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de ce qui avait coûté tant de travaux à un des plus habiles hommes des nations savantes.

Aussitôt après, Ruysch, âgé de soixante-dix-neuf ans, recommença courageusement un cabinet nouveau. Sa santé toujours ferme le lui permettait; le goût et l'habitude l'y obligeaient. Ce second travail devait même lui être plus facile et plus agréable que le premier. Il ne perdait plus de temps en tâtonnemens et en épreuves, il était sûr de ses moyens et du succès. D'ailleurs, des choses rares, qui autrefois lui auraient échappé, ou qu'il n'aurait obtenues qu'avec peine, venaient alors s'offrir d'ellesmêmes à lui.

En 1727 il fut choisi par cette académie pour être un de ses associés étrangers. Il était membre aussi de l'académie Léopoldine des curieux de la nature, et de la société royale d'Angleterre.

Il eut le malheur en 1728 de se casser l'os de la cuisse par une chute. Il ne pouvait plus guère marcher sans être soutenu par quelqu'un; mais du reste il n'en fut pas moins sain de corps et d'esprit jusqu'en 1731, qu'il perdit en peu de temps toute sa vigueur qui s'était maintenue sans altération sensible. Il mourut le 22 février, âgé de plus de quatre-vingt-douze ans, et n'ayant eu sur une si longue carrière qu'environ un mois d'infirmité. Peu de temps avant sa mort, il avait fini le catalogue de son second cabinet qu'il avait rendu fort ample en quatorze ans. Beaucoup de grands hommes n'ont pas assez vécu pour voir la fin des contradictions injustes et désagréables qu'ils s'étaient attirées par leur mérite, et leur nom seul a joui des honneurs qui leur étaient dûs. Pour lui il en a joui en personne, à sa bonne constitution qui l'a fait survivre à l'envie.

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grâce

Il a donné un grand nombre d'ouvrages, ses seize épîtres problématiques, les trois décades de ses adversaria anatomico-medicochirurgica, ses onze trésors, etc. Tout cela est le produit d'une très-longue vie, dont tous les momens ont été occupés du même objet faits nouveaux, observations rares, réflexions de théorie, remarques de pratique, tout est écrit d'un style simple et concis, dont toutes les paroles signifient, et qui n'a pour but que l'instruction sans étalage. Le plus souvent, en parlant de ses découvertes, il ne se regarde que comme l'instrument dont il a plu à Dieu de se servir pour manifester au genre humain des vérités utiles; et ce ton si humble et si chrétien ne peut être suspect dans un homme qui n'était obligé à le prendre, ni par son état, ni par l'exemple des autres auteurs de découvertes.

Encore une singularité de ses ouvrages. Il a publié ses adversaria en hollandais et en latin sur deux colonnes, l'un étant la

traduction de l'autre. Il y a des matières qu'il n'est permis qu'aux physiciens de traiter sans enveloppe et dans les termes propres. Quand il les traite, ce n'est qu'en latin, et on s'aperçoit d'un vide dans la colonne hollandaise. Il n'a pas voulu présenter des images dangereuses à ceux ou à celles qui n'en avaient pas besoin.

ELOGE

DU PRÉSIDENT DE MAISONS.

JEAN-RENÉ DE LONGUEIL naquit à Paris le 15 juillet 1699 de Claude de Longueil, marquis de Maisons, président du parlement, et de Charlotte Roque de Varangeville.

On sait que la maison de Longueil est distinguée par son ancienneté, tant dans l'épée que dans la robe, et plus encore par les dons de l'esprit qui s'y sont assez perpétués pour lui donner un caractère général, et former en faveur du nom une prévention agréable.

Le jeune de Maisons, à cause de la délicatesse de sa santé, fut élevé dans la maison paternelle. On assure qu'à 12 ans il ne trouvait plus de difficultés dans les poëtes Latins, et sentait toutes les beautés des Français; car à quoi sert d'entendre avec beaucoup de peine des auteurs dans une langue étrangère, quand on ne sait pas juger, comme il arrive souvent, de ceux qu'on lit dans la langue que l'on parle ? La partie de l'éducation qui regarde le goût, extrêmement négligée jusqu'ici, ne le fut pas à l'égard de M. de Maisons. On pourrait lui reprocher de s'être fait un goût trop sévère mais le plaisir de critiquer peut être pardonné à la grande jeunesse.

