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dissection, résultait du mélange de toutes les couleurs particulières des rayons primitifs. La séparation de ces rayons était si difficile, que quand Mariotte l'entreprit sur les premiers bruits des expériences de Newton, il la manqua, lui qui avait tant de génie pour les expériences, et qui a si bien réussi sur tant d'autres sujets.

On ne séparerait jamais les rayons primitifs et colorés, s'ils n'étaient de leur nature tels qu'en passant par le même lieu, par le même prisme de verre, ils se rompent sous différens angles, et par là se démêlent quand ils sont reçus à des distances convenables. Cette différente réfrangibilité des rayons rouges, jaunes, verts, bleus, violets, et de toutes les couleurs intermédiaires en nombre infini, propriété qu'on n'avait jamais soupçonnée, et à laquelle on ne pouvait guère être conduit par aucune conjecture, est la découverte fondamentale du traité de Newton. La différente réfrangibilité amène la différente réflexibilité. Il y a plus: les rayons qui tombent sous le même angle sur une surface, s'y rompent et réfléchissent alternativement; espèce de jeu qui n'a pu être aperçu qu'avec des yeux extrêmement fins et bien aidés par l'esprit. Enfin, et sur ce point seul, la première idée n'appartient pas à Newton; les rayons qui passent près des extrémités d'un corps sans le toucher, ne laissent pas de s'y détourner de la ligne droite, ce qu'on appelle inflexion. Tout cela ensemble forme un corps d'optique si neuf, qu'on pourra désormais regarder cette science comme presque entièrement due à l'au

teur.

Pour ne pas se borner à des spéculations qu'on traite quelquefois injustement d'oisives, il a donné dans cet ouvrage l'invention et le dessin d'un télescope par réflexion, qui n'a été bien exécuté que long-temps après. On a vu ici que ce télescope n'ayant que deux pieds et demi de longueur, faisait autant d'effet qu'un bon télescope ordinaire de huit ou neuf pieds; avantage très-considérable, et dont apparemment on connaîtra mieux encore à l'avenir toute l'étendue.

Une utilité de ce livre, aussi grande peut-être que celle qu'on tire du grand nombre de connaissances nouvelles dont il est plein, est qu'il fournit un excellent modèle de l'art de se conduire dans la philosophie expérimentale. Quand on voudra interroger la nature par les expériences et les observations, il la faudra interroger, comme Newton, d'une manière aussi adroite et aussi pressante. Des choses qui se dérobent presque à la recherche pour être trop déliées, il les sait réduire à souffrir le calcul, et un calcul qui ne demande pas seulement le savoir des bons géomètres, mais encore plus une dextérité particulière. L'applica

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tion qu'il fait de sa géométrie a autant de finesse que sa géométrie a de sublimité.

Il n'a pas achevé son optique, parce que des expériences dont il avait encore besoin furent interrompues, et qu'il n'a pu les reprendre. Les pierres d'attente qu'il a laissées à cet édifice imparfait, ne pourront guère être employées que par des mains aussi habiles que celles du premier architecte. Il a du moins mis sur la voie, autant qu'il a pu, ceux qui voudront continuer son ouvrage, et même il leur trace un chemin pour passer de l'optique à une physique entière. Sous la forme de doutes ou de questions à éclaircir, il propose un grand nombre de vues qui aideront les philosophes à venir, ou du moins feront l'histoire toujours curieuse des pensées d'un grand philosophe.

L'attraction domine dans ce plan abrégé de physique. La force, qu'on appelle dureté des corps, est l'attraction mutuelle de leurs parties, qui les serre les unes contre les autres; et si elles sont de figure à se pouvoir toucher par toutes leurs faces sans laisser d'interstices, les corps sont parfaitement durs. Il n'y a de cette espèce que de petits corps primordiaux et inaltérables, élémens de tous les autres. Les fermentations ou effervescences chymiques, dont le mouvement est si violent, qu'on les pourrait quelquefois comparer à des tempêtes, sont des effets de cette puissante attraction, qui n'agit entre les petits corps qu'à de petites distances.

En général, il conçoit que l'attraction est le principe agissant de toute la nature, et la cause de tous les mouvemens. Car si une certaine quantité de mouvemens une fois imprimée par les mains de Dieu ne faisait ensuite que se distribuer différemment selon les lois du choc, il paraît qu'il périrait toujours du mouvement par les chocs contraires sans qu'il en pût renaître, et que l'univers tomberait assez promptement dans un repos qui serait la mort générale de tout. La vertu de l'attraction toujours subsistante, et qui ne s'affaiblit point en s'exerçant, est une ressource perpétuelle d'action et de vie. Encore peut-il arriver que les effets de cette vertu viennent enfin à se combiner de façon que le système de l'univers se déréglerait, et qu'il demanderait, selon Newton, une main qui y retouchât.

