'Apollonius entier, quoi qu'en dît l'inscription latine.

En 1661, Ecchellensis donna sa traduction du cinquième, du sixième et du septième. On compara donc alors la divination de Viviani avec la vérité; et l'on trouva qu'il avait plus que deviné,

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