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dans l'astronomie physique, en aurait considérablement aug→ menté. Mais heureusement l'aberration mieux observée n'était

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point telle que le mouvement de la terre la demandait, et Manfredi s'engagea sans crainte dans cette recherche. Bradley célèbre philosophe anglais, trouva enfin un système de l'aberration très-ingénieux, et peut-être aussi vraisemblable, où, à la vérité, le mouvement annuel de la terre entrait encore, mais nécessairement combiné avec le mouvement successif de la lumière, découvert ou proposé, il y a déjà du temps, par MM. Roemer et Cassini. Manfredi fit bien encore, ainsi qu'il le devait, quelque légère résistance à ce système ; mais il n'en ima→ gina point d'autre. Il s'en servit comme s'il l'eût embrassé avec plus de chaleur, et n'en prouva que mieux la nécessité de s'en servir.

En 1736, il donna un ouvrage sur la méridienne de SaintPétrone, sa première école d'astronomie. Elle avait besoin de quelques réparations que l'état voulut bien faire; on lui en donna la direction, et l'on compta bien que c'était plus que sa propre affaire.

Il était trop fidèle à tous ses engagemens, pour ne se pas croire obligé de contribuer aux travaux d'une académie qui l'avait adopté. Il a envoyé ici deux mémoires, dont l'un est dans le volume de 1734 (1), l'autre dans celui de 1738 (2), tous deux d'une fine et subtile astronomie. On y voit le grand astronome bien familier avec le ciel, et on y sent l'homme d'esprit qui sait penser par lui-même.

L'académie dut lui savoir d'autant plus de gré de ces deux écrits, que dans ce temps-là il était surchargé d'occupations nouvelles. Bianchini, mort en 1729(3), avait laissé une grande quantité d'observations astronomiques et géographiques dans un désordre et dans une confusion dont la seule vue effrayait et faisait désespérer d'en tirer jamais rien. Il l'entreprit cependant par zèle pour les sciences, et pour la mémoire d'un illustre compatriote; il parvint à faire un choix qui fut bien reçu du public. Il avait toujours conservé la fatigante surintendance des eaux du Bolonais; mais de plus, la cour de Rome voulut qu'il entrât en connaissance d'un différend du Ferrarais avec l'état de Venise, et rejeta sur lui un fardeau de la même espèce que celui qu'il portait déjà avec tant de peine. Il fut accablé de vieux titres et d'actes difficiles à déchiffrer et à entendre, de

(1) Voyez l'Hist., p. 59 et suiv. (2) Voyez l'Hist., p. 75 et suiv. (3) Voyez l'Hist., p. 102 et suiv.

cartes anciennes et modernes; et enfin en 1735 le résultat de ses recherches fut imprimé à Rome.

Dans cette affaire du Ferrarais, aussi-bien que dans le débrouillement des papiers de Bianchini on retrouve encore ses deux sœurs, qui lui furent infiniment utiles, surtout pour toute la manœuvre désagréable de ces sortes de travaux. Avec beaucoup d'esprit, elles étaient propres à ce qui demanderait presque une entière privation d'esprit.

Sans ce secours domestique, il ne fût jamais venu à bout de tout ce qu'il fit dans les cinq ou six dernières années de sa vie, pendant lesquelles il fut tourmenté de la pierre. Il soutint ce malheureux état avec tant de courage, qu'à peine sa gaieté naturelle en fut altérée. Quelquefois au milieu de quelque discours plaisant qu'il avait commencé, car il réussissait même sur ce ton-là, il était tout à coup interrompu par une douleur vive et piquante, et après quelques momens il reprenait tranquillement le fil de son discours, et jusqu'au visage qui y convenait. J'ai ouï dire cette même particularité de notre grand poëte burlesque mais celui-ci était plus obligé à être toujours gai; il eût perdu son principal mérite dans le monde, s'il eût cessé de l'être.

Le mal de Manfredi alla toujours en augmentant, et en ne lui laissant que de moindres intervalles de repos; et enfin, après dix-huit jours de douleurs continuelles, il mourut le 15 février 1739, non pas seulement avec la constance d'un philosophe, mais avec celle d'un véritable chrétien. Son corps fut accompagné à la sépulture avec une pompe extraordinaire par les sénateurs-présidens de l'institut de Bologne, par les professeurs de cet institut, et par les deux universités d'écoliers. L'Italie et l'Angleterre savent rendre aux hommes illustres les honneurs funèbres.