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A l'âge de 14 ans il fit un cours de physique, mais de vraie physique, et il y entra avec cette ardeur qui annonce le génie. Il se plaisait à faire lui-même les expériences, ce qui instruit beaucoup plus que de les aisser faire à des gens plus exercés, et d'en être simple spectateur. On est obligé d'entrer dans des détails dont l'importance et les suites ne sont bien connues que de ceux qui y ont prêté leurs mains.

On le mit à 15 ans dans la jurisprudence, qui devait être son grand objet, et il embrassa l'étude d'une manière à contenter une famille accoutumée à fournir de bons sujets pour une importante place. Ce fut alors qu'il perdit son père, magistrat trèsconsidéré, et dans sa compagnie, et dans le public, et à qui il n'a manqué qu'une plus longue vie pour monter encore à une plus haute considération. Le feu roi eut la bonté de réparer autant qu'il se pouvait le malheur du fils, et il lui accorda la charge

de président du parlement, dans l'espérance, lui dit-il, qu'il le servirait avec la même fidélité qu'avaient fait ses ancêtres. Cette grâce a une époque remarquable; elle fut la dernière d'un si long règne.

La régence ne fut pas moins favorable à de Maisons. Il eut, par grâce singulière, voix et séance à sa place de président dès l'âge de 18 ans.

Il travailla à mériter tout ce qu'il avait obtenu, et le mérita en effet par son application aux affaires, par la pénétration qu'il y faisait déjà paraître, par une droiture inflexible dans l'administration de la justice.

Cependant il conservait toujours du goût pour la physique. Ceux à qui il n'est permis de prendre les sciences que pour le délassement ou pour l'ornement, ne peuvent choisir ni des délassemens plus nobles, ni des ornemens qui siéent mieux. Il se fit à Maisons un jardin de plantes rares, et un laboratoire de chymie, dignes tous les deux d'un lieu où tout ce qui n'aurait pas été magnifique aurait eu fort mauvaise grâce. Il est sorti du jardin le seul café que l'on sache qui ait encore pu venir à maturité en France, et on assure qu'il n'a pas moins de parfum que celui de Moka. De Maisons a fait lui-même dans le laboratoire le bleu de Prusse, le plus parfait que l'on ait encore dans cette espèce de couleur. Il avait aussi depuis peu fait préparer des lieux pour les expériences de Newton sur la lumière, qui ne sont pas aisées à répéter, et qui peut-être eussent été poussées plus loin. Nous ne nous intéressons pas tant à son cabinet de médailles, quoique très-curieux; mais nous ne laissons pas de bien connaître tout le prix de l'étendue et de la variété de ses connaissances.

Avec tous les droits qu'il avait par rapport à nous, il désira d'être un de nos honoraires, et il le fut vers la fin d'août 1726. Le roi le nomma président de l'académie pour l'année 1730. Il marqua par un redoublement d'assiduité, qu'il ne regardait pas ce titre comme un vain titre d'honneur, et il le marqua encore mieux dans les occasions où il fut question de quelque intérêt général de la compagnie. Alors un corps ne peut guère se mouvoir par lui-même toute son action, toute sa vie réside dans son chef, et le nôtre s'acquitta de ses fonctions avec une ardeur et un zèle qui nous firent bien sentir l'avantage de le posséder. Il prenait une habitude qui lui devait être utile dans des fonctions pareilles, et plus importantes, auxquelles il était destiné, mais dont il a été privé par une fin trop prompte.

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Il mourut de la petite vérole le 13 septembre 1731, ne laissant qu'un fils de la fille unique de d'Angervilliers, secrétaire-d'état.

L

DE CHIRAC.

PIERRE CHIRAC naquit en 1650 à Conques en Rouergue, de Jean Chirac et de Marie Rivet, bourgeois de cette petite ville, et dont la fortune était fort étroite. Quoique fils unique, il n'eut point de meilleur parti à prendre après ses études, que de se destiner à l'église, qui lui parut une ressource presque absolument nécessaire. En étudiant la théologie, il ne laissa pas de s'appliquer par curiosité à la philosophie de Descartes, qui avait déjà pénétré jusques dans le Rouergue. Quand il s'en fut rempli autant qu'il l'avait pu sans aucun secours, il crut pouvoir sortir de Conques, et il alla à Montpellier, où cette même philosophie, naissante aussi, commençait à remuer les esprits. Il fut bientôt connu dans cette ville, quoique accoutumée depuis long-temps à la sciènce et au mérite.

