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Czar envoya à l'académie le plan de cette grande communication, où il avait tant de part comme ingénieur; il semble qu'il voulût d'académicien.

faire ses preuves

Il y a encore un autre canal fini qui joint le Don avec le Volga. Mais les Turcs ayant repris la ville d'Azof, située à l'embouchure du Don, la grande utilité de ce canal attend une nouvelle conquête.

d'autres tra

Vers l'orient la domination du Czar s'étend dans un espace de plus de quinze cents lieues jusqu'aux frontières de la Chine et au voisinage des mers du Japon. Les caravanes moscovites qui allaient trafiquer à la Chine, mettaient une année entière à leur voyage. C'était là une ample matière à exercer un génie tel que le sien; car ce long chemin pouvait être et abrégé et facilité, soit par des communications de rivières, soit par vaux, soit par des traités avec des princes Tartares qui auraient donné passage dans leurs pays. Le voyage pouvait n'être que de quatre mois. Selon son dessein, tout devait aboutir à Pétersbourg, qui par sa situation serait un entrepôt du monde. Cette ville, à qui il avait donné la naissance et son nom, était pour lui ce qu'était Alexandrie pour Alexandre son fondateur: et comme Alexandrie se trouva si heureusement située, qu'elle changea la face du commerce d'alors, et en devint la capitale à la place de Tyr; de même Pétersbourg changerait les routes d'aujourd'hui, et deviendrait le centre d'un des plus grands commerces de l'univers.

Le Czar porta encore ses vues plus loin. Il voulut savoir quelle était sa situation à l'égard de l'Amérique; si elle tient à la Tartarie, ou si la mer du septentrion donnait un passage dans ce grand continent, ce qui lui aurait encore ouvert le nouveau monde. De deux vaisseaux qui partirent d'Arkangel pour cette découverte jusqu'à présent impossible, l'un fut arrêté par les glaces; on n'a pas eu de nouvelles de l'autre, qui apparemment a péri. Au commencement de cette année, il a encore donné ordre à un habile capitaine de marine d'en construire deux autres pour le même dessein. Il fallait que dans de pareilles entreprises l'opiniâtreté de son voyage se communiquât à ceux qu'il employait.

La révolution arrivée en Perse par la révolte de Mahmoud, attira de ce côté-là les armes du Czar et du grand-seigneur. Le Czar s'empara de la ville de Derbent sur la côte occidentale de la mer Caspienne, et de tout ce qui lui convenait par rapport au projet d'étendre le commerce de Moscovie: il fit lever le plan de cette mer; et, grâce à ce conquérant académicien, on en connut enfin la véritable figure, fort différente de celle qu'on lui don

nait communément. L'académie reçut aussi du Czar une carte de sa nouvelle mer Caspienne.

La Moscovie avait beaucoup de mines, mais ou inconnues, ou négligées par l'ancienne paresse et le découragement général de la nation. Il n'était pas possible qu'elles échappassent à la vive attention que le souverain portait sur tout. Il fit venir d'Allemagne des gens habiles dans la science des métaux, et mit en valeur tous ces trésors enfouis; il lui vint de la poudre d'or des bords de la mer Caspienne et du fond de la Sibérie. On dit qu'une livre de cette dernière poudre rendait quatorze onces d'or pur. Du moins le fer beaucoup plus nécessaire que l'or, devint commun en Moscovie, et avec lui tous les arts qui le préparent ou qui l'emploient.

On ne peut que parcourir les différens établissemens que lui doit la Moscovie, et seulement les principaux.

Une infanterie de cent mille hommes, aussi belle et aussi aguerrie qu'il y en ait en Europe, dont une assez grande partie des officiers sont déjà Moscovites. On convient que la cavalerie n'est pas si bonne, faute de bons chevaux.

Une marine de quarante vaisseaux de ligne et de deux cents galères.

Des fortifications, selon les dernières règles, à toutes les places qui en méritent.

Une excellente police dans les grandes villes, qui auparavant étaient aussi dangereuses pendant la nuit, que les bois les plus écartés.

Une académie de marine et de navigation, où toutes les familles nobles sont obligées d'envoyer quelques-uns de leurs enfans.

Des colléges à Moscou, à Pétersbourg et à Kiof, pour les langues, les belles-lettres et les mathématiques; de petites écoles dans les villages, où les enfans des paysans apprennent à lire et

à écrire.

