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cine, ou à Saint-Côme, osa se produire dans le beau monde, présentée de sa main.

Je me souviens d'avoir vu des gens de ce monde-là qui portaient sur eux des pièces sèches préparées par lui, pour avoir le plaisir de les montrer dans les compagnies : surtout celles qui. appartenaient aux sujets les plus intéressans. Les sciences ne demandent pas à conquérir l'univers; elles ne le peuvent ni ne le doivent elles sont à leur plus haut point de gloire, quand ceux qui ne s'y attachent pas, les connaissent assez pour en sentir le prix et l'importance.

Il entra en 1676 dans l'académie, qui ne comptait encore que dix années depuis son établissement. On crut réparer par lui la perte que la compagnie avait faite de Gayent et Pecquet, tous deux habiles anatomistes, mais le dernier plus fameux par la découverte du réservoir du chyle, et du canal thorachique. Du caractère dont était du Verney, il n'avait pas besoin de grands motifs pour prendre beaucoup d'ardeur. Il se mit à travailler à l'histoire naturelle des animaux, qui faisait alors une partie des occupations de l'académie, et il tient beaucoup de place dans l'histoire latine de du Hamel.

Quand ceux qui étaient chargés de l'éducation du dauphin aïeul du roi, songèrent à lui donner des connaissances de physique, on fit l'honneur à l'académie de tirer de son corps ceux qui auraient cette fonction; et ce furent Roemer pour les expériences générales, et du Verney pour l'anatomie. Celui-ci préparait les parties à Paris, et les transportait à Saint-Germain ou à Versailles. Là, il trouvait un auditoire redoutable; le dauphin environné du duc de Montausier, de l'évêque de Meaux, de Huet, depuis évêque d'Avranches, de Cordemoy, qui tous, en ne comptant pour rien les titres, quoiqu'ils fassent toujours leur impression, étaient fort savans, et fort capables de juger même de ce qui leur eût été nouveau. Les démonstrations d'anatomie réussirent si bien auprès du jeune prince, qu'il offrit quelquefois de ne point aller à la chasse si on les lui pouvait continuer après son dîner.

Ce qui avait été fait chez lui, se recommençait chez M. de Meaux avec plus d'étendue et de détail. Il s'y assemblait de nouveaux auditeurs, tels que le duc de Chevreuse, le P. de la Chaise, Dodart, tous ceux que leur goût y attirait, et qui se sentaient dignes d'y paraître. Du Verney fut de cette sorte pendant près d'un an l'anatomiste des courtisans, connu de tous et presque ami de ceux qui avaient le plus de mérite. Ses succès de Paris l'avaient porté à la cour, et il en revint à Paris avec ce je ne sais quoi de plus brillant que donnent les succès de la cour.

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Les fatigues de son métier, très-pénible par lui-même, et plus pénible pour lui que pour tout autre, lui causèrent un mal de poitrine si violent, qu'on lui crut un ulcère au poumon. Il en revint cependant, bien résolu à se ménager davantage à l'avenir. Mais comment exécuter cette résolution? Comment résister à mille choses qui s'offraient, et qui forçaient ses regards et ses recherches à se tourner de leur côté? Comment leur refuser ses nuits, même après les jours entiers? Souvent l'anatomie ne souffre pas de délais; mais quand elle en eût souffert, en pouvait-il prendre?

En 1679, il fut nommé professeur d'anatomie au jardin. royal, et il alla en Basse-Bretagne pour y faire des dissections de poissons, envoyé dans cette vue avec la Hire, qui devait avoir d'autres occupations. Ils furent envoyés tous deux l'année suivante sur la côte de Bayonne pour les mêmes desseins. Il entra dans une anatomie toute nouvelle ; mais il ne put qu'ébaucher la matière, et depuis son retour la seule structure des ouïes de la carpe lui coûta plus de temps que tous les poissons qu'il avait étudiés dans ses deux voyages.

Il mit les exercices anatomiques du jardin royal sur un pied où ils n'avaient pas encore été. On vit avec étonnement la foule d'écoliers qui s'y rendaient, et on compta en une année jusqu'à cent quarante étrangers. Plusieurs d'entre eux, retournés dans leur pays, ont été de grands médecins, de grands chirurgiens, et ils ont semé dans toute l'Europe le nom et les louanges de leur maître. Sans doute ils ont souvent fait valoir son autorité, et se sont servis du fameux il l'a dit. Nous avons rapporté dans l'éloge de Lemery (1), qu'il faisait ici en même temps des cours de chymie avec le même éclat. Une nation qui aurait pris sur les autres une certaine supériorité dans les sciences, s'apercevrait bientôt que cette gloire ne serait pas stérile, et qu'il lui en reviendrait des avantages aussi réels que d'une marchandise nécessaire et précieuse, dont elle ferait seule le

commerce.

