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ce qui le dédommageait bien, il se rendait plus généralement utile. Il fit paraître en 1714 sa science du calcul. Le censeur royal, juge excellent et reconnu pour très-incorruptible, dit dans l'approbation de cet ouvrage, que, quoiqu'il y en ait déjà plusieurs sur ces matières, on avait besoin de celui-là où tout est traité avec toute l'étendue nécessaire, et avec toute l'exactitude et toute la clarté possible. En effet, dans toutes les parties de mathématiques il y a beaucoup de bons livres quien traitent à fond, et on se plaint que l'on n'a pas de bons élémens, même pour la simple géométrie. Cela ne viendrait-il point de ce que, pour faire de bons élémens, il faudrait savoir beaucoup plus que le livre ne contiendra? Ceux qui ne savent guère que ce qu'il doit contenir, se pressent de faire des élémens; mais ils ne savent pas assez. Ceux qui savent assez dédaignent de faire des élémens; ils brilleront davantage dans d'autres entreprises. Le savoir et la modestie du père Reyneau s'accordaient pour le rendre propre à ce travail. Il n'a paru encore que le premier volume in-4° de cette science du calcul. On a trouvé dans ses papiers une grande partie de ce qui doit composer le second: mais cela demande encore les soins d'un ami intelligent et zélé; et cet ami sera le P. de Mazière, son confrère, déjà connu par un prix qu'il a remporté dans cette académie.

Lorsque par le réglement de 1716 cette compagnie eut de nouveaux membres sous le titre d'associés libres, le père Reyneau fut aussitôt de ce nombre. Nous pouvons nous faire honneur de son assiduité à nos assemblées : il aimait la retraite, et par goût, et par principes de piété; il lui était d'ailleurs survenu une assez grande difficulté d'entendre; cependant il ne manquait guère de venir ici, et il fallait qu'il comptât bien d'en remporter toujours quelque chose qui le payât. On a pu remarquer qu'il était également curieux de toutes les différentes matières qui se traitent dans l'académie, et qu'il leur donnait également une attention qui lui coûtait.

Il fut obligé dans ses dernières années de se ménager sur le travail; et enfin, après s'être toujours affaibli pendant quelque temps, il mourut le 24 février 1728.

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Sa vie a été la plus simple et la plus uniforme qu'il soit possible l'étude, la prière, deux ouvrages de mathématique en sont tous les événemens. Il fallait qu'il fût beaucoup plus que · modeste, pour dire, comme il a fait quelquefois, qu'on avait bien de la patience de le souffrir dans l'oratoire; et qu'apparemment c'était en considération d'un frère qu'il a dans la même congrégation, et qui s'est acquitté avec succès de différens emplois : discours qui ne pouvait être que sincère dans la bouche d'un homme trop éclairé pour croire que l'humilité chrétienne

consistat en des paroles. Jamais personne n'a plus craint que lui d'incommoder les autres; et, près de mourir, il refusait les soins d'un petit domestique, qu'il aurait peut-être gêné. Il se tenait fort à l'écart de toute affaire, encore plus de toute intrigue; et il comptait pour beaucoup cet avantage si peu recherché, de n'être de rien. Seulement il se mêlait d'encourager au travail, et de conduire, quand il le fallait, de jeunes gens à qui il trouvait du talent pour les mathématiques; et il ne recevait guère de visites que de ceux avec qui il ne perdait pas son temps, parce qu'ils avaient besoin de lui. Aussi avait-il peu de liaisons, peu de commerces. Ses principaux amis ont été le P. Malebranche, dont il adoptait tous les principes, et M. le Chancelier. Nous ne craignons point de mettre ces deux noms au même rang la première dignité du royaume est si peu nécessaire au Chancelier pour l'illustrer, qu'on peut ne le traiter que de grand homme.

ÉLOGE

DU MARECHAL DE TALLARD.

CAMILLE D'HOSTUN naquit le 14 février 1652 de Roger d'Hostun, marquis de la Beaume, et de Catherine de Bonne, fille et unique héritière d'Alexandre de Bonne d'Auriae, vicomte de Tallard. Sa naissance le destinait à la guerre, et encore plus son inclination. Il entra dans le service aussitôt qu'il put y entrer : il fut mestre de camp du régiment des Cravattes en 1668, c'est-à-dire à l'âge de 16 ans; et en 1672 il suivit le roi à la campagne de Hollande. Nous supprimons un détail trop militaire des différentes actions où il se trouva pendant le cours de cette guerre, des blessures qu'il reçut : nous ne rapporterons qu'un trait qui prouvera combien sa valeur, et même sa capacité dans le commandement furent connues de bonne heure, et estimées par le meilleur juge qu'on puisse nommer. Turenne le choisit en 1674 pour commander le corps de bataille de son armée aux combats de Mulhausen et de Turkeim.

