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jugeait qu'elle s'était ainsi avancée après une révolution entière du globe, qui par conséquent n'aurait pas duré vingt-quatre heures. Cela était fort possible; mais il l'était aussi que le globe n'eût pas fait une révolution entière, qu'il en eût seulement continué une dont la lenteur aurait été nécessairement assez grande. On n'avait point d'exemple d'une lenteur pareille dans aucune rotation de planète; mais, quoique peu vraisemblable, elle n'a pas laissé de se trouver vraie, et Bianchini a déterminé la rotation de Vénus de vingt-quatre jours huit heures. Selon le système de Mairan, rapporté en cette année 1729 (1), cette lenteur de la rotation de Vénus est en partie une suite de la grande inclinaison de l'axe.

Enfin, une découverte très-remarquable de Bianchini est celle du parallélisme constant de l'axe de Vénus sur son orbite, pareil à celui que Copernic fut obligé de donner à la terre. Ce qu'il avait imaginé et supposé pour le besoin de son système est maintenant vérifié dans toutes les planètes dont on connaît la rotation: nulle variété à cet égard, tandis que tout le reste varie; et Copernic a eu la gloire de deviner ce qui fait aujourd'hui une des principales clefs de l'astronomie physique. Cependant Bianchini craint que ce parallélisme de Vénus et quelques autres points où la bonne astronomie le jette indispensablement, ne paraissent trop favorables à Copernic, et il a toujours grand soin d'avertir que tout cela peut s'accorder avec Tycho. Ces précautions sont nécessaires aux compatriotes de Galilée; une petite différence de climat en mettrait apparemment dans leur style.

L'ouvrage sur les phénomènes de Vénus fait mention d'une méridienne que Bianchini voulait tracer dans toute l'étendue de l'Italie, à l'exemple de la méridienne de la France, unique jusqu'à présent. Pendant l'espace de huit années il avait employé tous les intervalles de ses autres travaux à faire tous les préparatifs nécessaires pour ce grand dessein; mais il n'a pas vécu assez pour en commencer seulement l'exécution.

Nous nous arrêtons là, en avouant que nous lui faisons tort de nous y arrêter; mais la raison même qui nous y oblige tourne à sa gloire. Les vies des papes, par Anastase le bibliothécaire, dont il a donné une nouvelle édition en trois tomes in-fol., enrichie d'une infinité de recherches très-savantes, sont un trop grand ouvrage qui nous menerait trop loin, surtout après ceux du même genre dont nous avons rendu compte ; et plusieurs ouvrages moins considérables seulement par le volume sont en trop grand nombre. Il y en a même quelques-uns qui sont des pièces d'éloquence; et l'on dit qu'il embrassait jusqu'à la poésie. Il se trouve (1) Page 51 et suiv.

en effet dans son style, quand les occasions s'en présentent, une force et une beauté d'expression, des figures, des comparaisons, qui sentent le génie poétique.

L'académie le mit dès l'an 1700 dans le petit nombre de ses associés étrangers.

Il mourut d'une hydropisie le 2 mars 1729. On lui trouva un cilice, qui ne fut découvert que par sa mort; et toute sa vie, par rapport à la religion, avait été conforme à cette pratique secrète. La facilité, la candeur de ses mœurs étaient extrêmes, et encore plus, s'il se peut, son ardeur à faire plaisir. Il n'était jamais engagé dans aucune étude si intéressante pour lui, dans aucun travail dont la continuation fût si indispensable et l'interruption si nuisible, qu'il n'abandonnât tout dans le moment avec joie pour rendre un service.

Son mérite a été bien connu, et l'on pourrait dire récompensé, si l'on s'en rapportait à sa modestie. Il a eu deux canonicats dans deux des principales églises de Rome. Il a été camérier d'honneur de Clément XI, et prélat domestique de Benoît XIII, Outre le secrétariat de la congrégation du calendrier, Clément XI lui donna par une bulle une intendance générale sur toutes les antiquités de Rome auxquelles il était défendu de toucher sans sa permission. Il aurait pu aspirer plus haut dans un pays où l'on sait qu'il faut quelquefois décorer la pourpre ellemême par les talens et par le savoir; l'exemple récent du Cardinal Noris l'autorisait à prendre des vues si élevées et si flatteuses mais on assure que sa modération naturelle et la religion l'en préservèrent toujours.

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JACQUES

ÉLOGE

DE MAR ALDI.

