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sur lesquelles il put étendre ses expériences. Il imagina qu'ils devaient être répandus dans l'air où ils voltigeaient; que tous les animaux visibles les prenaient tous confusément, ou par la respiration, ou avec les alimens; que de là ceux qui convenaient à chaque espèce allaient se rendre dans les parties des mâles propres à les renfermer ou à les nourrir, et qu'ils passaient ensuite dans les femelles, où ils trouvaient des œufs, dont ils se saisissaient pour s'y développer. Selon cette idée, quel nombre prodigieux d'animaux primitifs de toutes les espèces! Tout ce qui respire, tout ce qui se nourrit, ne respire qu'eux, ne se nourrit que d'eux. Il semble cependant qu'à la fin leur nombre viendrait nécessairement à diminuer, et que les espèces ne seraient pas toujours également fécondes. Peut-être cette difficulté aura-t-elle contribué à faire croire à Leibnitz que les animaux primitifs ne périssaient point, et qu'après s'être dépouillés de l'enveloppe grossière, de cette espèce de masque qui en faisait, par exemple, des hommes, ils subsistaient vivans dans leur première forme, et se remettaient à voltiger dans l'air jusqu'à ce que des accidens favorables les fissent de nouveau redevenir hommes.

Hartsoëker demeura à Paris jusqu'à la fin de 1679. Il retourna en Hollande, où il se maria. Il revint à Paris, seulement pour le faire voir pendant quelques semaines à sa femme, qui goûta tant ce séjour, qu'ils y revinrent en 1684, et y furent quatorze années de suite, les plus agréables, au rapport de Hartsoëker, qu'il ait passées en toute sa vie.

Les verres de télescopes, qui avaient été sa première occupation, lui donnèrent beaucoup d'accès à l'observatoire, où il n'y en avait que de Campani, excellens à la vérité, mais pas assez grands. Hartsoëker en fit un qu'il porta à feu Cassini, et il se trouva très mauvais. Un second ne valut pas mieux; enfin un troisième fut passable. Cette persévérance, qui partait du fonds de connaissances qu'il se sentait, fit prédire à Cassini que ce jeune homme, s'il continuait, réussirait infailliblement. La prédiction fut peut-être elle-même la cause de son accomplissement; le jeune homme encouragé fit de bons verres de toutes, sortes de grandeurs, et enfin un de 600 pieds de foyer, dont il n'a jamais voulu se défaire à cause de sa rareté. Il eut l'avantage de gagner l'amitié de Cassini, qui seule eût été une preuve de

mérite.

Sur ces verres d'un si long foyer, il dit un jour à feu Varignon et à l'abbé de Saint-Pierre, qui l'allerent voir, qu'il ne croyait pas possible de les travailler dans des bassins; mais qu'en faisant des essais sur des morceaux de diverses glaces faites pour être

plates, on en trouvait qui avaient une très-petite courbure sphérique, et par conséquent un long foyer; qu'il avait même trouvé un foyer de 1200 pieds ; que cela dépendait en partie d'un peu de courbure insensible dans les tables de fer poli, sur lesquelles on étend le verre fondu, ou de la manière dont on chargeait les glaces pour les polir les unes contre les autres; que ces essais étaient plus longs que difficiles: mais il ne voulut point s'expliquer plus à fond.

En 1694, il fit imprimer à Paris, où il était, son premier ouvrage, l'essai de dioptrique. Il y donne cette science démontrée géométriquement et avec clarté ; tout ce qui appartient aux foyers des verres sphériques, car il rejette les autres figures. comme inutiles; tout ce qui regarde l'augmentation des objets, le rapport des objectifs et des oculaires, les ouvertures qu'il faut laisser aux lunettes, le champ qu'on peut leur donner, le différent nombre de verres qu'on peut y mettre. Il y joint pour l'art de tailler les verres, et sur les conditions que leur matière doit avoir, une pratique qui lui appartenait en partie, et dont cependant il ne dissimule rien. Le titre de son livre eût été rempli, quand il n'eût donné rien de plus; mais il va beaucoup plus loin. Un système général de la réfraction et ses expériences le conduisent à la différente réfrangibilité des rayons, propriété que Newton avait trouvée plusieurs années auparavant, et sur laquelle il a fondé son ingénieuse théorie des couleurs, l'une des plus belles découvertes de la physique moderne. Hartsoëker prétend du moins avoir avancé le premier, que la différente réfrangibilité venait de la différente vitesse, qui effectivement en paraît être la véritable cause; et parce qu'elle était inconnue, it a donné comme un paradoxe inoui en dioptrique, que l'angle de la réfraction ne dépende pas de la seule inégalité de résistance des deux milieux. Plus le rayon a de vitesse; moins il se rompt.