Il publia en 1683 son Traité de l'organe de l'ouïe, qui fut traduit en latin dès l'année suivante, et imprimé à Nuremberg. Cette traduction a été insérée dans la bibliothéque anatomique de Manget. On sera surpris que ce soit là le seul qu'ait donné du Verney, vu le long temps qu'il a vécu depuis ; mais quand on le connaîtra bien, on sera surpris au contraire qu'il l'ait donné. Jamais il ne se contentait pleinement sur un sujet, et ceux qui ont quelque idée de la nature le lui pardonneront. Il faisait d'une partie qu'il examinait, toutes les diffe(1) Voyez l'Hist. de 1715, p. 74 et 75.

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rentes qu'il pouvait imaginer : pour la voir de tous les sens, il employait toutes les injections; et cela demande déjà un temps infini, ne fût-ce qu'en tentatives inutiles. Mais il arrivait ce qui arrive presque toujours, des discussions poussées dans un grand détail; elles ne lèvent guère une difficulté sans en faire naître une autre cette nouvelle difficulté qu'on veut suivre, produit aussi sa difficulté incidente, et on se trouve engagé dans un labyrinthe. De plus, un premier travail qui aurait voulu être continué, est interrompu par un autre, que quelques circonstances, ou, si l'on veut, la simple curiosité, rendent indispensable. Une connaissance acquise comme par hasard, aura une espèce d'effet rétroactif, qui détruira ou modifiera beaucoup des connaissances précédentes qu'on croyait absolument sûres. Ajoutez à ce fonds d'embarras que produit la nature de l'anatomie, une peur de se méprendre, une frayeur des jugemens du public, qui ne peut guère être excessive, et l'on concevra sans peine qu'un très-habile anatomiste peut n'avoir pas imprimé. Il faut pourtant avouer qu'un trop grand amour de la perfection, ou une trop grande délicatesse de gloire, feront perdre au public une infinité de vues et d'idées, qui, pour être d'une certaine utilité, n'auraient pas eu besoin d'une entière certitude, ou d'une précision parfaite.

Du Verney fut assez long-temps le seul anatomiste de l'académie, et ce ne fut qu'en 1684 qu'on lui joignit Mery (1). Ils n'avaient rien de commun qu'une extrême passion pour la même science, et beaucoup de capacité; du reste presque entièrement opposés, surtout à l'égard des talens extérieurs. Si l'on pouvait quelquefois craindre que par le don de la parole du Verney n'eût la facilité de tourner les faits selon ses idées, on était sûr que Mery ne pouvait que se renfermer dans une sévère exactitude des faits, et que l'un eût tenu en respect l'éloquence de l'autre. Le grand avantage des compagnies résulte de cet équilibre des caractères. On remarqua que du Verney prit un nouveau feu par cette espèce de rivalité. Elle n'éclata jamais davantage que dans la fameuse question de la circulation du sang du fœtus dont nous avons tant parlé. Elle le conduisit à examiner d'autres sujets qui pouvaient y avoir rapport, la circulation dans les amphibies, tels que la grenouille; car le fœtus, qui vit d'abord sans respirer l'air, et ensuite en le respirant, est une espèce d'amphibie. Ceux-là le conduisaient à d'autres animaux approchans, sans être amphibies, comme le crapaud; et enfin aux insectes, qui font un genre à part, et offrent un spectacle tout nouveau.

(1) Voyez l'Hist. de 1712, p. 130.

Aussi excellait-il dans l'anatomie comparée, qui est l'anatomie prise le plus en grand qu'il soit possible, et dans une étendue où peu de gens la peuvent embrasser. Il est vrai que pour nous et pour nos besoins, la structure du corps humain paraîtrait suffire; mais on le connaît mieux quand on connaît aussi toutes les autres machines faites à peu près sur le même dessin. Après celles-là il s'en présente d'autres d'un dessin fort différent il y aura moins d'utilité à les étudier, à cause de la grande différence; mais par cette raison-là même la curiosité sera plus piquée, et la curiosité n'a-t-elle pas ses besoins?

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Dans les premiers temps de ses exercices du jardin royal, il faisait et les démonstrations des parties qu'il avait préparées, et les discours qui expliquaient les usages, les maladies, les cures, et résolvaient les difficultés. Mais sa faiblesse de poitrine, qui se faisait toujours sentir, ne lui permit pas de conserver les deux fonctions à la fois. Un habile chirurgien choisi par lui, faisait sous lui les démonstrations, et il ne lui restait plus que les discours, dans lesquels il avait de la peine à se renfermer. C'est lui qui a le premier enseigné en ce lieu-là l'ostéologie et les maladies des os.