Dans la guerre suivante, qui commença en 1688, il eut presque toujours non-seulement des commandemens particuliers pendant les hivers, mais des corps d'armée séparés sous ses ordres seuls pendant les étés. Il commandait l'hiver en 1690 dans les pays situés entre l'Alsace, la Sarre, la Moselle et le Rhin, lorsqu'il conçut le dessein, presque téméraire, de passer le Rhin sur la glace, pour mettre à contribution le Bergstrat

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et le Rhingau, et y réussit. Il fut fait lieutenant - général en 1693.

Après cette guerre, terminée en 1697, l'Europe se voyait sur le point de retomber dans un trouble du moins aussi grand, par la mort de Charles II, roi d'Espagne. Toutes les cours étaient pleines de prétentions, de projets, d'espérances, de craintes, et toutes auraient souhaité qu'une heureuse négociation eût pu prévenir l'embrâsement général dont on était menacé. Ce fut pour cette négociation, qui demandait les vues les plus pénétrantes et la plus fine dextérité, que le roi nomma le comte de Tallard seul. Il l'envoya en Angleterre ambassadeur extraordinaire, chargé de ses pleins pouvoirs et de ceux du Dauphin, pour y traiter de ses droits à la succession d'Espagne avec l'empereur, le roi Guillaume et les états-généraux. Un homme de guerre fit tout ce qu'on aurait attendu de ceux qui ne se sont exercés que dans les affaires du cabinet, et qui s'y sont exercés avec le plus de succès. Il conclut un traité de partage en faveur du prince de Bavière en 1698: mais ce prince étant mort peu de temps après, tout changea de face; l'habileté politique du comte de Tallard fut mise à une épreuve toute nouvelle, et il vint à bout de conclure un second traité. Le roi lui en marqua son entière satisfaction, en le faisant chevalier de ses ordres, et gouverneur du comté de Foix.

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On ne sait que trop que la sage prévoyance des négociations fut inutile. Après la mort du roi d'Espagne, arrivée en 1700, guerre se ralluma l'année suivante. Les ennemis ayant assiégé Keyservert en 1702, le comte de Tallard, qui commandait un corps destiné à agir sur le Rhin, leur en fit durer le siége pendant cinquante jours de tranchée ouverte. Souvent pour ces chicanes de guerre bien conduites, il faut plus d'activité, plus de vigilance, plus d'habileté que pour des actions plus brillantes. Il chassa aussi les Hollandais du camp de Mulheim où ils s'étaient établis, et soumit Traerbach à l'obéissance du roi.

Il avait passé par toutes les occasions qui pouvaient prouver ses talens dans le métier de la guerre, et par tous les grades qui devaient les récompenser, à l'exception d'un seul; il l'obtint de la justice du roi au commencement de 1703, et fut fait màréchal de France. A peine était-il revêtu de cette dignité, qu'il vola au secours de Traerbach, que le prince héréditaire de Hesse assiégeait avec toutes ses forces; et il conserva à la France cette conquête qu'elle lui devait.

Dans la même année, il commanda l'armée d'Allemagne sous l'autorité du duc de Bourgogne; et après avoir tenu long

temps les ennemis en suspens sur ses desseins, il forma le siége de Brisac, et prit cette importante place. Le prince étant parti de l'armée, le maréchal de Tallard entreprit le siége de Landau, place non moins considérable que Brisac. Les ennemis, forts de 30,000 hommes, marchèrent pour secourir Landau; et le maréchal ayant laissé une partie de son armée au siége alla avec l'autre leur livrer bataille dans la plaine de Spire, et les défit. Il leur prit trente pièces de canon et plus de 4000 prisonniers. Landau, qui se rendit le même jour, et la soumission de tout le Palatinat, furent les fruits incontestables de la victoire.

