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qu'il n'eût pu se rendre aussi familière qu'il eût voulu. Il est jusqu'à présent le seul qui nous ait donné dans tous les six genres des mémoires que l'académie a jugé dignes d'être présentés au public: peut-être s'était-il proposé cette gloire, sans oser trop s'en déclarer. Il est toujours sûr que depuis sa réception il ne s'est passé aucune année où il n'ait fait parler de lui dans nos histoires, et qu'aucun nom n'y est plus souvent répété que le sien.

Dans ce que nous avons de lui, c'est la physique expérimentale qui domine. On voit dans ses opérations toutes les attentions délicates, toutes les ingénieuses adresses, toute la patience opiniâtre, dont on a besoin pour découvrir la nature, et se rendre maître de ce Protée, qui cherche à se dérober en prenant mille formes différentes. Après avoir débuté par le phosphore du baromètre (1), par le sel de la chaux, inconnu jusques-là aux chymistes (2), il vint à des recherches nouvelles sur l'aimant (3); et enfin, car nous accourcissons le dénombrement, à la matière qu'il a le plus suivie, et qui le méritait le mieux, à l'électricité (4).

Il l'avait prise des mains de Gray, célèbre philosophe anglais, qui y travaillait. Loin que Gray trouyât mauvais qu'on allât sur ses brisées, et prétendit avoir un privilége exclusif pour l'électricité, il aida de ses lumières du Fay, qui, de son côté, ne fut pas ingrat, et lui donna aussi des vues. Ils s'éclairèrent, ils s'animèrent mutuellement, et arrivèrent ensemble à des découvertes si surprenantes et si inouies, qu'ils avaient besoin de s'en attester et de s'en confirmer l'un à l'autre la vérité; il fallait, par exemple, qu'ils se rendissent réciproqueinent témoignage d'avoir vu l'enfant devenu lumineux pour avoir été électrisé. Pourquoi l'exemple de cet Anglais et de ce Français qui se sont avec tant de bonne foi et si utilement accordés dans une même recherche, ne pourrait-il pas être suivi en grand par l'Angleterre et par la France? Pourquoi s'élèvet-il entre les deux nations des jalousies, qui n'ont d'autre effet que d'arrêter, ou au moins de retarder le progrès des sciences?

La réputation de du Fay sur l'art de bien faire les expériences de physique, lui attira un honneur particulier. Le roi voulut qu'on travaillât à un réglement, par lequel toutes sortes de teintures, tant en laine qu'en soie, seraient soumises à certaines épreuves, qui feraient juger de leur bonté, avant qu'op

(1) Voyez l'Hist. de 1723, p. 13.

(2) Voyez l'Hist. de 1724, p. 39.

(3) Voyez les Hist. de 1728, p. 1; de 1730, p. 1; et de 1731, p. 15, (4) Voyez les Hist, de 1733, p. 4; de 1734, p. 1 ; et de 1737, p. 1.

les reçût dans le commerce. Le conseil crut ne pouvoir mieux faire que de nommer du Fay pour examiner par des opérations chymiques, et déterminer quelles devaient être ces épreuves. L'arrêt du conseil est du 12 février 1731. De là est venu un mémoire que du Fay donna en 1737 (1) sur le mélange de quelques couleurs dans la teinture. Toutes les expériences dont il avait besoin sont faites, et on les a trouvées mises en un corps auquel il manque peu de chose pour sa perfection.

Nous avons fait dans l'éloge de feu Fagon en 1718 (2), une petite histoire du jardin royal des plantes. Comme la surintendance en était attachée à la place de premier médecin, avonsnous dit en ce temps-là, et que ce qui dépend d'un seul homme dépend aussi de ses goûts, et a une destinée fort changeante; un premier médecin, peu touché de la botanique, avait négligé ce jardin, et heureusement l'avait assez négligé pour le laisser tomber dans un état où l'on ne pouvait plus le souffrir. Il était arrivé précisément la même chose une seconde fois, et par la même raison, en 1732, à la mort d'un autre premier médecin. Ce n'est pas que d'excellens professeurs en botanique, que MM. de Jussieu n'eussent toujours fait leurs leçons avec la même assiduité, et d'autant plus de zèle, que leur science, qui n'était plus soutenue que par eux, en avait plus de besoin; mais enfin toutes les influences favorables qui ne pouvaient venir que d'enhaut, manquaient absolument, et tout s'en ressentait ; les plantes étrangères s'amaigrissaient dans des serres mal entretenues et qu'on laissait tomber : quand ces plantes avaient péri, c'était pour toujours; on ne les renouvelait point, on ne réparait pas même les brèches des murs de clôture; de grands terreins demeuraient en friche.

