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culière car il y avait en Afrique plus de six cents évêchés, dont une partie n'était que de gros bourgs, et même des châteaux; et il n'y a pas jusqu'à leurs noms qu'il ne soit souvent très-mal aisé de déterminer sûrement.

Une carte de l'empire Grec du moyen âge, tirée de la description qu'en fit l'empereur Constantin Porphyrogenète dans le dixième siècle. C'est là plus que partout ailleurs qu'on trouve une langue toute nouvelle. L'empire est divisé en themes, expression inouie jusques-là ; et tout est une espèce d'énigme qui semble faite pour le supplice des géographes. Après cela il ne faut presque pas compter d'autres cartes du moyen âge, comme celle du diocèse de Toul, nommé alors Civitas Leucorum.

Une carte de la Perse absolument nouvelle et très-détaillée. On y retrouvait enfin ce grand pays, qui jusques-là n'avait ressemblé ni aux histoires des anciens, ni aux relations des modernes. On n'avait point encore la véritable étendue ou figure de la mer Caspienne, que l'on doit aux conquêtes et aux découvertes du feu czar (1): mais Delisle en avait approché, autant qu'il était possible, par ses seules conjectures, et par son art singulier de mettre en œuvre et de combiner tous ses différens matériaux.

Une carte d'Artois pour mettre au-devant des commentaires de Maillart sur la coutume de cette province. Qui croirait que dans les cartes d'un petit pays si proche de nous et si connu, il y avait des rivières omises, et en récompense d'autres supposées ; quarante villages créés, ou du moins transportés de si loin, et avec des noms tellement défigurés, qu'ils ne pouvaient être reconnus par ceux qui demeuraient sur les lieux?

Delisle entra dans l'académie, en 1702, élève en astronomie du grand Cassini, quoiqu'il ne fût ni ne voulût être observateur: mais on compta que l'usage qu'il savait faire des observations lui devait tenir lieu de celles qu'il ne faisait pas; et quoique dans le plan de l'académie il n'y eût point de place de géographe, on lui en laissa occuper une, qui, selon les apparences, devait redevenir apres lui place d'astronome, faute d'un géogra phe tel que lui. Il passa ensuite au grade d'associé mais le plus glorieux événement de sa vie a été d'être appelé pour montrer la géographie au roi. Alors il commença à faire des cartes uniquement par rapport à l'étude que ce jeune prince ferait de l'histoire. Il en dressa une générale du monde en 1720, cartes générales par où il avait débuté en 1700 étaient déjà rectifiées, tant parce qu'il avait acquis de nouvelles lumières, que parce qu'il avait acquis aussi plus de hardiesse à ne point (1) Voy. l'Hist. de 1725, pag. 121 et suiv.

où les

ménager les préjugés ordinaires, et en même temps plus d'autorité. Les auteurs, ainsi que ceux qui gouvernent, doivent un peu se régler sur l'opinion qu'ils sentent que l'on a d'eux. La carte de la fameuse retraite des dix mille, nécessaire pour entendre l'histoire que Xénophon en a écrite, părut en 1721. Elle lui produisait une difficulté très-considérable, qu'il ne pouvait lever que par une supposition hardie, que nous avons déjà exposée au public (1). Quelquefois les savans ne sont pas fâchés de se trouver dans ces sortes de détroits, d'où ils ne peuvent sortir qu'à force de savoir.

Dès l'an 1718, il fut honoré par brevet du titre de premier géographe du roi, que personne n'avait encore porté, ni ne porte encore après lui. S. M. y joignit une pension.

Il avait entrepris plusieurs ouvrages pour le roi, une carte de l'empire d'Alexandre, dont il rendait l'étendue beaucoup moindre, et par conséquent plus vraisemblable par ce même principe paradoxe, dont il se servait pour la retraite des dix mille; l'empire des Perses sous Darius ; l'empire Romain dans sa plus grande étendue; la France selon toutes ses différentes divisions, tant sous les Romains que sous les trois races de ses rois. Toutes ces cartes, particulièrement destinées à l'histoire, et aux histoires les plus intéressantes, étaient des secours et des avantages qui de l'éducation du roi devaient passer à celle des particuliers mais ces travaux, quoiqu'apparemment fort avancés, ne sont pas finis.

On croit aussi qu'il a fort avancé une carte de la Terre-Sainte, théâtre des plus grands événemens qui aient jamais été, et qui puissent jamais être. Il y travaillait depuis long-temps avec un soin si scrupuleux et si difficile à contenter, qu'il semble que la religion y eût part. Il joignit à la Terre-Sainte l'Égypte, pays très-fameux et très-peu connu.