Un collége de médecine et une belle apothicairerie publique à Moscou, qui fournit de remèdes les grandes villes et les armées. Jusques-là il n'y avait eu dans tout l'empire aucun médecin que pour le Czar, nul apothicaire.

Des leçons publiques d'anatomie, dont le nom n'était seulement pas connu; et ce qu'on peut compter pour une excellente leçon toujours subsistante, le cabinet du fameux Ruisch, acheté par le Czar, où sont rassemblées tant de dissections si fines, si instructives et si rares.

Un observatoire où des astronomes ne s'occupent pas seulement à étudier le ciel, mais où l'on renferme toutes les curiosi

tés d'histoire naturelle, qui apparemment donneront naissance à un long et ingénieux travail de recherches physiques.

Un jardin des plantes, où des botanistes qu'il a appelés rassembleront avec notre Europe connue tout le nord inconnu de l'Europe, celui de l'Asie, la Perse et la Chine.

Des imprimeries, dont il a changé les anciens caractères trop barbares et presque indéchiffrables, à cause des fréquentes abréviations. D'ailleurs, des livres si difficiles à lire étaient plus rares qu'aucune marchandise étrangère.

Des interprètes pour toutes les langues des états de l'Europe, et de plus pour la latine, pour la grecque, pour la turque, pour la calmouque, pour la mongule et pour la chinoise; marque de la grande étendue de cet empire, et peut-être présage d'une plus grande.

Une bibliotheque royale, formée de trois grandes bibliothèques qu'il avait achetées en Angleterre, en Holstein et en Allemagne. Après avoir donné à son ouvrage des fondemens solides et nécessaires, il y ajouta ce qui n'est que de parure et d'ornement. Il changea l'ancienne architecture grossière et difforme au dernier point, ou plutôt il fit naître chez lui l'architecture. On vit s'élever un grand nombre de maisons régulières et commodes, quelques palais, des bâtimens publics, et surtout une amirauté, qu'il n'a faite aussi superbe et aussi magnifique, que parce que ce n'est pas un édifice destiné à une simple ostentation de magnificence. Il a fait venir d'Italie et de France beaucoup de tableaux, qui apprennent ce que c'est que la peinture à des gens qui ne la connaissaient que par de très-mauvaises représentations de leurs saints. Il envoyait à Gênes et à Livourne des vaisseaux chargés de marchandises, qui lui rapportaient du marbre et des statues. Le pape Clément XI, touché de son goût, lui donna une antique qu'il fit venir par terre à Pétersbourg, de peur de la risquer sur mer. Il a même fait un cabinet de médailles, curiosité qui n'est pas ancienne dans ce pays-ci. Il aura eu l'avantage de prendre tout dans l'état où l'ont mis jusqu'à présent les nations les plus savantes et les plus polies, et elles lui auront épargné cette suite si lente de progrès qu'elles ont eue à essuyer; bientôt elles verront la nation russienne arriver à leur niveau, et y arriver d'autant plus glorieusement, qu'elle sera partie de plus loin.

Les vues du Czar embrassaient si généralement tout, qu'il lui passa par l'esprit de faire voyager dans quelques villes principales d'Allemagne les jeunes demoiselles moscovites, afin qu'elles prissent une politesse et des manières dont la privation les défigurait entièrement. Il avait yu ailleurs combien l'art des agré

mens aide la nature à faire des personnes aimables, et combien même il en fait sans elle. Mais les inconvéniens de ces voyages se présentèrent bien vite; il fallut y renoncer, et attendre que les hommes devenus polis fussent en état de polir les femmes : elles surpasseront bientôt leurs maîtres.