Tel était l'état du jardin en 1732. La surintendance alors la mort du premier médecin fut supprimée, et le vacante par premier médecin déchargé d'une fonction qu'effectivement il ne pouvait guère exercer comme il l'eût fallu, à moins que d'avoir pour les plantes une passion aussi vive que Fagon. La direction du jardin fut jugée digne d'une attention particulière et continue, et le roi la donna sous le nom d'intendance à du Fay. Elle se trouva aussi-bien que l'académie des sciences dans le département de la cour et de Paris, qui est à M. le comte de Maurepas; et comme le nouvel intendant était de cette académie, le jardin royal commença à s'incorporer en quelque sorte avec elle.

Du Fay n'était pas botaniste comme MM. de Jussieu, mais il le devint bientôt avec eux autant qu'il était nécessaire. Ils gémis (1) Voyez l'Hist. de 1737.

(2) Page 94 et suiv., et page 269 de ce volume.

saient sur les ruines de ce jardin qu'ils habitaient, et ne désiraient pas moins ardemment que lui de les voir relevées. Ils le mirent au fait de tout, ne se réservèrent rien de leurs connaissances les plus particulières, lui donnèrent les conseils qu'ils auraient pris pour eux-mêmes, et cette bonne intelligence qui subsista toujours entre eux, ne leur fut pas moins glorieuse qu'utile aux succès. L'Angleterre et la Hollande ont chacune un jardin des plantes. Du Fay fit ces deux voyages, et celui d'Angleterre avec de Jussieu le cadet, pour voir des exemples, et prendre des idées dont il profiterait, et surtout pour lier avec les étrangers un commerce de plantes. D'abord ce commerce était à notre désavantage; nous étions dans la nécessité humiliante ou d'acheter, ou de recevoir des présens: mais on en vint dans la suite à faire des échanges avec égalité, et même enfin avec supériorité. Une chose qui y contribua beaucoup, ce fut une autre correspondance établie avec des médecins ou des chirurgiens, qui, ayant été instruits dans le jardin par MM. de Jussieu, allaient de là se répandre dans nos colonies.

A mesure que le nombre des plantes augmentait par la bonne administration, on construisait de nouvelles serres pour les loger; et à la fin ce nombre étant augmenté de six ou sept mille espèces, il fallut jusqu'à une cinquième serre. Elles sont construites de façon à pouvoir représenter différens climats puisqu'on veut y faire oublier aux différentes plantes leurs climats naturels; les degrés de chaleur y sont conduits par nuances depuis le plus fort jusqu'au tempéré, et tous les raffinemens que la physique moderne a pu enseigner à cet égard, ont été mis en pratique. De plus, du Fay avait beaucoup de goût pour les choses de pur agrément, et il a donné à ces petits édifices toute l'élégance que le sérieux de leur destination pouvait permettre..

A la fin il était parvenu à faire avouer unanimement aux étrangers que le jardin royal était le plus beau de l'Europe; et si l'on fait réflexion que le prodigieux changement qui y est arrivé s'est fait en sept ans, on conviendra que l'exécution de toute l'entreprise doit avoir été menée avec une extrême vivacité. Aussi était-ce là un des grands talens de du Fay. L'activité, toute opposée qu'elle est au génie qui fait aimer les sciences et le cabinet, il l'avait transportée de la guerre à l'académie. Mais toute l'activité possible ne lui aurait pas suffi pour cuter, en si peu de temps, tous ses desseins sur le jardin, en n'y employant que les fonds destinés naturellement à cet établissement; il fallait obtenir, et obtenir souvent des grâces extraordinaires de la cour. Heureusement il était fort connu des ministres, il avait beaucoup d'accès chez eux, et une espèce de liberté et de

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familiarité à laquelle un homme de guerre ou un homme du monde parviendra plus aisément qu'un simple académicien. De plus, il savait se conduire avec les ministres, préparer de loin ses demandes, ne les faire qu'à propos, et lorsqu'elles étaient presque déjà faites, essuyer de bonne grâce les premiers refus, toujours à peu près infaillibles, ne revenir à la charge que dans des momens bien sereins, bien exempts de nuages; enfin, il avait le don de leur plaire, et c'est déjà une grande avance pour persuader ; mais ils savaient aussi qu'ils n'avaient rien à craindre de tout son art, qui ne tendait qu'à des fins utiles au public, et glorieuses pour eux-mêmes.