Les états ne peuvent pas plus que les particuliers se flatter d'une prospérité durable. L'année 1704 mit fin à cette longue suite d'avantages remportés jusques-là par nos armes, et la fortune de la France changea. Une armée française, qui sous la conduite du maréchal de Villars avait pénétré dans le cœur de l'Allemagne, commandée ensuite par les maréchaux de Tallard et de Marsi, sous l'autorité de l'électeur de Bavière, fut absolument défaite à Hochstet, le maréchal de Tallard blessé, pris et conduit en Angleterre, où il fut détenu sept ans. Le roi opposa ses faveurs aux disgrâces de la fortune; et peu de mois après la bataille d'Hochstet, il nomma le maréchal de Tallard gouverneur de Franche-Comté, pour l'assurer qu'il ne jugeait pas de lui par cet événement; consolation la plus flatteuse qu'il pût recevoir, et qui cependant devait encore augmenter la douleur de n'avoir pas en cette occasion servi heureusement un pareil maître. Quand il fut revenu d'Angleterre, le roi le fit duc en 1712, et ensuite pair de France en 1715.

Mais ces grands titres, quoique les premiers de l'état, sont presque communs en comparaison de l'honneur que le roi lui fit en le nommant par son testament pour être du conseil de régence. Ce testament n'eut pas d'exécution, et Tallard fut quelque temps oublié mais cette place, qui lui avait été destinée, lui fut bientôt après rendue par le duc d'Orléans, et d'autant plus glorieusement, que ce grand prince si éclairé paraissait en quelque sorte se rendre au besoin qu'on avait du maréchal de Tallard. Enfin, sitôt que le roi eut pris en 1726 la résolution de gouverner par lui-même son royaume, il appela ce maréchal à son conseil suprême, en qualité de ministre d'état.

Comblé de tant d'honneurs capables de remplir la plus vaste ambition, il désira d'être de cette académie; il ne lui restait plus d'autre espèce de mérite à prouver, que le goût des sciences. Il entra honoraire dans la compagnie en 1723, et l'année sui

vante nous l'eûmes à notre tête en qualité de président. Après avoir commandé des armées, il ne négligea aucune des fonctions d'un commandement si peu brillant par rapport à l'autre, et s'appliqua avec soin à tout ce qui lui en était nouveau.

Il avait une constitution assez ferme, et il parvint à l'âge de soixante-seize ans avec une santé qui n'avait été guère altérée ni par les travaux du corps, ni par ceux de l'esprit, ni par toute l'agitation des divers événemens de sa vie. Il mourut le 29 mars 1728.

Il avait épousé en 1667 Marie-Catherine de Grollée de Dorgeoise de la Tivolière. Il en a eu deux fils dont l'aîné fut tué à la bataille d'Hochstet, et le second est le duc de Tallárd; et une fille, qui est la marquise de Sassenage.

ÉLOGE

DU P. SÉBASTIEN TRUCHET, Carme.

JEAN

EAN TRUCHET naquit à Lyon en 1657 d'un marchand fort homme de bien, dont la mort le laissa encore très-jeune entre les mains d'une mère pieuse aussi, qui le chérissait tendrement, et ne négligea rien pour son éducation. Dès l'âge de dix-sept ans il entra dans l'ordre des Carmes, et prit le nom de Sébastien; car cet ordre est de ceux où l'on porte le renoncement au monde, jusqu'à changer son nom de baptême. Il n'a été connu que sous celui de frère ou de père Sébastien; et il le choisit par affection pour sa mère, qui se nommait Sébastiane.

Ceux qui ont quelque talent singulier, peuvent l'ignorer quelque temps, et ils en sont d'ordinaire avertis par quelque petit événement, par quelque hasard favorable. Un homme destiné à être un grand mécanicien, ne pouvait être placé par le hasard de la naissance dans un lieu où il en fût ni plus promptement, ni mieux averti qu'à Lyon. Là était le fameux cabinet de Servière, gentilhomme d'une ancienne noblesse, qui, après avoir long-temps servi, mais peu utilement pour sa fortune, parce qu'il n'avait songé qu'à bien servir, s'était retiré couvert de blessures, et avait employé son loisir à imaginer et à exécuter lui-même un grand nombre d'ouvrages de tours nouveaux, de différentes horloges, de modèles d'inventions propres pour la guerre ou pour les arts. Il n'y avait rien de plus célèbre en France que ce cabinet, rien que les voyageurs et les étrangers eussent été plus honteux de n'avoir pas vu. Ce fut là que le P. Sébastien s'aperçut de son génie pour la mécanique. La plupart des pièces

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