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expériences de Homberg, et n'eut pas le même succès à l'égard de la vitrification de l'or, dont nous avons parlé en 1702, p. 34, et en 1717, p. 30. Il est le philosophe hollandais, aux objections duquel Homberg répondait en 1707. Il ne s'en est point désisté, et a toujours soutenu que ce qui se vitrifiait n'était point l'or, mais une matière sortie du charbon qui soutenait l'or dans le foyer, et mêlée peut-être avec quelques parties hétérogènes de l'or. Il niait même la vitrification d'aucun métal au verre ardent; jamais il n'avait seulement pu parvenir à celle du plomb, quelque temps qu'il y eût employé. Il est triste qu'un grand nombre d'expériences délicates soient encore incertaines. Seraitce donc trop prétendre, que de vouloir du moins avoir des faits bien constans?

Le landgrave de Hesse-Cassel dit un jour à Hartsoëker, qu'il aurait bien souhaité le trouver peu content de la cour Palatine. Il répéta deux fois ce discours, que Hartsoëker ne voulait pas entendre ; et enfin, le prenant par la main, il lui dit: Je ne sais si vous me comprenez. Hartsoëker, obligé de répondre, l'assura de son respect, de sa reconnaissance, et en même temps d'une fidélité inviolable pour l'électeur. Un refus si noble à des avances si flatteuses dut le faire regretter davantage par le landgrave.

Il alla à la cour d'Hanovre, où Leibnitz, ami né de tous les savans, le présenta à l'électeur, aujourd'hui roi d'Angleterre, et à la princesse électorale, si célèbre par son goût et par ses lumières. Il reçut un accueil très-favorable; la renommée de Leibnitz rendait témoignage à son mérite.

L'électeur Palatin ayant entendu parler avec admiration du miroir ardent de Tschirnhaus, demanda à Hartsoëker s'il en pourrait faire un pareil. Celui-ci aussitôt en fit jeter trois dans la verrerie de Neubourg, de la plus belle matière qu'il fut possible. Il les eut bientôt mis dans leur perfection, et l'électeur lui en donna le plus grand, qui a trois pieds cinq pouces rhinlandiqués de diamètre, et que deux hommes ont de la peine à transporter. Il est de neuf pieds de foyer, et ce foyer est parfaitement rond, et de la grandeur d'un louis d'or. Le miroir du Palais-Royal n'est pas si grand.

En 1710, il publia un volume intitulé: Eclaircissemens sur les conjectures physiques. Ce sont des réponses à des objections, dont il a dit depuis que la plupart étaient de Leibnitz. Dans cet ouvrage, il devient un homme presque entièrement différent de ce qu'il avait été jusqu'alors. Il n'avait jamais attaqué personne : ici il est un censeur très-sévère; et c'est principalement sur les volumes donnés tous les ans par l'académie, que tombe sa ceusure. Il est vrai qu'il a souvent déclaré qu'il ne critiquait que ce

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qu'il estimait, et qu'il se tiendrait honoré de la même marque d'estime. L'académie qui ne se croit nullement irrépréhensible, ne fut point offensée : elle le traita toujours comme un de ses membres, sujet seulement à quelque mauvaise humeur; et les particuliers attaqués ne voulurent point interrompre le cours de leurs occupations, pour travailler à des réponses qui le plus sou vent sont négligées du public, et tout au plus soulagent un peu la vanité des auteurs.

Les Eclaircissemens sur les conjectures physiques eurent une suite assez ample, qui parut en 1712. L'auteur y étend beaucoup plus loin qu'il n'avait encore fait, le système des âmes plastiques. Dans l'homme, l'âme raisonnable donne les ordres; et une âme végétative, qui est la plastique, intelligente et plus intelligente que la raisonnable même, exécute dans l'instant; et non-seulement exécute les mouvemens volontaires, mais prend soin de toute l'économie animale, de la circulation des liqueurs, de la nutrition, de l'accrétion, etc.: opérations trop difficiles pour n'être l'effet que du seul mécanisme. Mais, dit-on aussitôt, cette âme raisonnable, cette âme végétative, c'est, nous-mêmes. et comment faisons-nous tout cela sans en savoir rien? Hartsoëker répond par une comparaison qui du moins est assez ingénieuse: un sourd est seul dans une chambre, et il y a dans des chambres voisines des gens destinés à le seryir. On lui a fait comprendre que quand il voudrait manger, il n'avait qu'à frapper avec un bâton; il frappe, et aussitôt des gens viennent qui apportent des plats. Comment peut-il concevoir que ce bruit qu'il n'a pas entendu, et dont il n'a pas l'idée, les a fait venir?

