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1702, sous le titre de Tabulæ astronomicæ, Ludovici màgni jussu et munificentiâ exaratæ. Nous en avons rendu compte en ce temps-là. Nous répéterons seulement que dans ces tables tous les mouvemens des astres sont tirés immédiatement d'une longue suite d'observations assidues, et non d'aucune hypothèse de quelques courbes décrites par les corps célestes. Ainsi, l'on ne peut avoir en astronomie, rien de plus pur et de plus exempt de tout mélange d'imaginations humaines.

De la Hire donna en 1689, outre ses premières tables astronomiques, un petit traité de géométrie pratique, sous le titre d'Ecole des arpenteurs. Il fut réimprimé en 1692, et fort augmenté. La promptitude de la réimpression prouve l'utilité de ce petit livre, qui n'avait guère pu être acheté que par ceux qui devaient s'en servir; et l'utilité justifie l'astronome de s'être abaissé à l'arpentage.

En 1694, parurent de lui quatre traités, qui furent imprimés à la fin du second volume des mémoires que l'académie donna en 1692 et 1693.

Le premier de ces traités est sur les épicycloïdes, courbes comprises dans la même formation générale que la cycloïde, mais plus composées, et qui lui succédèrent, quand elle eut été presque épuisée par les géomètres. De la Hire entreprit cette matière, qui avait le double charme et de la nouveauté et de la difficulté. Il découvrit tout ce qui appartenait aux épicycloïdes, leurs tangentes, leurs rectifications, leurs quadratures, leurs développées. C'est là tout ce que peut sur les courbes la plus sublime géométrie.

Nous avons dit dans l'éloge même de Tschirnhaus, que, quoique inventeur des caustiques, il s'était trompé sur celle du quart du cercle, qu'il avait communiquée à de la fire, en lui cachant néanmoins le fond de la méthode ; que celui-ci avait toujours senti l'erreur, malgré des enveloppes spécieuses et imposantes qui la couvraient; et qu'enfin il avait démontré que cette caustique, qui, à la vérité, était de la longueur déterminée par de Tschirnhaus, n'était pourtant pas la courbe qu'il avait cru, mais une épicycloïde. Ce fut dans le traité des épicycloïdes qu'il fit cette démonstration, et qu'il remporte cet avantage sur un aussi grand adversaire vaincu dans le cœur de ses états.

Un fruit plus considérable, même selon son goût, de sa théorie des épicycloïdes, ce fut l'application utile qu'il en fit à la mécanique: bonheur assez rare en fait de courbes curieuses. Il fit réflexion dans les machines où il y a des roues dentées, que à ces dents que se fait tout l'effort, et que par conséquent le

c'est

frottement qui détruit toujours une grande partie de l'effet des machines, est à ces endroits plus grand et plus nuisible que partout ailleurs. On aurait pu diminuer le frottement, et, ce qui ́est encore un avantage, rendre les efforts toujours égaux, en donnant aux dents des roues une certaine figure qu'il aurait fallu déterminer par géométrie. Mais c'est de quoi l'on ne s'avisait point; au contraire, on abandonnait absolument à la fantaisie des ouvriers la figure de ces dents, comme une chose de nulle conséquence: aussi les machines trompaient-elles toujours l'espérance et le calcul des machinistes. De la Hire trouva que ces dents, pour avoir toute la perfection possible, devaient être en figure d'ondes formées par un arc d'épicycloïde. Il fit exécuter son idée avec succès au château de Beaulieu, à huit lieues de Paris, dans une machine à élever de l'eau.

Il faut avouer que cette idée n'a été exécutée que cette foislà; une certaine fatalité veut qu'entre les inventions il y en ait peu d'utiles, et entre les utiles peu de suivies. L'application de la cycloïde à la pendule à été fort pratiquée, du moins en apparence; mais on commence à en reconnaître l'inutilité. L'application d'une épicycloïde aux dents des roues serait certainement utile ; mais elle est négligée.