Il déclare bien nettement qu'il ne donne cette attraction que pour une cause qu'il ne connaît point; et dont seulement il considère, compare et calcule les effets; et pour se sauver du reproche de rappeler les qualités occultes des scolastiques, il dit qu'il n'établit que des qualités manifestes et très-sensibles par les phénomènes mais qu'à la vérité les causes de ces qualités sont occultes, et qu'il en laisse la recherche à d'autres philosophes.

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Mais ce que les scolastiques appelaient qualités occultes n'étaient-ce pas des causes? Ils voyaient bien aussi les effets. D'ail-. leurs, ces causes occultes que Newton n'a pas trouvées, croyaitil que d'autres les trouvassent? S'engagera-t-on avec beaucoup d'espérance à les chercher?

Il mit à la fin de l'optique deux traités de pure géométrie, l'un de la quadrature des courbes, l'autre un dénombrement des lignes qu'il appelle du troisième ordre. Il les en a retranchés depuis parce que le sujet en était trop différent de celui de l'optique ; et on les a imprimés à part en 1711 avec une analyse par les équations infinies, et la méthode différentielle. Ce 'ne serait plus. rien dire que d'ajouter ici qu'il brille dans tous ces ouvrages une haute et fine géométrie qui lui appartient entièrement.

Absorbé dans ces spéculations, il devait naturellement être indifférent pour les affaires, et incapable de les traiter. Cependant lorsqu'en 1687, année de la publication de ses principes, les priviléges de l'université de Cambridge, où il était professeur en mathématique dès l'an 1669, par la démission de Barrow en sa faveur, furent attaqués par le roi Jacques II, il fut un des plus zélés à les soutenir, et son université le nomma pour être un de ses délégués pardevant la cour de haute-commission. Il en fut aussi le membre représentant dans le parlement de convention en 1688, et il y tint séance jusqu'à ce qu'il fût dissous.

En 1696, le comte de Halifax, chancelier de l'Echiquier, et grand protecteur des savans, car les seigneurs Anglais ne se piquent pas de l'honneur d'en faire peu de cas, et souvent le sont eux-mêmes, obtint du roi Guillaume de créer Newton garde des monnaies; et dans cette charge il rendit des services importans à l'occasion de la grande refonte qui se fit en ce temps-là. Trois ans après il fut maître de la monnaie, emploi d'un revenu très-considérable, et qu'il a possédé jusqu'à sa mort.

On pourrait croire que sa charge de la monnaie ne lui convenait que parce qu'il était excellent géomètre et physicien: et en effet cette matière demande souvent des calculs difficiles, et quantité d'expériences chymiques; et il a donné des preuves de ce qu'il pouvait en ce genre, par sa table des essais des monnaies étrangères, imprimée à la fin du livre du docteur Arbuthnott. Mais il fallait que son génie s'étendît jusqu'aux affaires purement politiques, et où il n'entrait nul mélange des sciences spéculatives. A la convocation du parlement de 1701, il fut choisi de nouveau membre de cette assemblée pour l'université de Cambridge. Après tout, c'est peut-être une erreur de regarder les sciences et les affaires comme si incompatibles, principalement pour les hommes d'une certaine trempe. Les affaires politiques

bien entendues se réduisent elles-mêmes à des calculs très-fins, et à des combinaisons délicates, que les esprits accoutumés aux hautes spéculations saisissent plus facilement et plus sûrement, dès qu'ils sont instruits des faits, et fournis des matériaux né

cessaires.

Newton a eu le bonheur singulier de jouir pendant sa vie de tout ce qu'il méritait, bien différent de Descartes qui n'a reçu que des honneurs posthumes. Les Anglais n'en honorent pas moins les grands talens, pour être nés chez eux. Loin de chercher à les rabaisser par des critiques injurieuses, loin d'applaudir à l'envie qui les attaque, ils sont tous de concert à les élever ; et cette grande liberté, qui les divise sur les points les plus impor-tans, ne les empêche point de se réunir sur celui-là. Ils sentent tous combien la gloire de l'esprit doit être précieuse à un état; et qui peut la procurer à leur patrie, leur devient infiniment cher.