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Après cela on s'attend assez à une âme végétative intelligente dans les bêtes, qui en paraissent effectivement assez dignes. On ne sera pas même trop surpris qu'il y en ait une dans les plantes, ou elle réparera, comme dans les écrevisses, les parties perdues; aura attention à ne les laisser sortir de terre que par la tige; tiendra cette tige toujours verticale; fera enfin tout ce que le mécanisme n'explique pas commodément. Mais Hartsoëker ne s'en tient pas là. A ce nombre prodigieux d'intelligences répandues partout, il en ajoute qui président aux mouvemens célestes, et qu'on croyait abolies pour jamais. Ce n'est pas là le seul exemple qui fasse voir qu'aucune idée de la philosophie ancienne n'a été assez proscrite, pour, devoir désespérer de revenir dans la moderne.

Cette suite des éclaircissemens contient, outre, plusieurs morceaux de physique destinés à l'usage de l'électeur, différens morceaux particuliers, qui sont presque tous des critiques qu'il fait de plusieurs auteurs célèbres, ou des réponses à des critiques

qu'on lui avait faites. Surtout il répond à des journalistes dont il n'était pas content: ce sont des espèces de juges fort sujets à être pris à partie.

L'électeur Palatin mourut en 1716. Hartsoëker ne quitta point la cour Palatine, tant l'électrice veuve, que princesse de la maison de Médicis, née avec le goût héréditaire de protéger les sciences, et à laquelle il était fort attaché, demeura en Allemagne. Mais elle se retira en Italie au bout d'un an, après avoir fait ses adieux en princesse, avec des libéralités qu'elle répandit sur ses anciens courtisans. Hartsoëker n'y fut pas oublié. Dès que le landgrave de Hesse le vit libre, il recommença à lui faire l'honneur de le solliciter: mais il se crut déjà trop avancé en âge pour prendre de nouveaux engagemens ; il avait assez vécu dans une cour, et quelques agrémens qu'un philosophe y puisse avoir, il ne peut s'empêcher de sentir qu'il est dans un climat étranger. Il se transporta avec toute sa famille à Utrecht.

Ce fut là qu'il fit imprimer en 1722 un recueil de pièces de physique, toutes détachées les unes des autres. Le titre annonce ensuite que le principal dessein est de faire voir l'invalidité du système de Newton, de ce système fondé sur la plus sublime géométrie, ou étroitement incorporé avec elle, adopté par tous les philosophes de toute une nation aussi éclairée que l'Anglaise, admiré même, et du moins respecté par ceux qui ne l'adoptent pas. Hartsoëker, sans user de petits ménagemens peu philosophiques, entre en lice avec courage, et se déclare nettement contre ces grands espaces vides où se meuvent les planètes, obligées à décrire des courbes par des gravitations ou attractions mutuelles. Il y trouve des inconvéniens qu'il ne peut digérer ; et quoiqu'il ne soit rien moins que cartésien, il aime mieux ramener les tourbillons de Descartes. L'idée en est effectivement très-naturelle; et de plus les mouvemens de toutes les planètes, tant principales que subalternes, dirigés en même sens, mais principalement le rapport invariable de toutes les distances à toutes les révolutions, indiquent assez fortement que tous les corps célestes qui composent le système solaire, sont assujettis à suivre le cours d'un même fluide. Il faut convenir néanmoins que les comètes qui se meuvent en tous sens, devraient trouver dans ce grand fluide une résistance qui diminuerait beaucoup leur mouvement propre, et pourrait même ne leur laisser à la fin que le mouvement général du tourbillon. Hartsoëker tâche à se tirer de cette grande difficulté par son système particulier des comètes, qui n'est pas lui-même sans difficulté.

Dans ce même recueil il attaque trois dissertations, sur les quelles de Mairan étant encore en province, et ayant que d'être

de l'académie des sciences, avait, en trois années consécutives, remporté le prix à l'académie de Bordeaux. De Mairan répondit dans le Journal des Savans en 1722. Il y convient en véritable savant de quelques fautes réelles, et par là il acquiert le droit d'être cru sur sa parole à l'égard de celles dont il ne convient pas. Hartsoëker dit dans sa préface que s'il eût eu les autres pièces, qui dans les années suivantes avaient remporté le prix de Bordeaux, il y aurait fait aussi ses remarques; il prétendait apparemment faire entendre par là qu'il n'en voulait point personnellement à de Mairan, ni à aucun auteur particulier plus qu'à tout autre mais il peut paraître que ce discours marque quelque inclination à reprendre, et même un peu de dessein formé. Il proteste souvent, et avec un grand air de sincérité, qu'il ne prétend donner que de simples conjectures: il serait donc assez raisonnable de laisser celles des autres en paix; elles ont toutes un droit égal de se produire au jour, et souvent n'en ont guère de se combattre.