Le second traité des quatre dont nous parlons, est une explication des principaux effets de la glace et du froid; le troisième est sur les différences des sons de la corde et de la trompette marine; le quatrième sur les différens accidens de la vue. Le dernier est le plus curieux et le plus intéressant. C'est une optique entière; non pas une optique géométrique qui ne considère réfléchis ou rompus, que des rayons réunis ou écartés selon certaines lois, mais une optique physique qui suppose la géométrique, et qui ne considère qu'une lunette vivante, animée, fort compliquée dans sa construction, sujette à mille changemens, c'est-à-dire l'œil. M. de la Hire examine tout ce qui peut arriver à la vue, suivant la différente constitution de l'œil, ou les différens accidens qui lui peuvent survenir. Ces sortes de recherches particulières, quand elles sont bien approfondies, embrassent un si grand nombre de phénomènes, la plupart fort compliqués, singuliers, contraires en apparence les uns aux autres, qu'elles n'ont ni moins de difficulté que les recherches les plus générales, ni peut-être même moins d'étendue. Les principes généraux sont bientôt saisis, quand ils peuvent l'être : le détail est infini, et souvent il déguise tellement les principes, qu'on ne les reconnaît plus.

De la Hire en 1695 donna son traité de mécanique. Il ne se contente pas de la théorie de cette science, qu'il fonde sur

des démonstrations exactes; il s'attache fort à tout ce qu'il y a de principal dans la pratique des arts. Il s'élève même jusqu'aux principes de cet art divin qui a construit l'univers.

Ceux qui ne voient les mathématiques que de loin, c'est-àdire, qui n'en ont pas de connaissance, peuvent s'imaginer qu'un géomètre, un mécanicien, un astronome, ne sont que le même mathématicien : c'est ainsi à peu près qu'un Italien, un Français et un Allemand passeraient à la Chine pour compatriotes. Mais quand on est plus instruit, et qu'on y regarde de plus près, on sait qu'il faut ordinairement un homme entier pour embrasser une seule partie des mathématiques dans toute son étendue, et qu'il n'y a que des hommes rares et d'une extrême vigueur de génie qui puissent les embrasser toutes à un certain point. Le génie même, quel qu'il fût, n'y suffirait pas sans un travail assidu et opiniâtre. De la Hire joignit les deux, et par-là devint un mathématicien universel. Il ne se bornait pas encore là; toute la physique était de son ressort, j'entends jusqu'à la physique expérimentale, qui est devenue si vaste. De plus, il avait une grande connaissance du détail des arts, pays très-étendu et très-peu fréquenté. Un roi d'Arménie demanda à Néron un acteur excellent et propre à toutes sortes de personnages, pour avoir, disait-il, en lui seul une troupe entière. On eût pu de même avoir en M. de la Hire seul une académie entière des sciences.

On eût eu encore plus. Il était depuis long-temps professeur de l'académie d'architecture, dont l'objet est presque entièrement différent de tous ceux qu'on se propose ici, et il remplissait cette place comme si elle eût fait son unique occupation. On eût eu de surcroît en M. de la Hire un bon dessinateur et un habile peintre de paysage; car il réussissait mieux en ce genre de peinture, peut-être parce qu'il a plus de rapport à la perspective, et à la disposition simple et naturelle des objets, telle que la voit un physicien qui observe. Il est vrai qu'il faut d'ailleurs un goût que le physicien peut bien n'avoir pas.

Il fit, en 1702, graver deux planisphères de seize pouces de diamètre, sur les dessins qu'il en avait faits. Les positions prinpales ont été déterminées par ses propres observations. La projection de ces planisphères est par les pôles de l'écliptique ; et il l'avait choisie comme la plus commode, parce que les étoiles fixes tournant autour de ces pôles, suivent toujours un même

cercle.

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En 1704, le roi le chargea de placer dans les deux derniers pavillons de Marly les deux grands globes qui y sont présentement. Comme l'ouvrage dura.quelque temps, le roi avait souvent la

curiosité de l'aller voir. Il en demandait compte à de la Hire, et l'engageait dans des explications et dans des discours de science, dont on s'aperçut qu'il était fort content. C'est un avantage rare à un savant d'être goûté par un prince; et, pour tout dire aussi, c'est un avantage rare à un prince de goûter

un sayant.