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Il avait une taille médiocre, assez d'embonpoint, le teint vermeil, les yeux vifs, beaucoup de physionomie, beaucoup d'âme dans tout l'air de son visage. Il n'était ni sauvage comme mathématicien, ni fantasque comme poëte. Il aimait fort, surtout dans sa jeunessse, les plaisirs de la table; et pour être exempt de toute contrainte, il ne les voulait qu'avec ses amis. Ce n'est pas qu'il n'observât dans la société toutes les règles de la politesse, tout le cérémonial italien, plus rigoureux que le nôtre; il y était même d'autant plus attentif, qu'il se sentait plus porté à y manquer, par le peu de cas qu'il en faisait naturellement mais enfin il valait encore mieux éviter les occasions qui rendaient nécessaires ces faux respects et ces frivoles déférences. Aussi était-il plus incommodé qu'honoré des visites ou

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de gens de marque où d'étrangers que son nom lui attirait de toutes parts.

Pour la vraie politesse, il la possédait. Il cédait volontiers l'avantage de parler à tous ceux qui en étaient jaloux. Quand il y avait lieu de contredire quelqu'un dans la conversation, ce qui assurément n'était pas rare, il prenait le parti de se taire, plutôt que de relever des erreurs sous prétexte d'instruction. Il est fort douteux qu'on instruise, et il est sûr qu'on choquera. Un sentiment contraire au sien, et qui avait quelque apparence, l'arrêtait tout court, et lui faisait craindre de s'être trompé; au lieu que d'ordinaire on commence par s'élever vivement contre ce qui s'oppose à nous, et on se met hors d'état de revenir à la raison. Personne ne sentait mieux le mérite d'autrui, il allait presque jusqu'à s'y complaire. Le fond de tout cela est qu'il avait sincèrement peu d'opinion de lui-même, disposition qu'on pourrait nommer héroïque.

Il était d'une confrérie qui assiste et console les criminels que l'on conduit au supplice. Il n'en put faire son devoir que très-rarement, et il en souffrit tant, qu'il s'était déterminé à y renoncer pour toujours. Les fonctions de la compassion étaient arrêtées en lui par l'excès de la compassion.

Avec une âme si tendre il ne pouvait manquer d'être bienfaisant, officieux, libéral autant que sa fortune le pouvait permettre. Quand il s'agissait d'une dette, et qu'il y avait quelque incertitude sur la quantité, il aimait mieux courir le risque de payer trop que trop peu.

Les qualités de son cœur ont fait l'effet qu'elles devaient; il a été généralement aimé, et, nous pouvons nous contenter d'un exemple qui certainement suffira, il s'est vu honoré de l'amitié du cardinal Lambertini, son archevêque, prélat d'un mérite rare, et qui a un grand nom jusques dans les lettres. On donne souvent des louanges à de grands hommes par pure estime; mais à celles que j'ai entendu donner à Manfredi, j'ai toujours remarqué qu'on y ajoutait un sentiment d'affection beaucoup plus flatteur.

ÉLOGE

DE DU FAY.

CHARLES-FRANÇOIS DE CISTERNAY DU FAY naquit à Paris le 14 septembre 1698 de Charles-Jérôme de Cisternay, chevalier, et de dame Elisabeth Landais, d'une très-ancienne famille originaire de Touraine. Celle des Cisternay était noble, et avait

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fait profession des armes sans discontinuation depuis la fin du quinzième siècle. Elle pourrait le parer de quelque ancienne alliance avec une maison souveraine d'Italie; mais elle se contente de ce qu'elle est naturellement, sans rechercher d'illustration forcée.

L'aïeul paternel de du Fay mourut capitaine des gardes du prince de Conti, frère du grand Condé. Il avait servi long-temps dans le régiment de ce prince, et quoiqu'homme de guerre, il s'entêta de la chymie, dans le dessein à la vérité de parvenir au grand œuvre. Il travailla beaucoup, dépensa beaucoup avec le succès ordinaire.

