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l'autre le nom de Newton, peut-être ce public serait-il quelque temps en suspens, et peut-être serait-il excusable.

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Dès que l'académie des sciences, par le règlement de 1699, put choisir des associés étrangers, elle ne manqua pas de se donner Newton. Il entretint toujours commerce avec elle, en lui envoyant tout ce qui paraissait de lui. C'étaient ses anciens travaux, ou qu'il faisait réimprimer, ou qu'il donnait pour la première fois. Depuis qu'il fut employé à la monnaie ce qui était arrivé déjà quelque temps auparavant, il ne s'engagea plus dans aucune entreprise considérable de mathématique ni de philosophie. Car, quoique l'on pût compter pour une entreprise considérable la solution du fameux problême des trajectoires, proposé aux Anglais comme un défi par Leibnitz pendant sa contestation avec eux, et recherché bien soigneusement pour l'embarras et la difficulté, ce ne fut .presque qu'un jeu pour Newton. On assure qu'il reçut ce problême à quatre heures du soir, revenant de la monnaie fort fatigué, et ne se coucha point qu'il n'en fût venu à bout. Après avoir servi si utilement dans les connaissances spéculatives toute l'Europe savante, il servit uniquement sa patrie dans des affaires dont l'utilité était plus sensible et plus directe, plaisir touchant pour tout bon citoyen: mais tout le temps qu'il avait libre, il le donnait à la curiosité de son esprit, qui ne se faisait point une gloire de dédaigner aucune sorte de connaissance, et savait se nourrir de tout. On a `trouvé de lui, après sa mort, quantité d'écrits sur l'antiquité, sur l'histoire, sur la théologie même si éloignée des sciences par où il est connu. Il ne se permettait, ni de passer des momens oisifs sans s'occuper, ni de s'occuper légèrement et avec une faible attention.

Sa santé fut toujours ferme et égale jusqu'à l'âge de quatrevingts ans, circonstance très-essentielle du rare bonheur dont il a joui. Alors il commença à être incommodé d'une incontinence d'urine; encore dans les cinq années suivantes qui précédèrent sa mort, eut-il de grands intervalles de santé, ou d'un état fort tolérable, qu'il se procurait par le régime et par des attentions dont il n'avait pas eu besoin jusques-là. Il fut obligé de se reposer de ses fonctions à la monnaie sur M. Conduitt, qui avait épousé une de ses nièces; il ne s'y résolut que parce qu'il était bien sûr de remettre en bonnes mains un dépôt si important et si délicat. Son jugement a été confirmé depuis sa mort par choix du roi, qui a donné cette place à Conduitt. Newton ne souffrit beaucoup que dans les derniers vingt jours de sa vie. On jugea sûrement qu'il avait la pierre et qu'il n'en pouvait revenir. Dans des accès de douleur si violens que les gouttes de

le

sueur lui en coulaient sur le visage, il ne poussa jamais un cri, ni ne donna aucun signe d'impatience; et dès qu'il avait quelques momens de relâche, il souriait et parlait avec sa gaieté ordinaire. Jusques-là il avait toujours lu ou écrit plusieurs heures par jour. Il lut les gazettes le samedi 18 mars V. S. au matin, et parla long-temps avec le docteur Mead, médecin célèbre. Il possédait parfaitement tous ses sens et tout son esprit ; mais le soir il perdit absolument la connaissance, et ne la reprit plus, comme si les facultés de son âme n'avaient été sujettes qu'à s'éteindre totalement, et non pas à s'affaiblir. Il mourut le lundi suivant 20 mars, âgé de quatre-vingt-cinq ans.

Son corps fut exposé sur un lit de parade dans la chambre de Jérusalem, endroit d'où l'on porte au lieu de leur sépulture les personnes du plus haut rang, et quelquefois les têtes couronnées. On le porta dans l'abbaye de Westminster, le poêle étant soutenu par mylord grand chancelier, par les ducs de Montrose et Roxburgh, et par les comtes de Pembrocke, de Sussex et de Maclesfield. Ces six pairs d'Angleterre qui firent cette fonction solennelle, font assez juger quel nombre de personnes de distinction grossirent la pompe funèbre. L'évêque de Rochester fit le service, accompagné de tout le clergé de l'église. Le corps fut enterré près de l'entrée du chœur. Il faudrait presque remonter chez les anciens Grecs, si l'on voulait trouver des exemples d'une aussi grande vénération pour le savoir. La famille de Newton imite encore la Grèce de plus près par un monument qu'elle lui a fait élever, et auquel elle a employé une somme considérable. Le doyen et le chapitre de Westminster ont permis qu'on le construisît dans un endroit de l'abbaye qui a souvent été refusé à la plus haute noblesse. La patrie et la famille ont fait éclater pour lui la même reconnaissance, que s'il les avait choisies.