Il était quelquefois obligé d'aller au-delà des sommes qu'on lui avait accordées, et il n'hésitait pas à s'engager dans des avances assez considérables. Sa confiance n'a pas été trompée par ceux qu'elle regardait, mais elle pouvait l'être par des événemens imprévus. Il risquait, mais pour ce jardin qui lui était si cher.

Devons-nous espérer qu'on nous croie, si nous ajoutons que tout occupé qu'il était et de l'académie et du jardin, il l'était encore dans le même temps d'une affaire de nature toute différente, très-longue, très-embarrassée, très-difficile à suivre, dont la seule idée aurait fait horreur à un homme de lettres, et qui aurait été du moins un grand fardeau pour l'homme le plus exercé, le plus rompu aux manœuvres du palais et de la finance tout ensemble? Landais, trésorier général de l'artillerie, mourut en 1729, laissant une succession modique pour un trésorier, et qui était d'ailleurs un chaos de comptes à rendre, une hydre de discussions renaissantes les unes des autres. Elle devait être partagée entre la mère de du Fay, et trois sœurs qu'elle avait; et il fut lui seal chargé de quatre procurations, seul à débrouiller le chaos et à combattre l'hydre. Malgré toute son activité naturelle, qui lui fut alors plus nécessaire que jamais, il ne put voir une fin qu'au bout de dix années, les dernières de sa vie, et on assure que sans lui les quatre héritières n'auraient pas eu le quart de ce qui leur appartenait. Il est vrai que la réputation d'honneur et de probité que son oncle avait laissée, et celle qu'il avait acquise lui-même, durent lui servir dans des occasions où il s'agissait de fidélité et de bonne foi; mais cela ne va pas à une épargne considérable des soins ni du temps. Cette grande affaire ne souffrit point de son attachement l'académie et pour le pour jardin royal, et ni l'un ni l'autre ne souffrirent d'une si violente distraction. Il conciliait tout et multipliait le temps par l'industrie singulière avec laquelle il savait le distribuer. Les grands plaisirs changent les heures en momens, mais l'art des sages peut changer les momens en heures.

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Comme on savait que l'on ne pouvait trop occuper du Fay, on l'avait admis depuis environ deux ans aux assemblées de la grande police, composées des premiers magistrats de Paris, qu'on tient toutes les semaines chez le premier président. Là il était consulté sur plusieurs choses qui intéressaient le public, et pouvaient se trouver comprises dans la variété de ses connaissances. Il était presque le seul qui, quoiqu'étranger à ces respectables assemblées, y fût ordinairement appelé.

Son dernier travail pour l'académie, qui, quoiqu'il ne soit pas entièrement fini, est en état d'être annoncé ici, et peut être publié, a été sur le cristal de roche et celui d'Islande. Ces cristaux, ainsi que plusieurs autres pierres transparentes, ont une double réfraction qui a été reconnue de Bartholin, Huyghens et Newton, et dont ils ont tâché de trouver la mesure et d'expliquer la cause. Mais ni leurs mesures ne sont exactes, ni leurs explications exemptes de grandes difficultés. Il était arrivé par un grand nombre d'expériences à une mesure juste, et à des faits généraux, qui du moins pouvaient tenir lieu de principes, en attendant la première cause physique encore plus générale.

Il avait découvert, par exemple, que toutes les pierres transparentes dont les angles sont droits, n'ont qu'une seule réfraction; et que toutes celles dont les angles ne sont pas droits, en ont une double, dont la mesure dépend de l'inclination de leurs angles.

Il tomba malade au mois de juillet dernier, et dès qu'on s'aperçut que c'était la petite vérole, il ne voulut point attendre qu'on vînt avec des tours préparés lui parler de la mort sans en prononcer le nom; il s'y condamna lui-même pour plus de sûreté, et demanda courageusement ses sacremens, qu'il reçut avec une entière connaissance.

Il fit son testament, dont c'était presque une partie qu'une lettre qu'il écrivit à M. de Maurepas, pour lui indiquer celui qu'il croyait le plus propre à lui succéder dans l'intendance du jardin royal. Il le prenait dans l'académie des sciences à laquelle il souhaitait que cette place fût toujours unie; et le choix de Buffon qu'il proposait était si bon, que le roi n'en a pas voulu faire d'autre.

Il mourut le 16 juillet après six ou sept jours de maladie.

Par son testament il donne au jardin royal une collection de pierres précieuses, qui fera partie d'un grand cabinet d'histoire naturelle, dont il était presque le premier auteur, tant il lui avait procuré par ses soins d'augmentations et d'embellissemens.. Il obtint même que le roi y fit transporter ses coquilles.

L'exécuteur testamentaire choisi par du Fay, est Hellat,

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