L'essai de dioptrique est même un essai de physique générale. il y pose les premiers principes tels qu'il les conçoit, deux uniques élémens. L'un est une substance parfaitement fluide, infinie, toujours en mouvement, dont aucune partie n'est jamais entièrement détachée de son tout; l'autre, ce sont de petits corps différens en grandeur et en figure, parfaitement durs et inaltérables, qui nagent confusément dans ce grand fluide, s'y rencontrent, s'y assemblent, et deviennent les différens corps sensibles. Avec ces deux élémens il forme tout, et tire de cette hypothèse jusqu'à la pesanteur et à la dureté des corps composés. Ailleurs il en a tiré aussi le ressort.

Un assez grand nombre de phénomènes de physique générale

qu'il explique, l'amènent à la formation du soleil, des planètes, et même des comètes. Il conçoit que les comètes sont des taches du soleil, assez massives pour avoir été chassées impétueusement hors de ce grand globe de feu: elles s'élèvent jusqu'à une certaine distance, et retombent ensuite dans le soleil, qui les absorbe de nouveau et les dissout, ou les repousse encore hors de lui, s'il ne les dissout pas. On tâche présentement à aller plus loin sur la théorie des comètes, et ce ne sont plus des générations fortuites.

L'histoire des découvertes faites dans le ciel par les télescopes, appartenait assez naturellement à la dioptrique. Hartsoëker la donne accompagnée de ses réflexions sur tant de singularités nouvelles et imprévues. Il finit par les observations du microscope, et l'on peut juger que les petits animaux qui se transforment en tous les autres, n'y sont pas oubliés.

Cet ouvrage lui attira l'estime des savans, et l'amitié de quelques-uns, comme l'abbé Gallois, qui conserva toujours pour lui les mêmes sentimens. Le P. Malebranche et le marquis de l'Hôpital, qui reconnurent qu'il était bon géomètre, voulurent le gagner à la nouvelle géométrie des infiniment petits dont ils étaient pleins; mais il la jugeait peu utile pour la physique à laquelle il s'était dévoué. Il dédaignait assez par la même raison les profondeurs de l'algèbre, qui, selon lui, ne servaient à quelques savans qu'à leur procurer la gloire d'être inintelligibles pour la plupart du monde. Il est vrai qu'en ne regardant la géométrie que comme instrument de la physique, il pouvait souvent n'avoir pas besoin que l'instrument fût si fin: mais la géométrie n'est pas un pur instrument; elle a par elle-même une beauté sublime, indépendante de tout usage. S'il ne voulait pas, comme il l'a dit aussi, se laisser détourner de la physique, il avait raison de craindre les charmes de la géométrie nouvelle.

Animé par le succès de sa dioptrique, il publia, deux ans après, ses Principes de Physique à Paris. Là, il expose avec plus d'étendue le système qu'il avait déjà donné en raccourci; et y joignant sur les différens sujets auxquels son titre l'engage, un grand nombre, soit de ses pensées particulières, soit de celles qu'il adopte, il forme un corps de physique assez complet, parce qu'il y traite presque de tout, et assez clair parce qu'il évite les grands détails, qui, en approfondissant les matières, les obscurcissent pour une grande partie des lecteurs.

Au renouvellement de l'académie en 1699, temps où il était retourné en Hollande avec sa famille, il fut nommé associé étranger: c'était le fruit de la réputation qu'il laissait à Paris. Quelque temps après, il fut aussi agrégé à la société royale de

Berlin, et l'on peut remarquer que dans tous les buvrages qu'il a imprimés depuis, il ne s'est paré ni de ces titres d'honneur, ni d'aucun autre. Il a toujours mis simplement et à l'antique par Nicolas Hartsoëker; bien différent de ceux qui rassemblent le plus de titres qu'ils peuvent, et qui croient augmenter leur mérite à force d'enfler leur nom.

Le feu Czar étant allé à Amsterdam pour ses grands desseins, dont nous admirons aujourd'hui, les suites, demanda aux magistrats de cette ville quelqu'un qui pût l'instruire, et lui ouvrir le chemin des connaissances qu'il cherchait. Ils firent venir de Rotterdam Hartsoëker, qui n'épargna rien pour se montrer digne de ce choix, et de l'honneur d'avoir un tel disciple. Le Czar, qui prit beaucoup d'affection pour lui, voulut l'emmener en Moscovie: mais ce pays était trop éloigné, et de mœurs trop différentes; l'incertitude des événemens encore trop grande, une famille trop difficile à transporter. Messieurs d'Amsterdam, pour le dédommager en quelque sorte des dépenses qu'il avait été obligé de faire pendant sa demeure auprès du Czar, lui firent dresser une petite espèce d'observatoire sur un des bastions de leur ville. Ils savaient bien que c'était là le récompenser magnifiquement, quoiqu'à peu de frais.