Il avait la taille médiocre, avec un peu d'embonpoint dans ses dernières années, l'œil fort vif et fort perçant; la physionomie agréable et vénérable en même temps, principalement quand il ôtait sa perruque, et laissait voir une chevelure toute blanche, épaisse et bien fournie. Il ne se servit jamais de lunettes, et ne perdit qu'une seule dent pendant toute sa vie. Son nom doit justifier ces petits détails.

Il était né fort doux, et avec un grand amour pour la tranquillité. Il aurait mieux aimé être inconnu, que de voir le calme de sa vie troublé par ces orages littéraires que l'esprit et la science attirent à ceux qui s'élèvent trop. On voit par une de ses lettres du Commercium epistolicum, que son traité d'optique étant prêt à imprimer, des objections prématurées qui s'élevèrent lui firent abandonner alors ce dessein. Je me reprocherais, dit-il, mon im

prudence de perdre une chose aussi réelle que le repos, pour courir après une ombre. Mais cette ombre ne lui a pas échappé dans la suite; il ne lui en a pas coûté son repos qu'il estimait tant, et elle a eu pour lui autant de réalité que ce repos même.

Un caractère doux promet naturellement de la modestie, et on atteste que la sienne s'est toujours conservée sans altération, quoique tout le monde fût conjuré contre elle. Il ne parlait jamais ou de lui ou des autres; il n'agissait jamais d'une manière à faire soupçonner aux observateurs les plus malins le moindre sentiment de vanité. Il est vrai qu'on lui épargnait assez le soin de se faire valoir; mais combien d'autres n'auraient pas laissé de prendre encore un soin dont on se charge si volontiers, et dont il est si difficile de se reposer sur personne! Combien de grands hommes généralement applaudis ont gâté le concert de leurs louanges en y mêlant leurs voix.

Il était simple, affable, toujours de niveau avec tout le monde. Les génies du premier ordre ne méprisent point ce qui est audessous d'eux, tandis que les autres méprisent même ce qui est audessus. Il ne se croyait dispensé, ni par son mérite, ni par sa réputation, d'aucun des devoirs du commerce ordinaire de la vie ; nulle singularité, ni naturelle, ni affectée : il savait n'être, dès qu'il le fallait, qu'un homme du commun.

Quoiqu'il fût attaché à l'église Anglicane, il n'eût pas persécuté les non-conformistes pour les y ramener. Il jugeait les hommes par les mœurs, et les vrais non-conformistes étaient pour lui les vicieux et les méchans. Ce n'est pas cependant qu'il s'en tint à la religion naturelle : il était persuadé de la révélation; et parmi les livres de toute espèce qu'il avait sans cesse entre les mains, celui qu'il lisait le plus assidûment était la bible.

L'abondance où il se trouvait, et par un grand patrimoine et par son emploi, augmentée encore par la sage simplicité de sa vie, ne lui offrait pas inutilement les moyens de faire du bien. Il ne croyait pas que donner par son testament, ce fût donner : aussi n'a-t-il point laissé de testament, et il s'est dépouillé toutes les fois qu'il a fait des libéralités ou à ses parens, ou à ceux qu'il savait dans quelque besoin. Les bonnes actions qu'il a faites dans l'une et l'autre espèce, n'ont été ni rares, ni peu considérables. Quand la bienséance exigeait de lui en certaines occasions de la dépense et de l'appareil, il était magnifique sans aucun regret et de trèsbonne grâce. Hors de là, tout ce faste qui ne paraît quelque chose de grand qu'aux petits caractères, était sévèrement retranché, et les fonds réservés à des usages plus solides. Ce serait effectivement un prodige qu'un esprit accoutumé aux réflexions, nourri de raisonnemens, et en même temps amoureux de cette vaine magnificence.

Il ne s'est point marié, et peut-être n'a-t-il pas eu le loisir d'y penser jamais; abîmé d'abord dans des études profondes et continuelles pendant la force de l'âge, occupé ensuite d'une charge importante, et même de sa grande considération, qui ne lui laissait sentir ni vide dans sa vie, ni besoin d'une société domestique. Il a laissé en biens meubles environ 32,000 livres sterlings, c'est-à-dire, sept cent mille livres de notre monnaie. Leibnitz concurrent mourut riche aussi, quoique beaucoup moins, et avec une somme de réserve assez considérable (1). Ces exemples rares, et tous deux étrangers, semblent mériter qu'on ne les oublie pas.