ACQUES - PHILIPPE MARALDI naquit le 21 août 1665 à Perinaldo, dans le comté de Nice, lieu déjà honoré par la naissance du grand Cassini. Il fut fils de François Maraldi et d'Angela Catherine Cassini, sœur de ce fameux astronome.

Après qu'il eût fini avec distinction le cours des études ordinaires, son goût naturel le porta aux sciences plus élevées, aux mathématiques; et il y avait fait tant de progrès à l'âge de vingtdeux ans, que son oncle, établi en France depuis plusieurs années, l'y appela en 1687 pour cultiver lui-même ses talens, et les faire connaître dans un pays où l'on avait eu un soin singulier d'en rassembler de toutes parts. Sans doute Cassini, étranger et circonspect comme il était, ne se fût pas chargé d'un

neveu dont il n'eût pas beaucoup espéré, et qui lui aurait été plus reproché que tout autre qu'il eût mis à la même place.

Dès les premiers temps que Maraldi se mit à observer le ciel il conçut le dessein de faire un catalogue des étoiles fixes. Ce catalogue est la pièce fondamentale de tout l'édifice de l'astronomie. Les fixes, qui à la vérité ont un mouvement, mais d'une extrême lenteur, et d'une quantité présentement bien connue, et qui d'ailleurs ne changent point de situation entre elles, sont prises pour des points immobiles auxquels ont rapport tous les mouvemens qui sont au-dessous d'elles, ceux des planètes et des comètes ; et par là il est de la dernière importance de connaître exactement et le nombre et la position de ces points lumineux qui régleront tout. Non-seulement les télescopes ont prodigieusement enrichi le ciel de fixes, auparavant invisibles; mais la simple vue, plus attentive et mieux dirigée, en a porté le nombre beaucoup au-delà de celui que les anciens avaient prétendu déterminer à peu près, et c'est proprement de nos jours. qu'il n'est presque plus permis de les compter. Mais que ne peut, la curiosité ingénieuse et opiniâtre? On les compte, ou du moins on leur assigne à toutes leurs places dans leurs constellations. Le catalogue de Bayer est celui dont les astronomes se servent le plus ordinairement, et auquel ils semblent être convenus de donner leur confiance: mais Maraldi crut pouvoir porter la précision et l'exactitude au-delà de celles de tous les catalogues connus, et il se détermina courageusement à en faire un nouveau.

Quelques efforts d'esprit que l'on fasse, et quelque assiduité qué l'on y donne, on est trop heureux quand il n'en coûte que de demeurer dans son cabinet. Ces veilles, que les savans et les poëtes même ont tant de soin de faire valoir, prises dans le sens le plus littéral, ne sont pas des veilles en comparaison de celles qui se font en plein air et en toutes saisons pour étudier le ciel. Le géomètre le plus laborieux mène presque une vie molle au prix d'un astronome également occupé de sa science. Surtout quand on a entrepris un catalogue des fixes, on n'a point trop de toutes les nuits de l'année : les seules que l'on ait de relâche sont celles où le ciel est trop couvert; encore se plaint-on de cette grâce de la nature. Aussi Maraldi altéra-t-il beaucoup sa santé par un si long et si rude travail; il en contracta de fréquens maux d'estomac, dont il s'est toujours ressenti, parce qu'il ne put pas s'empêcher d'en entretenir toujours la cause.

Cependant il communiquait assez facilement ce qui lui avait tant coûté. De son ouvrage, qui n'est encore que manuscrit, il en a détaché des positions d'étoiles, dont quelques auteurs avaient besoin; par exemple, Delisle, pour son globe céleste;

Manfredi pour ses éphémérides; Isaac Broukner pour le globe dont il a été parlé en 1725 (1).

Son catalogue n'était pas seulement sur le papier; il était tellement gravé dans sa tête, qu'on ne lui pouvait désigner aucune étoile quoique presque imperceptible à la vue, qu'il ne dit sur-le-champ la place qu'elle occupait dans sa constellation. Puisque les étoiles ont été appelées dans les livres saints l'armée du ciel, on pourrait dire que Maraldi connaissait toute cette armée, comme Cyrus connaissait la sienne.