Tous les savans d'un pays qui en produit tant, mirent Newton à leur tête par une espèce d'acclamation unanime: ils le reconnurent pour chef et pour maître; un rebelle n'eût osé s'élever, on n'eût pas souffert même un médiocre admirateur. Sa philosophie a été adoptée par toute l'Angleterre; elle domine dans la société royale, et dans tous les excellens ouvrages qui en sont sortis, comme si elle était déjà consacrée par le respect d'une longue suite de siècles. Enfin, il a été révéré au point que la mort ne pouvait plus lui produire de nouveaux honneurs : il a vu son apothéose. Tacite qui a reproché aux Romains leur extrême indifférence pour les grands hommes de leur nation, eût donné aux Anglais la louange tout opposée. En vain les Romains se seraient-ils excusés sur ce que le grand mérite leur était devenu familier; Tacite leur eût répondu que le grand mérite n'était jamais commun, ou que même il faudrait, s'il était possible, le rendre commun par la gloire qui y serait attachée.

En 1703, Newton fut élu président de la société royale, et l'a été sans interruption jusqu'à sa mort pendant vingt-trois ans : exemple unique, et dont on n'a pas cru devoir craindre les conséquences.

La reine Anne le fit chevalier en 1705; titre d'honneur qui marque du moins que son nom était allé jusqu'au trône, où les noms les plus illustres en ce genre ne parviennent pas toujours.

Il fut plus connu que jamais à la cour sous le roi George. La `princesse de Galles, aujourd'hui reine d'Angleterre, avait assez de lumières et de connaissances pour interroger un homme tel que lui, et pour ne pouvoir être satisfaite que par lui. Elle a souvent dit publiquement qu'elle se tenait heureuse de vivre de

de son temps, et de le connaître. Dans combien d'autres siècles et dans combien d'autres nations aurait-il pu être placé sans y retrouver une princesse de Galles?

Il avait composé un ouvrage de chronologie ancienne, qu'il ne songeait point à publier: mais cette princesse, à qui il en confia les vues principales, les trouva si neuves et si ingénieuses, qu'elle voulut avoir un précis de tout l'ouvrage, qui ne sortirait jamais de ses mains, et qu'elle posséderait seule. Elle le garde encore aujourd'hui avec tout ce qu'elle a de plus précieux. Il s'en échappa cependant une copie : il était difficile que la curiosité, excitée par un morceau singulier de Newton, n'usât de toute son adresse pour pénétrer jusqu'à ce trésor; et il est vrai qu'il faudrait être bien sévère pour la condamner. Cette copie fut apportée en France par celui qui était assez heureux pour l'avoir, et l'estime qu'il en faisait l'empêcha de la garder avec le dernier soin. Elle fut vue, traduite, et enfin imprimée.

Le point principal du système chronologique de Newton, tel qu'il paraît dans cet extrait qu'on a de lui, est de rechercher, en suivant avec beaucoup de subtilité quelques traces assez faibles de la plus ancienne astronomie grecque, quelle était au temps de Chiron le centaure la position du colure des équinoxes par rapport aux étoiles fixes. Comme on sait aujourd'hui que ces étoiles ont un mouvement en longitude d'un degré en soixantedouze ans, si on sait une fois qu'au temps de Chiron le colure passait par certaines fixes, on saura, en prenant leur distance à celles par où il passe aujourd'hui, combien de temps s'est écoulé depuis Chiron jusqu'à nous. Chiron était du fameux voyage des Argonautes, ce qui en fixera l'époque, et nécessairement ensuite celle de la guerre de Troie, deux grands événemens d'où dépend toute l'ancienne chronologie. Newton les met de cinq cents ans plus proches de l'ère chrétienne, que ne font ordinairement les autres chronologistes. Le système a été attaqué par deux savans Français. On leur reproche en Angleterre de n'avoir pas attendu l'ouvrage entier, et de s'être pressés de critiquer. Mais cet empressement même ne fait-il pas honneur à Newton? Ils se sont saisis le plus promptement qu'ils ont pu de la gloire d'avoir un pareil adversaire. Ils en vont trouver d'autres en sa place. Le célèbre Halley, premier astronome du roi de la Grande-Bretagne, a déjà écrit pour soutenir toute l'astronomique du système : son amitié pour l'illustre mort, et ses grandes connaissances dans la matière, doivent le rendre redoutable. Mais enfin, la contestation n'est pas terminée : le public, peu nombreux, qui est en état de juger, ne l'a pas encore fait ; et quand il arriverait que les plus fortes raisons fussent d'un côté, et de

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