ÉLOGE

DU PÈRE REYNEAU.

son

CHARLES REYNEAU naquit à Brissac, diocèse d'Angers, en 16556, dẹ Charles Reyneau, maître chirurgien, et de Jeanne Chauveau. Il entra dans l'oratoire à Paris, âgé de vingt ans, car nous ne savons rien de tout le temps qui a précédé; mais il est presque absolument impossible de se tromper en jugeant de ce premier temps inconnu par tout le reste de sa vie. Des inclinations d'une certaine force, toutes parfaitement d'accord entre elles, vivement marquées dans toutes les actions d'un grand nombre d'années, exemptes de tout mélange qui les altérât, ont dû être non-seulement toujours dominantes, mais toujours les seules; et ces inclinations étaient en lui l'amour de l'étude et une extrême piété.

Ses supérieurs l'envoyèrent professer la philosophie à Toulon, ensuite à Pezenås. C'était entièrement la philosophie nouvelle, Ce que les plus attachés à l'ancienne scolastique tâchent encore d'en conserver, tient de jour en jour moins de place chez eux

mêmes.

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Le P. Reyneau ne pouvait être cartésien, ou, si l'on veut, philosophe moderne, sans être un peu géomètre; mais on le détermina encore plus puissamment de ce côté-là, en lui donnant les mathématiques à professer à Angers en 1683.

Tous les motifs imaginables se réunissaient à l'animer dans cette fonction; son goût pour ces sciences, le plaisir naturel à tout homme de répandre et de communiquer son goût, le désir d'être utile aux autres, si puissant sur un cœur bien fait, celui de bien remplir un devoir que lui avait imposé la religion par la bouche de ses supérieurs, peut-être même l'amour de la gloire, pourvu qu'il ne s'en aperçût pas. Il se rendit familier tout ce que (1) Voyez l’Hist. de 1716, p. 128.

404 la géométrie moderne, si féconde et déjà si immense, a produit de découvertes ingénieuses et de hautes spéculations. Il fit plus; ́il entreprit pour l'usage de ses disciples de mettre en un même dans corps les principales théories répandues dans Descartes, Leibnitz, dans Newton, dans les Bernoulli, dans les actes de Leipsick, dans les mémoires de l'académie, en un grand nombre de lieux peut-être moins connus; trésors trop dispersés, et qui là sont moins utiles. De là est né le livre de l'analyse démontrée, qu'il publia en 1708, après avoir professé 22 ans à Angers.

par

On ne pourrait pas fondre ensemble tous les historiens, ou tous les chronologistes, ou même tous les physiciens; ils sont trop contraires, trop hétérogènes les uns aux autres; ce sont des métaux qui ne s'allient point: mais tous les géomètres sont homogènes, et leurs idées ne peuvent refuser de s'unir. Cependant on ne doit pas penser que l'union en soit aisée. Les géomètres inventeurs ne sont arrivés de toutes parts qu'à des vérités; mais à une infinité de vérités différentes, parties de différentes sources, qui ont tenu des cours différens : et il s'agit de les rassembler, en leur donun même nant à toutes des sources communes, et, pour ainsi dire, lit, où elles puissent toutes également couler. Quand elles sont amenées à ce nouvel état, le public destiné à en profiter, en profite davantage; et s'il doit plus d'admiration au premier travail, à celui des inventeurs, il doit plus de reconnaissance au second. Il a été plus particulièrement l'objet de l'un que de l'autre. L'analyse du P. Reyneau porte le titre de démontrée, parce pas été par qu'il y démontre plusieurs méthodes qui ne l'avaient leurs auteurs, ou du moins pas assez clairement ou assez exactement; car il arrive quelquefois en ces matières qu'on est bien sûr de-ce qu'on ne pourrait pourtant pas démontrer à la rigueur, et plus souvent qu'on se réserve des secrets, et qu'on se fait une gloire d'embarrasser ceux qu'il ne faudrait qu'instruire.

et

par

Quoique le succès des meilleurs livres de mathématiques soit fort tardif, par le petit nombre de lecteurs, la lenteur extrême dont les suffrages viennent les uns après les autres, on a rendu une assez prompte justice à l'analyse démontrée, parce que tous ceux qui l'ont prise pour guide dans la géométrie mo¬ derne, ont senti qu'ils étaient bien conduits : aussi est-il établi présentement, du moins en France, qu'il faut commencer par là, et marcher par ces routes, quand on veut aller loin; et le P. Reyneau est devenu le premier maître, l'Euclide de la haute géométrie.

Après avoir donné des leçons à ceux qui étaient déjà géomètres jusqu'à un certain point, il voulut en donner aussi à ceux qui ne l'étaient encore aucunement. Il s'abaissait en quelque sorte; mais

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