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Malezieu eut encore auprès d'elle une fonction très-différente et qui ne lui réussissait pas moins. La princesse aimait à donner chez elle des fêtes, des divertissemens, des spectacles; mais elle voulait qu'il y entrât de l'idée, de l'invention, et que la joie eût de l'esprit. Malezieu occupait ses talens moins sérieux à imaginer ou à ordonner une fête, et lui-même y était souvent acteur. Les vers sont nécessaires dans les plaisirs ingénieux; il en fournissait qui avaient toujours du feu, du bon goût, et même de la justesse, quoiqu'il n'y donnât que fort peu de temps, et ne les traitât, s'il le faut dire, que selon leur mérite. Les impromptu lui étaient assez familiers, et il a beaucoup contribué à établir cette langue à Sceaux, où le génie et la gaieté produisent assez souvent ces petits enthousiasmes soudains. En même temps il était chef des conseils du duc du Maine, à la place de d'Aguesseau et de Fieubet, conseillers d'état, qui étaient morts; il était chancelier de Dombes, premier magistrat de cette souveraineté. L'esprit même d'affaires ne s'était pas refusé à lui.

En 1696 feu le duc de Bourgogne étant venu en âge d'apprendre les mathématiques, madame de Maintenon porta le roi à confier cette partie de son éducation à Malezieu, tandis qu'il donnerait à Sauveur les deux autres enfans de France. Malezieu

assez délicat pour craindre qu'un si grand honneur ne s'accordât pas parfaitement avec l'attachement inviolable qu'il devait à M. et à madame du Maine, et rassuré par eux-mêmes sur ce scrupule, demanda du moins en grâce, que pour mieux marquer qu'il ne sortait point de son ancien engagement, il lui fût permis de ne point recevoir d'appointemens du roi.

Parmi tous les élémens de géométrie qui avaient paru jusques-là, il choisit ceux de M. Arnaud, comme les plus clairs et les mieux digérés, pour en faire le fond des leçons qu'il donnerait au duc de Bourgogne. Seulement il fit à cet ouvrage quelques additions et quelques retranchemens. Il remarqua bientôt que le jeune prince, qui surmontait avec une extrême vivacité les difficultés d'une étude si épineuse, tombait aussi quelquefois dans l'inconvénient de vouloir passer à côté, quand il ne les emportait pas d'abord. Pour le fixer davantage, il lui proposa d'écrire de sa main au commencement d'une leçon ce qui lui avait été enseigné la veille. Toutes ces leçons, écrites par le prince pendant le cours de quatre ans, et précieusement rassemblées, ont fait un corps que Boissière, bibliothécaire du duc du Maine, fit imprien 1715, sous le titre d'Élémens de géométrie de monseigneur le duc de Bourgogne. L'éditeur les dédie au prince même qui en est l'auteur, et n'oublie pas tout ce qui est dû au savant maître de géométrie. Il y a à la fin du livre quelques problêmes

mer,

qui n'appartiennent point à des élémens résolus par la méthode analytique, et qui, selon toutes les apparences, sont de Malezieu. Il est dit sur ce sujet, qu'Archimède et les grands géomètres anciens ont dú avoir notre analyse ou quelque méthode équivalente, parce qu'il est moralement impossible qu'ils eussent suivi, sans s'égarer, des routes aussi composées que celles qu'ils proposent. Mais par là on leur ôte la force merveilleuse qui a été nécessaire pour suivre, sans s'égarer, des routes si tortueuses, si longues et si embarrassées; et cette force compense le mérite moderne d'avoir découvert des chemins sans comparaison plus courts et plus faciles. On veut que, pour causer plus d'admiration, ils aient caché leur secret, quoiqu'en le révélant ils eussent causé une admiration du moins égale, et qu'ils eussent en même temps, infiniment avancé les sciences utiles. On veut qu'ils aient été tous également fidèles à garder ce secret, également jaloux d'une gloire qu'ils pouvaient changer contre une autre, également indifférens pour le bien public.

Au renouvellement de l'académie en 1699, Malezieu fut un des honoraires, et en 1701 il entra à l'académie française. On ne sera pas étonné qu'il fût citoyen de deux états si différens.

Il faisait dans sa maison de Chatenay, près de Sceaux, des observations astronomiques selon la même méthode qu'elles se font à l'observatoire, où il les avait apprises de Cassini et de Maraldi, ses amis particuliers, et il les communiquait à l'acadé mie. Une personne du plus haut rang avait part à ces observations, aussi-bien qu'à celles qu'il faisait avec le microscope, dont nous avons rapporté la plus singulière en 1718 (1). S'il n'eût pas été assez savant, il eût été obligé de le devenir toujours de plus en plus pour faire sa cour, et pour suivre les progrès de qui prenait ses instructions.

