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vers un centre, il suit de la règle de Kepler, que cette force, qui sera centrale, ou plus particulièrement centripète, aura sur un même corps une action variable selon les différentes distances à ce centre, et cela dans la raison renversée des carrés de ces distances; c'est-à-dire, par exemple, que si ce corps était deux fois plus éloigné du centre de sa révolution, l'action de la force centrale sur lui en serait quatre fois plus faible. Il paraît que Newton est parti de là pour toute sa physique du monde pris en grand. Nous pouvons supposer aussi ou feindre qu'il a d'abord considéré la lune, parce qu'elle a la terre pour centre de son

mouvement.

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Si la lune perdait toute l'impulsion, toute la tendance qu'elle a pour aller d'occident en orient en ligne droite, et qu'il ne lui restât que la force centrale qui la porte vers le centre de la terre, elle obéirait donc uniquement à cette force, en suivrait uniquement la direction, et viendrait en ligne droite vers le centre de la terre. Son mouvement de révolution étant connu, Newton démontre par ce mouvement, que dans la première minute de sa descente elle décrirait 15 pieds de Paris. Sa distance de la terre est de 60 demi-diamètres de la terre: donc si la lune était à la surface de la terre, sa force serait augmentée selon le carré de 60, c'est-à-dire qu'elle serait 3600 fois plus puissante, et que la lune dans une minute décrirait 3600 fois 15 pieds.

Maintenant, si l'on suppose que la force qui agissait sur la lune soit la même que celle que nous appelons pesanteur dans les corps terrestres, il s'ensuivra du système de Galilée, que la lune, qui à la surface de la terre parcourait 3600 fois quinze pieds en une minute, devrait parcourir aussi quinze pieds dans la première soixantième partie, ou dans la première seconde de cette minute. Or, on sait par toutes les expériences, et on n'a pu les faire qu'à très-petites distances de la surface de la terre, que les corps pesans tombent de quinze pieds dans la première seconde de leur chute. Ils sont donc, quand nous éprouvons la durée de leurs chutes, dans le même cas précisément que si ayant fait autour de la terre, avec la même force centrale que la lune, la même révolution, et à la même distance, ils se trouvaient ensuite tout près de la surface de la terre; et s'ils sont dans le cas où serait la lune, la lune est dans le même cas où ils sont, et n'est retirée à chaque instant vers la terre que par la même pesanteur. Une conformité si exacte d'effets, ou plutôt cette parfaite identité, ne peut venir que de celle des causes.

Il est vrai que dans le système de Galilée, qu'on a suivi ici, la pesanteur est constante, et que la force centrale de la lune

ne l'est pas dans la démonstration même qu'on vient de donner. Mais la pesanteur peut bien ne paraître constante, ou, pour mieux dire, elle ne le paraît dans toutes nos expériences, qu'à cause que la plus grande hauteur d'où nous puissions voir tomber des corps, n'est rien par rapport à la distance de 1500 lieues où ils sont tous du centre de la terre. Il est démontré qu'un boulet de canon tiré horizontalement, décrit dans l'hypothèse de la pesanteur constante une parabole terminée à un certain point par la rencontre de la terre ; mais que s'il était tiré d'une hauteur qui pût rendre sensible l'inégalité d'action de la pesanteur, il décrirait au lieu de la parabole une ellipse, dont le centre de la terre serait un des foyers, c'est-à-dire qu'il ferait exactement fait la lune.

ce que

Si la lune est pesante à la manière des corps terrestres, si elle est portée vers la terre par la même force qui les y porte, si, selon l'expression de Newton, elle pèse sur la tèrre, la même cause agit dans tout ce merveilleux assemblage de corps célestes: car toute la nature est une; c'est partout la même disposition, partout des ellipses décrites par des corps dont le mouvement se rapporte à un corps placé dans des foyers. Les satellites de Jupiter pèsent sur Jupiter comme la lune sur la terre, les satellites de Saturne sur Saturne, toutes les planètes ensemble sur le soleil.