Nous passerons sous silence le reste de ce recueil : deux dissertations envoyées à l'académie pour le prix qu'elle propose tous les ans, l'une sur le principe, l'autre sur les lois du mouvement; un discours sur la peste, où il prend après le P. Kircher l'hypothèse des insectes; un traité des passions, etc. Mais nous en exceptons une pièce, à cause du grand et fameux adversaire qu'elle a pour objet, Bernoulli, dont Hartsoëker avait attaqué le sentiment sur la lumière du baromètre, exposé dans l'histoire de 1701 (1).

Bernoulli fit soutenir à Bâle sur ce sujet une thèse, où l'on ne ménageait pas Hartsoëker, qui s'en ressentit vivement. Il ramasse de tous côtés les armes qui pouvaient servir sa colère; et comme il était accusé d'en vouloir toujours aux plus grands hommes, tels que Huyghens, Leibnitz, Newton, il se justifie par en parler plus librement que jamais, peut-être pour faire valoir sa modération passée. Surtout Leibnitz, qui n'entre dans la querelle qu'à cette occasion et très-incidemment, n'en est pas traité avec plus d'égard; et son harmonie préétablie, ses monades, et quelques autres pensées particulières, sont rudement qualifiées. On croirait que les philosophes devraient être plus modérés dans leurs querelles que les poëtes, les théologiens plus que les philosophes; cependant tout est assez égal.

Après que Hartsoëker se fut établi à Utrecht, il entreprit un cours de physique auquel il a beaucoup travaillé. Il y a fait de plus un extrait entier des lettres de Leuvenhoeck, parce qu'il trouvait que dans ce livre beaucoup d'observations rares et cu(1) Page 1 et suiv.

rieuses se perdaient dans un tas de choses inutiles, qui empêche raient peut-être qu'on ne se donnât la peine de les y aller déterrer. On doit être bien obligé à ceux qui sont capables de produire, quand ils veulent bien donner leur temps à rendre les productions d'autrui plus utiles au public.

Son application continuelle au travail altéra enfin sa santé, qui jusques-là s'était bien soutenue. Peu de temps avant sa mort, sur quelques reproches qui lui étaient revenus de la manière dont il en avait usé à l'égard de l'académie, il voulut se justifier par une espèce d'apologie qu'il n'a pu achever entièrement. On s'imagine bien sur quoi elle roule tout ce qu'il y dit est vrai, et il ne reste rien à lui reprocher, qu'une chose dont on ne peut le convaincre; c'est que l'on sent dans ses critiques plus de plaisir que de besoin de critiquer : mais ce serait pousser délicatesse trop loin, que de donner du poids à un sentiment qui peut être incertain et trompeur.

la

Il mourut le 10 décembre 1725. Il était vif, enjoué, officieux, d'une bonté et d'une facilité dont de faux amis ont abusé assez souvent. Ces qualités, qui s'accordent si peu avec un fonds critique, naturellement chagrin et malfaisant, sont peut-être sa meilleure apologie.

ÉLOGE

DE DELISLE.

connaissait

UILLAUME DELISLE naquit à Paris, le dernier février 1675, de Claude Delisle, homme très-célèbre par sa grande connaissance de l'histoire et de la géographie, et qui les enseignait dans Paris avec beaucoup de succès à tous ceux qui, faute de loisir, ou pour s'épargner de la peine, on pour aller plus vite, avaient besoin d'un maître. Tous les jeunes seigneurs de son temps, et heureusement son temps a été très-long, ont appris de lui. Feu le duc d'Orléans fut son disciple; et comme il se dès-lors en hommes, il conserva toujours pour lui une bienveillance particulière. Delisle n'était pas de ces maîtres ordinaires, qui n'en savent qu'autant qu'il faut pour débiter à un écolier ce qu'il ne savait pas; il possédait à fond les sciences dont il faisait profession, et je l'ai assez connu pour assurer que la candeur de son caractère était telle, qu'il n'eût osé en'seigner ce qu'il n'eût su que superficiellement.

Le père reconnut bientôt dans son fils toutes les dispositions qu'il pouvait souhaiter, et il était impossible que l'éducation manquât à la nature. Delisle presque enfant, à l'âge de huit

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