Son tempérament robuste et de feu, joint à une vie réglée, lui a valu une longue santé, qui ne s'est démentie que vers les 76 ans ; encore n'a-ce été que par un dépérissement lent, et presque sans douleur. Il mourut d'apoplexie le 4 mars 1727 dans la soixante-dix-septième année de son âge, et la cinquantequatrième d'un mariage toujours heureux, où l'estime et la tendresse mutuelles n'avaient point été altérées. La double louange qui en résulte sera toujours très-rare, même dans d'autres siècles que celui-ci.

Il a laissé cinq enfans vivans, trois garçons, dont l'aîné est évêque de Lavaur, le second brigadier des armées du roi, et lieutenant-général d'artillerie, et le troisième capitaine de carabiniers; et deux filles, dont l'une est mariée à M. de Messimy, pre(1) Pag. 9.

mier président du parlement de Dombes, et l'autre au comte de Guiry, lieutenant-général du pays d'Aunis, et mestre de camp de cavalerie.

ÉLOGE

DE NEWTON.

ISAAC NEWTON naquit le jour de Noël V. S. de l'an 1642 à Volstrope, dans la province de Lincoln. Il sortait de la branche aînée de Jean Newton, chevalier baronnet, seigneur de Volstrope. Cette seigneurie était dans la famille depuis près de 200 ans. Messieurs Newton s'y étaient transportés de Westby dans la même province de Lincoln; mais ils étaient originaires de Newton dans celle de Lancastre. La mère de Newton, nommée Anne Ascough, était aussi d'une ancienne famille. Elle se remaria après la mort de son premier mari, père de Newton.

Elle mit son fils, âgé de 12 ans, à la grande école de Grantham, et l'en retira au bout de quelques années, afin qu'il s'accoutumât de bonne heure à prendre connaissance de ses affaires, et à les gouverner lui-même. Mais elle le trouva si peu occupé de ce soin, si distrait par les livres, qu'elle le renvoya à Grantham pour y suivre son goût en liberté. Il le satisfit encore mieux en passant de là au collége de la Trinité dans l'université de Cambridge, où il fut reçu en 1660 à l'âge de 18 ans.

Pour apprendre les mathématiques, il n'étudia point Euclide, qui lui parut trop clair, trop simple, indigne de lui prendre du temps; il le savait presque avant que de l'avoir lu, et un coup d'œil sur l'énoncé des théorèmes les lui démontrait. Il sauta tout d'un coup à des livres tels que la géométrie de Descartes et les optiques de Kepler. On lui pourrait appliquer ce que Lucain a dit du Nil, dont les anciens ne connaissaient point la source, qu'il n'a pas été permis aux hommes de voir le Nil faible et naissant. Il y a des preuves que Newton avait fait à 24 ans ses grandes découvertes en géométrie, et posé les fondemens de ses deux célèbres ouvrages, les principes et l'optique. Si des intelligences supérieures à l'homme ont aussi un progrès de connaissances, elles volent tandis que nous rampons; elles suppriment des milieux que nous ne parcourons qu'en nous traînant, lentement et avec effort, d'une vérité à une autre qui y touche.

Nicolas Mercator, né dans le Holstein, mais qui a passé sa vie en Angleterre, publia en 1668 sa logarithmotechnie, où il donnait par une suite ou série infinie la quadrature de l'hyperbole. Alors il parut pour la première fois dans le monde savant une

:

suite de cette espèce, tirée de la nature particulière d'une courbe, avec un art tout nouveau et très-délié. L'illustre Barrow, qui était à Cambridge, où était Newton, âgé de 26 ans, se souvint aussitôt d'avoir vu la même théorie dans les écrits du jeune homme, non pas bornée à l'hyperbole, mais étendue par des formules générales à toutes sortes de courbes, même mécaniques, à leurs quadratures, à leurs rectifications, à leurs centres de gravité, aux solides formés par leurs révolutions, aux surfaces de ces solides de sorte que quand les déterminations étaient possibles, les suites s'arrêtaient à un certain point, ou si elles ne s'arrêtaient pas, on en avait les sommes par règles; que si les déterminations précises étaient impossibles, on en pouvait toujours approcher à l'infini, supplément le plus heureux et le plus subtil que l'esprit humain pût trouver à l'imperfection de ses connaissances. C'était une grande richesse pour un géomètre de posséder une théorie si féconde et si générale; c'était une gloire encore plus grande d'avoir inventé une théorie si surprenante et si ingénieuse et Newton, averti par le livre de Mercator que cet habile homme était sur la voie, et que d'autres s'y pourraient mettre en le suivant, devait naturellement se presser d'étaler ses trésors pour s'en assurer la véritable propriété qui consiste dans la découverte. Mais il se contenta de la richesse, et ne se piqua point de la gloire. Il dit lui-même dans une lettre du Commercium epistolicum, qu'il avait cru que son secret était entièrement trouvé par Mercator ou le serait par d'autres, avant qu'il fût d'un âge assez már pour composer. Il se laissait enlever sans regret ce qui avait dû lui promettre beaucoup de gloire, et le flatter des plus douces espérances de cette espèce; et il attendait l'âge convenable pour composer ou pour se donner au public, n'ayant pas attendu celui de faire les plus grandes choses. Son manuscrit sur les suites infinies fut simplement communiqué à Collins et à mylord Brounker, habiles en ces matières, et encore ne le fut-il que par Barrow, qui ne lui permettait pas d'être tout-à-fait aussi modeste qu'il l'eût voulu.

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. Ce manuscrit, tiré en 1669 du cabinet de l'auteur, porte pour titre : Méthode que j'avais trouvée autrefois, etc. Et quand cet autrefois ne serait que trois ans, il aurait donc trouvé à 24 ans toute la belle théorie des suites. Mais il y a plus: ce même manuscrit contient et l'invention et le calcul des fluxions ou infiniment petits, qui ont causé une si grande contestation entre Leibnitz et lui, ou plutôt entre l'Allemagne et l'Angleterre. Nous en avons fait l'histoire en 1716 (1) dans l'éloge de Leibnitz; et quoique ce fût l'éloge de Leibnitz, nous y avons si exactement (1) Page 109 et suiv.

gardé la neutralité d'historien, que nous n'avons présentement rien de nouveau à dire pour Newton. Nous avons marqué expressément que Newton était certainement inventeur, que sa gloire était en sûreté, et qu'il n'était question que de faire savoir si Leibnitz avait pris de lui cette idée. Toute l'Angleterre en est convaincue, quoique la société royale ne l'ait pas prononcé dans son jugement, et l'ait tout au plus insinué. Newton est constamment le premier inventeur, et de plusieurs années le premier. Leibnitz, de son côté, est le premier qui ait publié ce calcul; et s'il l'avait pris de Newton, il ressemblait du moins au Prométhée de la fable, qui déroba le feu aux dieux pour en faire part aux hommes.

En 1687, Newton se résolut enfin à se dévoiler et à révéler ce qu'il était : les Principes mathématiques de la philosophie naturelle parurent. Ce livre, où la plus profonde géométrie sert de base à une physique toute nouvelle, n'eut pas d'abord tout l'éclat qu'il méritait, et qu'il devait avoir un jour. Comme il est écrit trèssavamment, que les paroles y sont fort épargnées, qu'assez souvent les connaissances y naissent rapidement des principes, et qu'on est obligé à suppléer de soi-même tout l'entre-deux, il fallait que le public eût le loisir de l'entendre. Les grands géomètres n'y parvinrent qu'en l'étudiant avec soin; les médiocres ne s'y embarquèrent qu'excités par le témoignage des grands: mais enfin, quand le livre fut suffisamment connu, tous ces suffrages qu'il avait gagnés si lentement éclatèrent de toutes parts, et ne formèrent qu'un cri d'admiration. Tout le monde fut frappé de l'esprit original qui brille dans l'ouvrage ; de cet esprit créateur, qui dans toute l'étendue du siècle le plus heureux, ne tombe guère en partage qu'à trois ou quatre hommes pris dans toute l'étendue des pays savans.

Deux théories principales dominent dans les principes mathématiques, celle des forces centrales, et celle de la résistance des milieux au mouvement, toutes deux presque entièrement neuves, et traitées selon la sublime géométrie de l'auteur. On ne peut plus toucher ni à l'une ni à l'autre de ces matières, sans avoir Newton devant les yeux, sans le répéter, ou sans le suivre ; et si on veut le déguiser, quelle adresse pourra empêcher qu'il ne soit reconnu ?

Le rapport trouvé par Kepler entre les révolutions des corps célestes et leurs distances à un centre commun de ces révolutions, règne constamment dans tout le ciel. Si l'on imagine, ainsi qu'il 'est nécessaire, qu'une certaine force empêche ces grands corps de suivre pendant plus d'un instant leur mouvement naturel en ligne droite d'occident en orient, et les retire continuellement

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