Le père de du Fay étant lieutenant aux gardes, eut une jambe emportée d'un coup de canon au bombardement de Bruxelles en 1695 il n'en quitta pas le service; il obtint une compagnie dans le régiment des gardes, mais il fut obligé à y renoncer par les incommodités qui lui survinrent, et par l'impossibilité de monter à cheval. Heureusement il aimait les lettres, et elles furent sa ressource. Il s'adonna à la curiosité en fait de livres curiosité qui ne peut qu'être accompagnée de beaucoup de connaissances agréables pour le moins. Il rechercha avec soin les livres en tout genre, les belles éditions de tous les pays, les manuscrits qui avaient quelque mérite outre celui de n'être pas imprimés, et se fit à la fin une bibliothéque bien choisie et bien assortie, qui allait bien à la valeur de 25,000 écus. Ainsi il se trouva dans Paris un capitaine aux gardes en commerce avec tous les fameux libraires de l'Europe, ami des plus illustres savans, mieux fourni que la plupart d'entre eux des instrumens de leur profession, plus instruit d'une infinité de particularités qui la regardaient.

Lorsque du Fay vint au monde, son père était déjà dans ce nouveau genre de vie. Les enfans, et surtout les enfans de condition n'entendent parler de science qu'à leur précepteur, qui dans une espèce de réduit séparé leur enseigne une langue ancienne, dont le reste de la maison fait peu de cas. Dès que du Fay eut les yeux ouverts, il vit qu'on estimait les savans, qu'on s'occupait de recueillir leurs productions, qu'on se faisait un honneur de les connaître, et de savoir ce qu'ils avaient pensé, et tout cela sans préjudice, comme on le peut bien croire, dụ ton et des discours militaires, qui devaient toujours dominer chez un capitaine aux gardes. Cet enfant, sans qu'on en eût expressément formé le projet, fut également élevé pour les armes et pour les lettres, presque comme les anciens Romains. Le succès de l'éducation fut à souhait. Dès l'âge de quatorze ans, en 1712, il entra lieutenant dans la Picardie ; et à la

guerre d'Espagne, en 1718, il se trouva aux siéges de SaintSébastien et de Fontarabie, où il se fit de la réputation dans son métier, et, ce qui devait encore arriver plus sûrement, des amis; car dans une seule campagne il pouvait manquer d'occasions de paraître, mais non pas d'occasions de plaire à ceux avec qui il avait à vivre.

Pour remplir ses deux vocations, il se mit dans ce temps-là à étudier en chymie. Peut-être le sang de cet aïeul dont nous venons de parler agissait-il en lui; mais il se trouva corrigé dans le petit-fils, qui n'aspira jamais au grand œuvre. Il avait une vivacité qui ne se serait pas aisément contentée des spéculations paresseuses du cabinet; elle demandait que ses mains travaillassent aussi-bien que son esprit.

Il eut une occasion agréable d'aller à Rome; il s'agissait d'y accompagner le cardinal de Rohan, dont il était fort connu et fort goûté. Tout le mouvement nécessaire pour bien voir Rome, pour en examiner le détail immense, ne fut que proportionné à son ardeur de savoir, et aux forces que lui fournissait cette ardeur. Il devint antiquaire en étudiant les superbes débris de cette capitale du monde, et il en rapporta ce goût de médailles, de bronzes, de monumens antiques, où l'érudition semble être embellie par je ne sais quoi de noble qui appartient à ces sortes de sujets.

Apparemment il avait eu en vue dans ses études chymiques une place de chymiste de l'académie des sciences. Il y parvint en 1733, et quoique capitaine dans Picardie, il l'emporta sur des concurrens, qui par leur état devaient être plus chymistes que

lui.

Sa constitution était aussi faible que vive, et sa prompte mort ne l'a que trop prouvé. Tout le monde prévoyait une longue paix, fort contraire à l'avancement des gens de guerre. Plus il connaissait l'académie, plus il aimait ses occupations, et plus il se convainquait en même temps qu'elles demandaient un homme tout entier, et le méritaient. Toutes ces considérations jointes ensemble le déterminèrent à quitter le service, et il ne fut plus qu'académicien.

Il le fut si pleinement, qu'outre la chymie, qui était la science dont il tirait son titre particulier, il embrassa encore les cinq autres qui composent avec elle l'objet total de l'acadé mie, l'anatomie, la botanique, la géométrie, l'astronomie, la mécanique. Il ne les embrassait pas toutes avec la même force dont chacune, en particulier, est embrassée par ceux qui ne s'attachent qu'à elle; mais il n'y en avait aucune qui lui fût étrangère, aucune chez laquelle il n'eût beaucoup d'accès, et

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