Quelquefois de petites comètes, et qui durent peu, ne sont pas reconnues pour comètes, , parce qu'on les prend pour des étoiles de la constellation où elles paraissent ; et cela, faute de savoir assez de quel assemblage d'étoiles cette constellation est composée. Peut-être croira-t-on que ce ne serait pas un grand malheur d'ignorer une comète si petite et de si peu de durée, qu'elle ne devait pas dans la suite se faire remarquer. Mais les astronomes n'en jugent pas ainsi. Ils ont tous aujourd'hui une extrême ardeur pour le système des comètes, qui fait à notre égard les dernières limites du système entier de l'univers; et ils ne veulent rien perdre de tout ce qui peut conduire à en avoir quelque connaissance; tout sera mis à profit. Il était difficile que des phénomènes célestes échappassent à Maraldi : la plus petite nouveauté dans le ciel frappait aussitôt des yeux si accoutumés à ce grand objet. Ceux qui observaient en même lieu que lui, et qui auraient pu être jaloux des premières décou vertes, avouent que le plus souvent c'est lui qui en a eu l'hon

neur.

La construction du catalogue, des observations, soit journalières, soit rares, et dont le temps se fait beaucoup attendre, comme celles des phases de l'anneau de Saturne, des déterminations de retours d'étoiles fixes, qui disparaissent quelquefois, des applications adroites des méthodes données par Cassini, des vérifications de théories dont il est important de s'assurer, corrections d'autres théories qui peuvent recevoir plus d'exactitude; voilà tous les événemens de la vie de Maraldi : nos histoires en sont pleines, et ont fait d'avance une grande partie de son éloge.

des

royaume,

Il travailla sous Cassini en 1700 à la prolongation de la fameuse méridienne jusqu'à l'extrémité méridionale du et eut beaucoup de part à ce grand ouvrage. De là il alla en Italie; et comme alors on travaillait à Rome sur la grande affaire du calendrier dont nous avons parlé en 1700 (2) et

(1) Pages 103 et 104.

(2) Page 127, seconde édition.

1701 (1), le pape Clément XI profita de l'heureuse occasion d'y einployer un astronome formé par Cassini. Il donna entrée à Maraldi dans les congrégations qui se tenaient sur ce sujet. Bianchini, lié d'une grande amitié avec Cassini, ne manqua pas de s'associer son neveu dans la construction d'une grande méridienne qu'il traçait pour l'église des Chartreux de Rome, à l'imitation de celle de Saint-Petrone, de Bologne, tracée par celui qu'ils reconnaissaient tous deux pour leur maître.

En 1718, Maraldi alla avec trois autres académiciens terminer la grande méridienne du côté du septentrion. A ces voyages près, il a passé sa vie, depuis son arrivée à Paris, renfermé dans l'observatoire; ou plutôt il l'a passée toute entière renfermé dans le ciel, d'où ses regards et ses recherches ne sortaient point.

Il se délassait pourtant quelquefois; il prenait des divertissemens. Il faisait des observations physiques sur des insectes, sur des pétrifications curieuses, sur la culture des plantes, partie de la botanique à laquelle il serait temps que l'on songeât autant qu'on a fait jusqu'ici à la nomenclature, qui n'est qu'un préliminaire. Ce n'est pas que ce préliminaire soit fini : s'il doit l'être jamais, ce ne sera que dans plusieurs siècles; mais on l'a mis en état de permettre que l'on aille désormais plus avant. Nous avons rendu compte en 1712 (2) de la plus importante observation terrestre de Maraldi : c'est celle des abeilles qui, malgré l'agrément naturel du sujet, a demandé un travail trèsfatigant par la longue assiduité de plusieurs années, et par l'extrême difficulté de bien voir tout ce qui se passait dans ce merveilleux petit état.

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Il ne restait plus à Maraldi, pour achever son catalogue des fixes, que d'en déterminer quelques-unes vers le zénith et vers le nord; et dans ce dessein, il venait, de placer un quart de cercle mural sur le haut de la terrasse de l'observatoire, lorsqu'il tomba malade. Il employa le seul remède auquel il eût confiance, une diète austère: il s'en était toujours bien trouvé; mais nul remède ne réussit toujours. Il mourut le premier décembre 1729.

Son caractère était celui que les sciences donnent ordinairement à ceux qui en font leur unique occupation, du sérieux, de la simplicité, de la droiture; mais ce qui n'est pas si commun, c'est le sentiment de la reconnaissance porté au plus haut point, tel qu'il l'avait pour son oncle. Il voulait le veiller luimême dans ses maladies, et il y apportait le soin le plus attentif (1) Page 105, seconde édition.

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