Chicoineau, chancelier et juge de l'université de Montpellier, prit chez lui en 1678 Chirac, qu'il regardait déjà comme grand physicien, pour lui confier la direction des études de deux de ses fils qu'il destinait à la médecine. Il fut si content du maître qu'il leur avait donné, qu'il voulut songer solidement à ce qui pouvait lui convenir; et comme il lui trouvait peu de véritable vocation pour l'état dont il portait l'habit, et d'ailleurs beaucoup d'acquis dans la physique, il le détermina à en profiter pour embrasser la profession de médecin.

Chirac devenu membre de la faculté de Montpellier en 1682 y enseigna cinq ans après les différentes parties de la médecine. On sentit bien le prix des leçons qu'il dictait à ses auditeurs. Elles n'avaient pas le sort ordinaire de périr entre les mains de ceux qui s'étaient donné la peine de les écrire : on se les transmettait des uns aux autres, et c'était une faveur ;, et encore aujourd'hui elles sont un trésor que l'on conserve avec soin. On recueillait avec le même empressement les discours qui en étaient l'explication, toujours plus étendus et encore plus approfondis que les leçons; on rassemblait, on réunissait ce que différentes personnes en avaient retenu, et on travaillait à en faire un corps, tant on était animé par l'espérance d'une grande instruction.

Outre les leçons publiques, Chirac faisait chez lui des cours particuliers, plus instructifs encore pour ses disciples, et même pour lui, à cause de la liberté de la conversation; les étrangers y couraient en foule, et Montpellier se remplissait d'habitans qu'il lui devait.

Quand il fut assez plein de théorie, il se mit dans la pratique.

Barbeyrac y tenait alors le premier rang à Montpellier, et son nom vivra long-temps. Chirac le prit pour guide et pour modèle, avec les restrictions néanmoins qu'un grand homme met toujours à l'imitation d'un autre, sans renoncer aux connaissances particulières qu'il pouvait avoir acquises, ni à des vues dont la nouveauté eût peut-être empêché Barbeyrac lui-même d'oser les approuver.

En 1692, le maréchal de Noailles lui donna, de l'avis de Bar beyrac, la place de médecin de l'armée de Roussillon. Il fut en 1693 au siége de Roses, après lequel une dyssenterie épidémique se mit dans l'armée. Le ministre de la guerre lui envoya de Paris de l'ipécacuanha, qui y était encore nouveau, et connu seulement sous le nom de remède du médecin hollandais. Il en donna avec opiniâtreté et de toutes les façons, sans en pouvoir tirer aucun bon effet. A la fin, réduit à trouver sa ressource en luimême, il donna du lait coupé avec la lessive de sarment de vigne et il eut le plaisir de voir presque tous ses malades guéris.

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Quelques années après, il y eut à Rochefort une autre maladie épidémique, qu'on appelle de Siam, beaucoup plus cruelle que la dyssenterie, nouvelle dans nos climats, et effrayante par le seul spectacle. Begon, intendant de cette ville, demanda au roi M. Chirac, déjà très-célèbre, singulièrement pour les cas extraordinaires. Il eut recours à l'ouverture des cadavres, plus nécessaire que jamais dans un mal inconnu. Il en ouvrit peut-être cinq cents, travail énorme, et qui demandait une violente passion de s'instruire. Il vit le mal dans ses sources, et s'en assura si bien, que comme il crut qu'il en pourrait être attaqué lui-même, il composa un grand mémoire de la manière dont il voulait être traité en ce cas-là, et de tout ce qu'il y avait à faire selon les différens accidens dont la maladie était susceptible; car il prévoyait tout, il détaillait tout. Il chargeait de l'exécution un chirurgien seul, en qui il avait pris confiance, et priait instamment Begon de ne pas permettre qu'aucun autre s'en mêlât. Pour l'honneur de Chirac, il fut attaqué de la maladie, traité selon ses ordres, et guéri. Il lui en resta seulement la suite ordinaire, une jaunisse, et sa convalescence fut très-longue.

Ce fut pendant ce séjour de Rochefort, où il traita beaucoup de petites véroles, qu'il découvrit que dans ceux qui en étaient morts, il y avait inflammation de cerveau. Il eût fallu les saigner pour la prévenir, et même saigner du pied, pour faire une diversion ou révulsion du sang en en bas. Mais saigner dans la petite vérole! saigner du pied, surtout des hommes! quelle étrange pratique! n'en meurt-on pas toujours? Et en effet; la

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