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ment incompréhensible. La nature cependant n'est jamais si admirable ni si admirée que quand elle est connue. Il est vrai que ce que l'on sait est peu de chose en comparaison de ce qu'on ne sait pas, quelquefois même ce que l'on ne sait pas est justement ce qu'il semble qu'on devrait le plutôt savoir. Par exemple, on ne sait pas, du moins bien certainement, pourquoi une pierre jetée en l'air retombe; mais on sait avec certitude quelle est la cause de l'arc-en-ciel, pourquoi il ne passe jamais une certaine hauteur, pourquoi la largeur en est toujours la même ; pourquoi quand il y a deux arcs-en-ciel à la fois, les couleurs de l'un sont renversées à l'égard de celles de l'autre, etc. Et cependant combien la chute d'une pierre dans l'air paraît-elle un phénomène plus simple que l'arc-en-ciel ? Mais enfin, quoique l'on ne sache pas tout, on n'ignore pas tout aussi ; quoique l'on ignore ce qui paraît plus simple, on ne laisse pas de savoir ce qui paraît plus compliqué; et si nous devons craindre que notre vanité ne nous flatte souvent de pouvoir parvenir à des connaissances qui ne sont pas faites pour nous, il est dangereux que notre paresse ne nous flatte aussi quelquefois d'être condamnés à une plus grande ignorance que nous ne le sommes effecti

vement.

Il est permis de compter que les sciences ne font que de naître, soit parce que chez les anciens elles ne pouvaient être encore qu'assez imparfaites, soit parce que nous en avons presque entièrement perdu les traces pendant les longues ténèbres de la barbarie, soit parce qu'on ne s'est mis sur les bonnes voies que depuis environ un siècle. Si l'on examinait historiquement le chemin qu'elles ont déjà fait dans un si petit espace de temps, malgré les faux préjugés qu'elles ont eus à combattre de toutes parts, et qui leur ont long-temps résisté, quelquefois même malgré les obstacles étrangers de l'autorité et de la puissance malgré le peu d'ardeur que l'on a eu pour des connaissances éloignées de l'usage commun, malgré le petit nombre de personnes qui se sont dévouées à ce travail, malgré la faiblesse des motifs qui les y ont engagées, on serait étonné de la grandeur et de la rapidité du progrès des sciences, on en verrait même de toutes nouvelles sortir du néant, et peut-être laisserait-on aller trop loin ses espérances pour l'avenir.

Plus nous avons lieu de nous promettre qu'il sera heureux, plus nous sommes obligés à ne regarder présentement les sciences que comme étant au berceau, du moins la physique. Aussi l'académie n'en est-elle encore qu'à faire une ample provision d'observations et de faits bien avérés, qui pourront être un jour les fondemens d'un système; car il faut que la physique systéma

tique attende à élever des édifices, que la physique expérimentale soit en état de lui fournir les matériaux nécessaires.

Pour cet amas de matériaux, il n'y a que des compagnies protégées par le prince, qui puissent réussir à le faire et à le préparer. Ni les lumières, ni les soins, ni la vie, ni les facultés d'un particulier n'y suffiraient. Il faut un trop grand nombre d'expériences, il en faut de trop d'espèces différentes, il faut trop répéter les mêmes, il les faut varier de trop de manières, il faut les suivre trop long-temps avec un même esprit. La cause du moindre effet est presque toujours enveloppée sous tant de plis et de replis, qu'à moins qu'on ne les ait tous démêlés avec un extrême soin, on ne doit pas prétendre qu'elle vienne à se manifester.

Jusqu'à présent l'académie des sciences ne prend la nature que par petites parcelles. Nul système général, de peur de tomber dans l'inconvénient des systèmes précipités, dont l'impatience de l'esprit humain ne s'accommode que trop bien, et qui étant une fois établis, s'opposent aux vérités qui surviennent. Aujourd'hui on s'assure d'un fait, demain d'un autre qui n'y a nul rapport. On ne laisse pas de hasarder des conjectures sur les causes, mais ce sont des conjectures. Ainsi les recueils que démie présente tous les ans au public, ne sont composés que de morceaux détachés, et indépendans les uns des autres, dont chaque particulier qui en est l'auteur, garantit les faits et les expériences, et dont l'académie n'approuve les raisonnemens qu'avec toutes les restrictions d'un sage pyrrhonisme.

l'aca

Le temps viendra peut-être que l'on joindra en un corps régulier ces membres épars; et s'ils sont tels qu'on le souhaite, ils s'assembleront en quelque sorte d'eux-mêmes. Plusieurs vérités séparées, dès qu'elles sont en assez grand nombre, offrent si vivement à l'esprit leurs rapports et leur mutuelle dépendance, qu'il semble qu'après avoir été détachées par une espèce de violence les unes d'avec les autres, elles cherchent naturellement à se réunir.

DU RENOUVELLEMENT

DE L'ACADÉMIE ROYALE

DES SCIENCES,

EN M. DC. XCIX.

L'ACADÉMIE royale des sciences, établie en 1666, avait si bien

répondu par ses travaux et par ses découvertes aux intentions du roi, que plusieurs années après son établissement, sa majesté youlut bien l'honorer d'une attention toute nouvelle, et lui donner une seconde naissance encore plus noble, et pour ainsi dire plus forte que la première.

Cette académie avait été formée, à la vérité, par les ordres du roi, mais sans aucun acte émané de l'autorité royale. L'amour des sciences en faisait presque seul toutes les lois; mais quoique le succès eût été heureux, il est certain que pour rendre cette compagnie durable et aussi utile qu'elle le pouvait être, il fallait des règles plus précises et plus sévères.