Le changement général comprit aussi la religion, qui à peine méritait le nom de religion chrétienne. Les Moscovites observaient plusieurs carêmes, comme tous les Grecs; et ces jeûnes, pourvu qu'ils fussent très-rigoureusement gardés, leur tenaient lieu de tout. Le culte des saints avait dégénéré en une superstition honteuse; chacun avait le sien dans sa maison pour en avoir la protection particulière, et on prêtait à son ami le saint domestique dont on s'était bien trouvé : les miracles ne dépendaient que de la volonté et de l'avarice des prêtres. Les pasteurs qui ne savaient rien, n'enseignaient rien à leurs peuples; et la corruption des mœurs, qui peut se maintenir jusqu'à un certain point malgré l'instruction, était infiniment favorisée et accrue par l'ignorance. Le Czar osa entreprendre la réforme de tant d'abus, sa politique même y était intéressée. Les jeûnes, par exemple, si fréquens et si rigoureux, incommodaient trop les troupes, et les rendaient souvent incapables d'agir. Ses prédécesseurs s'étaient soustraits à l'obéissance du patriarche de Constantinople, et s'en étaient fait un particulier. Il abolit cette dignité, quoiqu'assez dépendante de lui; et par là se trouva plus maître de son église. Il fit divers réglemens ecclésiastiques sages et utiles, et, ce qui n'arrive pas toujours, tint la main à l'exécution. On prêche aujourd'hui en moscovite dans Pétersbourg: ce nouveau prodige suppléera ici pour les autres. Le Czar osa encore plus; il retrancha aux églises ou aux monastères trop riches l'excès de leurs biens, et l'appliqua à son domaine. On n'en saurait louer que sa politique, et non pas son zèle de religion, quoique la religion bien épurée pût se consoler de ce retranchement. Il a aussi établi une pleine liberté de conscience dans ses états, article dont le pour et le contre peut être soutenu en général, et par la politique, et par la religion.

Il n'avait que cinquante-deux ans lorsqu'il mourut, le 28 janvier 1725, d'une rétention d'urine, causée par un abcès dans le col de la vessie. Il souffrit d'extrêmes douleurs pendant douze jours, et ne se mit au lit que dans les trois derniers. Il quitta la vie avec tout le courage d'un héros et toute la piété d'un chrétien. Comme il avait déclaré par édit, trois ans auparavant, qu'il était maître de disposer de sa succession, il la laissa à la Czarine, sa veuve, qui fut reconnue par tous les ordres de l'état, souveraine impératrice de Russie. Il avait toujours eu

pour elle une vive passion, qu'elle avait justifiée par un mérite rare, par une intelligence capable d'entrer dans toutes ses vues, et de les seconder; par une intrépidité presque égale à la sienne; par une inclination bienfaisante, qui ne demandait qu'à connaître des malheureux pour les soulager.

La domination de l'impératrice Catherine est encore affermie par la profonde vénération que tous les sujets du Czar avaient conçue pour lui. Ils ont honoré sa mort de larmes sincères; toute sa gloire leur avait été utile. Si Auguste se vantait d'avoir trouvé Rome de brique et de la laisser de marbre, on voit assez combien, à cet égard, l'empereur romain est inférieur à celui de la Russie. On vient de lui frapper des médailles où il est appelé Pierre-le-Grand; et sans doute le nom de grand lui sera confirmé par le consentement des étrangers, nécessaire pour ratifier ces titres d'honneur donnés par des sujets à leur maître.

Son caractère est assez connu par tout ce qui a été dit; on ne peut plus qu'y ajouter quelques particularités des plus remarquables. Il jugeait indigne de lui toute la pompe et tout le faste qui n'eût fait qu'environner sa personne, et il laissait au prince Menzicou représenter par la magnificence du favori la grandeur du maître. Il l'avait chargé des dehors brillans, pour ne se réserver que les fonctions laborieuses. Il les poussait à tel point, qu'il allait lui-même aux incendies qui sont en Moscovie très-communs, et font beaucoup de ravage, parce que les maisons y sont ordinairement de bois. Il avait créé des officiers obligés à porter du secours; il avait pris une de ces charges; et pour donner l'exemple, il montait au haut des maisons en feu, quel que fût le péril; et ce que nous admirerions ici dans un officier subalterne, était pratiqué par l'empereur. Aussi les incendies sont-ils aujourd'hui beaucoup plus promptement éteints. Nous devons toujours nous souvenir de ne pas prendre pour règles de nos jugemens des mœurs aussi délicates, pour ainsi dire, et aussi adoucies que les nôtres; elles condanneraient trop vite des mœurs plus fortes et plus vigoureuses. Il n'était pas exempt d'une certaine dureté naturelle à toute sa nation, et à laquelle l'autorité absolue ne remédiait pas. s'était corrigé des excès du vin, très-ordinaires en Moscovie, et dont les suites peuvent être terribles dans celui à qui on ne résiste jamais. La Czarine savait l'adoucir, s'opposer à propos aux emportemens de sa colère, ou fléchir sa sévérité; et il jouis sait de ce rare bonheur, que le dangereux pouvoir de l'amour sur lui, ce pouvoir qui a déshonoré tant de grands hommes, n'était employé qu'à le rendre plus grand. Il a publié avec

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