Il ne paraissait presque plus d'histoire ou de voyage, que l'on ne voulût orner d'une carte de Delisle. Ces sortes de modes prouvent du moins les grandes réputations. Il avait promis une carte à l'abbé de Vertot pour son histoire de Malte qui allait paraître : il la finit le 25 janvier 1726 au matin; et étant sorti l'aprèsdînée, il fut frappé dans la rue d'une apoplexie, dont il mourut le même jour sans avoir repris connaissance.

Quoique le nom d'un savant ait bien du chemin à faire pour aller jusqu'aux oreilles des têtes couronnées, et même seulement jusqu'à celles de son maître, le nom de Delisle avait frappé les puissances étrangères. Le roi de Sardaigne, alors roi de Sicile, fit examiner par d'habiles gens la carte de la Sicile publiée par (1) Voy. l'Hist. de 1721, pag. 78 et suiv.

cet auteur, et elle fut trouvée si exacte et si correcte, que sa majesté l'honora d'une lettre accompagnée d'un présent que la lettre rendait presque inutile. L'ambassadeur qui lui remit l'un et l'autre, avait ordre en même temps de faire tous ses efforts pour l'engager à passer dans les états de ce prince, où il aurait tous les avantages et tous les agrémens qu'il demanderait : mais l'amour de la patrie le retint, et peut-être aussi l'espérance qu'elle n'aurait pas l'ingratitude assez ordinaire à toute patrie. D'autres puissances dui ont fait les mêmes sollicitations. Le czar allait le voir familièrement pour lui donner quelques remarques sur la Moscovie, et plus encore pour connaître chez lui, mieux que partout ailleurs, son propre empire.

Deux de ses frères, tous deux de cette académie, et astronomes, ont été appelés à Pétersbourg. Un autre avait pris l'histoire pour son partage. Il est rare qu'un père savant ait quatre fils qui le soient aussi, et avec succès. Cette inclination n'a pas coutume de se communiquer tant, et encore moins le génie.

NICOLAS

ELOGE

DE MALEZIEU.

ICOLAS DE MALEZIEU naquit à Paris en 1650 de Nicolas de Malezieu, écuyer, seigneur de Bray, et de Marie des Forges, originaire de Champagne. Il était encore au berceau lorsqu'il perdit son père, et il demeura entre les mains d'une mère qui avait beaucoup d'esprit ; elle ne fut pas long-temps à s'apercevoir que cet enfant méritait une bonne éducation. Il la prévenait même ; et dès l'âge de quatre ans, il avait appris à lire et à écrire presque sans avoir eu besoin de maître. Il n'avait que douze ans quand il finit sa philosophie au collége des jésuites à Paris. De là il voulut aller plus loin, parce qu'il entendait parler d'une philosophie nouvelle qui faisait beaucoup de bruit. Il s'y appliqua sous Rohaut, et en même temps aux mathématiques, dont elle emprunte perpétuellement le secours, qu'elle se glorifie d'emprunter.

Ces mathématiques, qui souffrent si peu qu'on se partage entre elles et d'autres sciences, lui permettaient cependant les belles-lettres, l'histoire, le grec, l'hébreu, et même la poésie, plus incompatible encore avec elles que, tout le reste. Toutes les sortes de sciences se présentent à un jeune homme né avec de l'esprit ; mille hasards les font passer en revue sous ses yeux, et c'est quelque inclination particulière, ou plutôt quelque talent naturel, source de l'inclination, qui le détermine à un choix :

on préfere ce que l'on sent qui promet plus de succès. De Malezieu ne fit point de choix, et il embrassa tout; tout l'attirait également, tout lui promettait un succès égal.

Feu l'évêque de Meaux le connut à peine âgé de vingt ans, et il n'eut pas besoin de sa pénétration pour sentir le mérite du jeune homme. Ce n'était point un mérite enveloppé qui perçât difficilement au travers d'un extérieur triste et sombre; sa facilité à entendre et à retenir lui avait épargné ces efforts et cette pénible contention, dont l'habitude produit la mélancolie; les sciences étaient entrées dans son esprit comme dans leur séjour naturel, et n'y avaient rien gâté; au contraire, elles s'étaient parées elles-mêmes de la vivacité qu'elles y avaient trouvée. M. de Meaux prit dès-lors du goût pour sa conversation et pour son caractère.