Il entreprit dans cet observatoire un grand miroir ardent composé de pièces rapportées, pareil à celui dont quelques-uns prétendent qu'Archimède se servit. Le Landgrave de Hesse-Cassel alla le voir travailler; et pour lui faire un honneur encore plus marqué, il alla chez lui. Comme les savans sont ordinairement trop heureux que les princes daignent les admettre à leur faire la cour, les histoires n'oublient pas les visites rendues aux savans par les princes; elles honorent les uns et les autres, et peut-être également.

Dans le même temps, le feu électeur palatin, Jean-Guillaume, avait jeté les yeux sur Hartsoëker, pour se l'attacher : mais, ce qui est rare, le philosophe résistait aux sollicitations de l'électeur; et, ce qui est plus rare encore, l'électeur persévéra pendant trois ans ; et enfin, en 1704, le philosophe se résolut à s'engager dans une cour. Il fut le premier mathématicien de S. A. E., et en même temps professeur honoraire eu philosophie dans l'université d'Heidelberg.

Ce n'est pas assez pour un savant attaché à un prince, d'en recevoir régulièrement, et magnifiquement même, si l'on veut, ces récompenses indispensables que reçoivent sans distinction tous ses autres officiers: il lui en faut de plus délicates; il faut que le prince ait du goût pour les talens et pour les connaissances du savant, il faut qu'il en fasse usage; et plus cet

usage est fréquent et éclairé en même temps, plus le savant est bien payé. Hartsoëker eut ce bonheur avec son maître, qui avait beaucoup d'inclination pour la physique, et s'y appliquait plus sérieusement qu'en prince.

Le physicien prétendait même être obligé au prince d'une observation singulière, qui le fit changer de sentiment sur une matière importante. L'électeur lui apprit la reproduction merveilleuse des jambes d'écrevisse (1). Sur cela, Hartsoëker, qui ne ne put concevoir que cette reproduction de parties perdues ou retranchées, qui est sans exemple dans tous les animaux connus, s'exécutât par le seul mécanisme, imagina qu'il y avait dans les écrevisses une âme plastique ou formatrice, qui savait leur refaire de nouvelles jambes; qu'il devait y en avoir une pareille dans les autres animaux, et dans l'homme même; et parce que la fonction de ces âmes plastiques n'est pas de reproduire des membres perdus, il leur donna celle de former les petits animaux qui perpétuent les espèces. Ce seraient là les natures plastiques de M. Cudworth, qui ont eu de célèbres partisans, si ce n'était que celles-ci agissent sans connaissance, et que celles de M. Hartsoëker sont intelligentes. Ce nouveau système lui plut tant, qu'il se rétracta hautement de la première pensée qu'il avait eue sur les petits animaux, et la traita lui-même de bizarre et d'absurde, termes que la plus grande sincérité d'un auteur n'emploie guère. Quant aux terribles objections qui se présentent bien vite contre les âmes plastiques, il ne se les dissimule pas; et poussé par lui-même aux dernières extrémités, il avoue de bonne foi qu'il ne sait pas de réponse. Il semble qu'il vaudrait autant n'avoir point fait de système, que d'être, si promptement réduit à en venir là. Il ne s'agit que d'avouer son ignorance un peu plus tôt.

Il rassembla les discours préparés qu'il avait tenus à l'électeur, et en forma deux volumes, qui parurent en 1707 et 1708 sous le titre de Conjectures physiques, dédiées au prince pour qui ils avaient été faits. Cet ouvrage est dans le même goût que les Essais de physique, dont il ne se cache pas de répéter quelquefois des morceaux en propres termes, aussi-bien que de l'Essai de dioptrique; car à quoi bon cette délicatesse de changer de tours et d'expressions, quand on ne change pas de pensées ?

Du Palatinat, il fit des voyages dans quelques autres pays de l'Allemagne, ou pour voir les savans, ou pour étudier l'histoire naturelle, surtout les mines. A Cassel, il trouva un verre ardent du Landgrave, fait par Tschirnhaus, de la même grandeur que celui qu'avait feu le duc d'Orléans, et tout pareil. Il répéta les (1) Voyez l'Hist. de 1712, p. 35 et suiv.

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