On ne sait point en quoi consiste la pesanteur, et Newton lui-même l'a ignoré. Si la pesanteur agit par impulsion, on conçoit qu'un bloc de marbre qui tombe, peut être poussé vers la terre sans que la terre soit aucunement poussée vers lui; et en un mot tous les centres auxquels se rapportent les mouvemens causés par la pesanteur, pourront être immobiles. Mais si elle agit par attraction, la terre ne peut attirer le bloc de marbre, sans que ce bloc n'attire aussi la terre. Pourquoi cette vertu attractive serait-elle plutôt dans certains corps que dans d'autres? Newton pose toujours l'action de la pesanteur réciproque dans tous les corps, et proportionnelle seulement à leurs masses; par là il semble déterminer la pesanteur à être réellement une attraction. Il n'emploie à chaque moment que ce mot pour exprimer la force active des corps; force, à la vérité, inconnue, et qu'il ne prétend pas définir; mais si elle pouvait agir aussi par impulsion, pourquoi ce terme plus clair n'aurait-il pas été préféré? Car on conviendra qu'il n'était guère possible de les employer tous deux indifféremment ; ils sont trop opposés. L'usage perpétuel du mot d'attraction, soutenu d'une grande autorité, et peut-être aussi de l'inclination qu'on croit sentir à Newton pour la chose même, familiarise du moins les

lecteurs avec une idée proscrite par les cartésiens, et dont tous les autres philosophes avaient ratifié la condamnation; il faut être présentement sur ses gardes pour ne lui pas imaginer quelque réalité: on est exposé au péril de croire qu'on l'entend.

Quoi qu'il en soit, tous les corps, selon Newton, pèsent les uns sur les autres, ou s'attirent en raison de leurs masses; et quand ils tournent autour d'un centre commun, dont par conséquent ils sont attirés, et qu'ils attirent, leurs forces attractives varient dans la raison renversée des carrés de leurs distances à ce centre ; et si tous ensemble avec leur centre commun tournent autour d'un autre centre commun à eux et à d'autres, ce sont encore de nouveaux rapports qui font une étrange complication. Ainsi chacun des cinq satellites de Saturne pèse sur les quatre autres, et les quatre autres sur lui; tous les cinq pèsent sur Saturne, et Saturne sur eux : le tout ensemble pèse sur le soleil, et le soleil sur ce tout. Quelle géométrie a été nécessaire pour débrouiller ce chaos de rapports! II paraît téméraire de l'avoir entrepris ; et on ne peut voir sans étonnement que d'une théorie si abstraite, formée de plusieurs théories particulières, toutes très-difficiles à manier, il naisse nécessairement des conclusions toujours conformes aux faits établis par l'astronomie.

Quelquefois même ces conclusions semblent deviner des faits auxquels les astronomes ne se seraient pas attendus. On prétend depuis un temps, et surtout en Angleterre, que quand Jupiter et Saturne sont entre eux dans leur plus grande proximité, qui est de 165 millions de lieues, leurs mouvemens ne sont plus de la même régularité que dans le reste de leurs cours; et le système de Newton en donne tout d'un coup la cause qu'aucun autre système ne donnerait. Jupiter et Saturne s'attirent plus fortement l'un l'autre, parce qu'ils sont plus proches ; et par là, la régularité du reste de leurs cours est sensiblement troublée. On peut aller jusqu'à déterminer la quantité et les bornes de ce déréglement.

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La lune est la moins régulière des planètes; elle échappe assez souvent aux tables les plus exactes, et fait des écarts dont on ne connaît point les principes. Halley, que son profond savoir en mathématiques n'empêche pas d'être bon poëte, dit dans des vers latins qu'il a mis au devant des principes de Newton, que la lune jusques-là ne s'était point laissée assujettir au frein des calculs, et n'avait été domptée par aucun astronome; mais qu'elle l'est enfin dans le nouveau système. Toutes les bizarreries de son cours y deviennent d'une nécessité qui les fait prédire; et il est difficile qu'un système où elles prennent cette

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forme, ne soit qu'un système heureux, surtout si on ne les regarde que comme une petite partie d'un tout, qui embrasse avec le même succès une infinité d'autres explications. Celle du flux et du reflux s'offre si naturellement par l'action de la lune sur les mers, combinée avec celle du soleil, que ce merveilleux phénomène semble en être dégradé.