C'est ainsi qu'en jugea le roi, lorsqu'après la guerre terminée par le traité de Riswick, il tourna particulièrement les yeux sur le dedans de son royaume, pour y répandre de ses propres mains, et selon les vues de sa sagesse, les fruits de la paix.

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L'académie des sciences ne lui parut pas un objet indigne de ses regards. Ses faveurs pour elle, non interrompues pendant les plus grands besoins de l'état, avaient empêché les sciences de s'apercevoir parmi nous du trouble qui agitait toute l'Europe. Il crut cependant n'avoir pas assez fait, parce qu'il pouvait faire encore plus ; et il conçut que ce qui n'avait pas été endommagé par une si cruelle tempête, devait s'accroître et se fortifier dans le calme.

Il chargea M. de Pontchartrain, alors ministre et secrétaire d'état, et depuis chancelier de France, de donner à l'académie des sciences la forme la plus propre à en tirer toute l'utilité qu'on s'en pouvait promettre.

M. de Pontchartrain, qui, en qualité de secrétaire d'état ayant le département de la maison du roi, était chargé du soin des académies, avait établi chef de cette compagnie, depuis quelques années, M. l'abbé Bignon son neveu, et par-là il avait faitaux sciences une des plus grandes faveurs qu'elles aient jamais reçues d'un ministre.

M. l'abbé Bignon, qui ayant long-temps présidé à l'académie des sciences, en connaissait parfaitement la constitution, et avait beaucoup pensé de lui-même au moyen d'en faire quelque chose de plus grand et de plus considérable, communiqua ses vues à son oncle, qui de son côté voulut bien y joindre ces mêmes lumières qu'il employait si utilement aux plus importantes affaires de l'état.

De là se forma une compagnie presque toute nouvelle, pareille en quelque sorte à ces républiques dont le plan a été conçu par les sages, lorsqu'ils ont fait des lois, en se donnant une liberté entière d'imaginer et de ne suivre que les souhaits de leur raison.

Le nouveau réglement pour l'académie, dressé par M. de Pontchartrain, fut approuvé par le roi. L'affaire avait été conduite avec assez de secret, et ce fut une surprise agréable pour la compagnie, lorsque le 4 février 1699, M. l'abbé Bignon étant venu à l'assemblée, y fit faire la lecture suivante.

RÉGLEMENT

Ordonné par le Roi

pour l'Académie royale des Sciences.

Le roi voulant continuer à donner des marques de son affection à l'académie royale des sciences, sa majesté a résolu le présent réglement, lequel elle veut et entend être exactement observé.

I. L'académie royale des sciences demeurera toujours sous la protection du roi, et recevra ses ordre par celui des secrétaires d'état à qui il plaira à sa majesté d'en donner le soin.

II. Ladite académie sera toujours composée de quatre sortes d'académiciens, les honoraires, les pensionnaires, les associés et les élèves; la première classe composée de dix personnes, et les trois autres chacune de vingt; et nul ne sera admis dans aucune de ces quatre classes, que par le choix ou l'agrément de sa majesté.

III. Les honoraires seront tous règnicoles, et recommandables par leur intelligence dans les mathématiques ou dans la physique, desquels l'un sera président, et aucun d'eux ne pourra devenir pensionnaire.

IV. Les pensionnaires seront tous établis à Paris; trois géomètres, trois astronomes, trois mécaniciens, trois anatomistes, trois chymistes, trois botanistes, un secrétaire et un trésorier. Et lorsqu'il arrivera que quelqu'un d'entre eux sera appelé à quel

que charge ou commission demandant résidence hors de Paris, sera pourvu à sa place de même que si elle avait vaqué par décès.

V. Les associés seront en pareil nombre, douze desquels ne pourront être que règnicoles, deux appliqués à la géométrie, deux à l'astronomie, deux aux mécaniques, deux à l'anatomie, deux à la chimie, deux à la botanique. Les huit autres pourront être étrangers, et s'appliquer à celles d'entre ces diverses sciences pour lesquelles ils auront plus d'inclination et de

talent.

VI. Les élèves seront tous établis à Paris, chacun d'eux appliqué au genre de science dont fera profession l'académicien pensionnaire auquel il sera attaché ; et s'ils passent à des emplois demandant résidence hors de Paris, leurs places seront remplies comme si elles étaient vacantes par mort.

VII. Pour remplir les places d'honoraires, l'assemblée élira à la pluralité des voix un sujet digne qu'elle proposera à sa majesté pour avoir son agrément.

VIII. Pour remplir les places de pensionnaires, l'académie élira trois sujets, desquels deux au moins seront associés ou élèves; et ils seront proposés à sa majesté, afin qu'il lui plaise en choi

sir un.

IX. Pour remplir les places d'associés, l'académie élira deux sujets, desquels un au moins pourra être pris du nombre des élèves; et ils seront proposés à sa majesté, afin qu'il lui plaise

en choisir un.

X. Pour remplir les places d'élèves, chacun des pensionnaires s'en pourra choisir un, qu'il présentera à la compagnie, qui en délibérera; et s'il est agréé à la pluralité des voix, il sera proposé à sa majesté.

XI. Nul ne pourra être proposé à sa majesté, pour remplir aucune desdites places d'académicien, s'il n'est de bonnes mœurs et de probité reconnue.

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XII. Nul ne pourra être proposé de même, s'il est régulier attaché à quelque ordre de religion, si ce n'est pour remplir quelque place d'académicien honoraire.

XIII. Nul ne pourra être proposé à sa majesté, pour les places de pensionnaire ou d'associé, s'il n'est connu par quelque ouvrage considérable imprimé, par quelque cours fait avec éclat, par quelque machine, de son invention, ou par quelque découverte particulière.

XIV. Nul ne pourra être proposé pour les places de pensionnaire ou d'associé, qu'il n'ait au moins vingt-cinq ans.

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