De son cabinet, où il avait étudié des cadavres ou des squelettes, il allait dans les hôpitaux de Paris, où il étudiait ceux dont les maux avaient rapport à l'anatomie. Si la machine du corps disséquée et démontrée présente encore tant d'énigmes très-difficiles et très-obscures, à plus forte raison la machine vivante, où tout est sans comparaison moins exposé à la vue, plus enveloppé, plus équivoque. C'était là qu'il appliquait sa theorie aux faits, et qu'il apprenait même ce que la seule théorie ne lui eût pas appris. En même temps il était d'un grand secours, et aux malades, et à ceux qui en étaient chargés. Quoiqu'il fût docteur en médecine, il évitait de s'engager dans aucune pratique de médecine ordinaire, quelque honorable, quelque utile qu'elle pût être : il prévoyait qu'un cas rare de chirurgie, une opération singulière, lui aurait causé une distraction indispensable; et il s'acquittait assez envers le public de son devoir de médecin, non-seulement par les instructions générales qu'il donnait sur toute l'anatomie, mais par l'utilité dont il était dans les occasions particulières.

Loin d'avoir rien à se reprocher sur cet article, il ne se reprochait que d'être trop occupé de sa profession. Il craignait que la religion, dont il avait un sentiment très-vif, ne lui permît pas un si violent attachement, qui s'emparait de toutes ses pensées et de tout son temps. L'auteur de la nature, qu'il admirait et révérait sans cesse dans ses ouvrages si bien connus de lui,

ne lui

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paraissait pas suffisamment honoré par ce culte savant, toujours cependant accompagné du culte ordinaire le plus régulier. L'âge qui s'avançait, les infirmités qui augmentaient, contribuaient peut-être à ce scrupule, sans lui donner pourtant le pouvoir de s'y livrer entièrement.

Les mêmes raisons l'empêchèrent pendant plusieurs années de paraître à l'académie. Il demanda à être vétéran, et sa place fut remplie par Petit, docteur en médecine. Il paraissait avoir oublié l'académie, lorsque tout d'un coup il se réveilla à l'occasion de la réimpression de l'histoire naturelle des animaux, à laquelle il avait eu anciennement beaucoup de part. Il reprit à So ans des forces, de la jeunesse, pour revenir dans nos assemblées, où il parla avec toute la vivacité qu'on lui avait connue, et qu'on n'attendait plus. Une grande passion est une espèce d'ame immortelle à sa manière, et presque indépendante des organes.

Il ne perdait aucun des intervalles que lui laissaient des souffrances qui redoublaient toujours, et qui le mirent plusieurs fois au bord du tombeau. Il revoyait avec Vinslow son traité de l'oreille, dont il voulait donner une seconde édition, qui se serait bien sentie des acquisitions postérieures. Il avait entrepris un ouvrage sur les insectes, qui l'obligeait à des soins très-pénibles. Malgré son grand âge, par exemple, il passait des nuits dans les endroits les plus humides du jardin, couché sur le ventre, sans oser faire aucun mouvement, pour découvrir les allures, la conduite des limaçons, qui semblent en vouloir faire un secret impénétrable. Sa santé en souffrait, mais il aurait encore plus souffert de rien négliger. Il mourut le 10 septembre 1730, âgé de 82 ans.

Il était en commerce avec les plus grands anatomistes de son temps, Malpighi, Ruysch, Pitcarne, Bidloo, Boerhaave. J'ai vu les lettres qu'il en avait reçues; et je ne puis m'empêcher d'en traduire ici une de Pitcarne, écrite en latin, datée de l'an 1712, à cause de son caractère singulier.

Ly

Très-illustre du Verney, voici ce que t'écrit un homme qui te doit beaucoup, et qui te rend grâce de ces discours divins qu'il a entendus de toi à Paris il y a 30 ans. Je te recommande Thomson mon ami, et Ecossais. Je t'enverrai bientôt mes dissertations où je résoudrai ce problême : Une maladie étant donnée, trouver le remède. A Edimbourg, etc. Celui qui s'élevait à de pareils problêmes, et dont effectivement le nom est devenu si célèbre, se faisait honneur de se reconnaître pour disciple de du Verney. On voit de plus par des lettres de 1698, que lui qui aurait pu instruire parfaitement dans l'anatomie un frère qu'il avait, il l'en

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