Des affaires domestiques l'appelèrent en Champagne. Comme il était destiné à plaire aux gens de mérite, il entra dans une liaison étroite avec M. de Vialart, évêque de Châlons, aussi connu par la beauté de son esprit que par la pureté de ses mœurs; et il se fortifia par ce commerce dans des sentimens de religion et de piété qu'il a conservés toute sa vie. Il se maria à vingt-trois ans avec demoiselle Françoise Faudelle de Faveresse ; et quoiqu'amoureux, il fit un bon mariage. Il passa dix ans en Champagne dans une douce solitude, uniquement occupé de deux passions heureuses; car on juge bien que les livres en étaient une. C'est un bonheur pour les savans que leur réputation doit amener à Paris, d'avoir eu le loisir de se faire un bon fonds dans le repos d'une province : le tumulte de Paris ne permet pas assez qu'on fasse de nouvelles acquisitions, si ce n'est celle de la manière de savoir.

Le feu roi ayant chargé le duc de Montausier et l'évêque de Meaux de lui chercher des gens de lettres propres à être mis auprès du duc du Maine, qui avait déjà le savant Chevreau pour précepteur, ils jetèrent les yeux sur de Malezieu et de Court. Tous deux furent nommés par le roi, et une seconde fois en quelque sorte par le public, lorsqu'il les connut assez. Il se trouvait entre leurs caractères toute la ressemblance, et de plus toute la différence qui peuvent servir à former une grande liaison; car on se convient aussi par ne se pas ressembler. L'un vif et ardent, l'autre plus tranquille et toujours égal, ils se réunissaient dans le même goût pour les sciences, et dans les mêmes principes d'honneur, et leur amitié n'en faisait qu'un seul homme en qui tout se trouvait dans un juste degré. Ils rencontrèrent dans le jeune prince des dispositions d'esprit et de cœur, si heureuses et si singulières, qu'on ne peut assurer qu'ils lui aient été fort utiles, principalement à l'égard des qualités de l'âme, qu'ils n'eurent guère que l'avantage de voir de plus près et avec plus d'admira

tion. Le roi les admettait souvent dans son particulier à la suite du duc du Maine, lorsqu'il n'était question que d'amusemens; et ces occasions si flatteuses étaient extrêmement favorables pour faire briller la vivacité, le génie et les ressources de génie de Malezieu.

La cour rassemblait alors un assez grand nombre de gens illustres par l'esprit; Racine, Despréaux, la Bruyère, Malezieu, de Court: M. de Meaux était à la tête. Ils formaient une espèce de société particulière, d'autant plus unie qu'elle était plus séparée de celle des illustres de Paris, qui ne prétendaient pas devoir reconnaître un tribunal supérieur, ni se soumettre aveuglément à des jugemens, quoique revêtus de ce nom si imposant de jugemens de la cour. Du moins avaient-ils une autorité souveraine à Versailles, et Paris même ne se croyait pas toujours assez fort pour en appeler.

M. le prince, M. le duc, le prince de Conti, qui brillaient beaucoup aussi par l'esprit, mais qui ne doivent être comptés qu'à part, honoraient Malezieu de leur estime et de leur affection. Il devenait l'ami de quiconque arrivait à la cour avec un mérite éclatant. Il le fut, et très-particulièrement de l'abbé de Fénélon, depuis archevêque de Cambray, et il n'en conserva pas moins l'amitié de M. de Meaux, lorsque ces deux grands prélats furent brouillés par une question subtile et délicate, qui ne pouvait guère être une question que pour d'habiles théologiens. On dit même que ces deux respectables adversaires le prirent souvent pour arbitre de plusieurs articles de leurs différends. Soit qu'il s'agit des procédés ou du fond, quelle idée n'avaient-ils pas ou de ses lumières, ou de sa droiture?

gens

que

Quand le duc du Maine se maria, Malezieu entra dans une nouvelle carrière. Une jeune princesse, avide de savoir, propre à savoir tout, trouva d'abord dans sa maison celui qu'il lui fallait pour apprendre tout, et elle ne manqua pas de se l'attacher particulièrement, par ce moyen infaillible les princes ont toujours en leur diposition, par l'estime qu'elle lui fit sentir. Souvent, pour lui faire connaître les bons auteurs de l'antiquité, , que tant de il aiment mieux admirer que lire, lui a traduit sur-le-champ, en présence de toute sa cour, Virgile, Térence, Sophocle, Euripide; et depuis ce temps-là les traductions n'ont plus été nécessaires que pour une partie de ces auteurs. Il serait fort du goût de cette académie, que nous parlassions aussi des sciences plus élevées où elle voulut être conduite par le même guide; mais nous craindrions de révélér les secrets d'une si grande princesse. Il est vrai qu'on devinera bien les noms de ces sciences, mais on ne devinera pas jusqu'où elle y a pénétré.

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