La seconde des deux grandes théories sur lesquelles roule le livre des principes, est celle de la résistance des milieux au mouvement, qui doit entrer dans les principaux phénomènes de la nature, tels les mouvemens des que corps célestes, la lumière, le son. Newton établit à son ordinaire sur une trèsprofonde géométrie ce qui doit résulter de cette résistance, selon toutes les causes qu'elle peut avoir, la densité du milieu, la vitesse du corps mu, la grandeur de sa surface; et il arrive enfin à des conclusions qui détruisent les tourbillons de Descartes, et renversent ce grand édifice céleste qu'on aurait cru inébranlable. Si les planètes se meuvent autour du soleil dans un milieu quel qu'il soit, dans une matière éthérée qui remplit tout, et qui, quelque subtile qu'elle soit, n'en résistera pas moins, ainsi qu'il est démontré, comment les mouvemens des planètes n'en sont-ils pas perpétuellement et même promptement affaiblis? Surtout comment les comètes traversent-elles les tourbillons librement en tous sens, quelquefois avec des directions de mouvemens contraires aux leurs, sans en recevoir nulle altération sensible dans leurs mouvemens, de quelque longue durée qu'ils puissent être ? Comment ces torrens immenses et d'une rapidité presque incroyable n'absorbent-ils pas en peu d'instans tout le mouvement particulier d'un corps qui n'est qu'un atôme par rapport à eux, et ne le forcent-ils pas à suivre leur cours? Les corps célestes se meuvent donc dans un grand vide, n'est que leurs exhalaisons et les rayons de lumière, qui forment ensemble mille entrelacemens différens, mêlent un peu de matière à des espaces immatériels presque infinis. L'attraction et le vide, bannis de la physique de Descartes, et bannis pour jamais selon les apparences, y reviennent ramenés par Newton, armés d'une force toute nouvelle dont on ne les croyait pas capables, et seulement peut-être un peu déguisés.

si ce

Les deux grands hommes qui se trouvent dans une si grande opposition, ont eu de grands rapports. Tous deux ont été des génies du premier ordre, nés pour dominer sur les autres esprits, et pour fonder des empires. Tous deux géomètres excellens, ont vu la nécessité de transporter la géométrie dans la physique. Tous deux ont fondé leur physique sur une géométrie qu'ils ne tenaient presque que de leurs propres lumières. Mais

l'un, prenant un vol hardi, a voulu se placer à la source de tout, se rendre maître des premiers principes par quelques idées claires et fondamentales, pour n'avoir plus qu'à descendre aux phénomènes de la nature comme à des conséquences nécessaires. L'autre, plus timide ou plus modeste, a commencé sa marche par s'appuyer sur les phénomènes pour remonter aux principes inconnus, résolu de les admettre, quels que les pût donner l'enchaînement des conséquences. L'un part de ce qu'il entend nettement pour trouver la cause de ce qu'il voit; l'autre part de ce qu'il voit pour en trouver la cause, soit claire, soit obscure. Les principes évidens de l'un ne le conduisent pas toujours aux phénomènes tels qu'ils sont; les phénomènes ne conduisent pas toujours l'autre à des principes assez évidens. Les bornes qui dans ces deux routes contraires ont pu arrêter deux hommes de cette espèce, ce ne sont pas les bornes de leur esprit, mais celles de l'esprit humain.

En même temps que Newton travaillait à son grand ouvrage des principes, il en avait un autre entre les mains, aussi original, aussi neuf, moins général par son titre, mais aussi étendu par la manière dont il devrait traiter un sujet particulier. C'est l'Optique ou Traité de la lumière et des couleurs, qui parut pour la première fois en 1704. Il avait fait pendant le cours de trente années les expériences qui lui étaient nécessaires.

L'art de faire des expériences porté à un certain degré, n'est nullement commun. Le moindre fait qui s'offre à nos yeux, est compliqué de tant d'autres faits qui le composent ou le modifient, qu'on ne peut sans une extrême adresse démêler tout ce qui y entre, ni même sans une sagacité extrême soupçonner tout ce qui peut y entrer. Il faut décomposer le fait dont il s'agit, en d'autres qui ont eux-mêmes leur composition; et quelquefois, si l'on n'avait bien choisi sa route, on s'engagerait dans des labyrinthes d'où l'on ne sortirait pas. Les faits primitifs et élémentaires semblent nous avoir été cachés par la na→ ture avec autant de soin les que causes ; et quand on parvient à les voir, c'est un spectacle tout nouveau et entièrement imprévu. L'objet perpétuel de l'optique de Newton est l'anatomie de la lumière. L'expression n'est point trop hardie, ce n'est que la chose même. Un très-petit rayon de lumière qu'on laisse entrer dans une chambre parfaitement obscure, mais qui ne peut être si petit qu'il ne soit encore un faisceau d'une infinité de rayons, est divisé, disséqué, de façon que l'on a les rayons élémentaires qui le composaient séparés les uns des autres, et teints chacun d'une couleur particulière, qui, après cette séparation, ne peut plus être altérée. Le blanc dont était le rayon total avant la

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