Outre tous les ouvrages que nous avons rapportés de la Hire, et dont le dénombrement n'est pas entièrement exact cause de la multitude, on trouve une grande quantité de morceaux importans qu'il a répandus, soit dans les journaux, soit dans les histoires de l'académie ; mais surtout dans ces histoires où il n'y a point d'année qu'il n'ait enrichie de plusieurs présens, également considérables, et par leur beauté et par leur variété. Nous en avons trop parlé, quand il en a été question, pour en parler encore.

Il a fait infiniment plus que de donner au public tant d'excellens ouvrages de sa composition; il lui a aussi donné les ouvrages d'autrui, et il n'y a pas plaint son temps et ses peines. Picard, qui avait beaucoup travaillé sur le nivellement, étant tombé malade, remit à de la Hire tout ce qu'il avait fait sur cette matière, et le pria de le faire imprimer avec les changemens et les additions qu'il jugerait à propos. De la Hire exécuta son `intention par un livre qui parut en 1684, intitulé: Traité du nivellement de M. Picard, mis en lumière par M. de la Hire, avec des additions. Pareillement il mit au jour, en 1686, le Traité du mouvement des eaux et des autres corps fluides, ouvrage posthume de Mariotte, dont une partie était au net quand il mourut, et l'autre y fut mise sur les papiers qu'on trouva de l'auteur, et selon ses vues. On pourrait croire que la générosité de travailler à ces sortes d'ouvrages n'a pas été si grande, parce qu'il avait vécu en liaison d'amitié avec les auteurs; mais on ne diminuera la gloire de sa générosité, qu'en lui accordant une autre sorte de gloire qui la vaut bien.

Tout ce que nous avons dit de ses différens travaux a dû donner l'idée, non-seulement d'une extrême assiduité dans son cabinet, mais encore d'une santé très-ferme et très-vigoureuse. Telle aussi était la sienne, depuis qu'il avait été guéri des infirmités de sa jeunesse et de ses grandes palpitations de cœur par une fièvre quarte; remède inespéré, qui lui avait donné beaucoup de confiance à la nature, et diminué d'autant son estime pour la médecine. Toutes ses journées étaient d'un bout à l'autre occupées par l'étude, et ses nuits très-souvent interrompues par les observations astronomiques. Nul divertissement que celui de changer de travail; encore est-ce un fait que je hasarde sans en

être bien assuré. Nul autre exercice corporel que d'aller à l'observatoire, à l'académie des sciences, à celle d'architecture, au collége royal, dont il était aussi professeur. Peu de gens peuvent comprendre la félicité d'un solitaire, qui l'est par un choix tous les jours renouvelé. Il a eu le bonheur que l'âge ne l'a point miné lentement', et ne lui a point fait une longue et languissante vieillesse. Quoique fort chargé d'années, il n'a été vieux qu'environ un mois, du moins assez pour ne pouvoir plus venir à l'académie quant à son esprit, il n'a jamais vieilli. Après des infirmités d'un mois ou deux, il mourut sans agonie, et en un moment, le 21 avril 1718, âgé de plus de soixante-dix-huit

ans.

Il a été marié deux fois, et a eu huit enfans. Chacun de ces deux mariages nous a fourni un académicien.

Dans tous ses ouvrages de mathématiques, il ne s'est presque jamais servi que de la synthèse, ou de la manière de démontrer des anciens, par des lignes et des proportions de lignes, souvent difficiles à suivre, à cause de leur multitude et de leur complication. Ce n'est pas qu'il ne sût l'analyse moderne, plus expéditive et moins embarrassée; mais il avait pris de jeunesse l'autre pli. De plus, comme les vérités géométriques découvertes par les anciens sont incontestables, on peut croire aussi que la méthode qui les y a conduits ne peut être abandonnée sans quelque péril; et enfin les méthodes nouvelles sont quelquefois si faciles, qu'on se fait une espèce de gloire de s'en passer. On peut juger par lá qu'il n'employait pas le calcul de l'infini, qu'il n'a pourtant jamais désapprouvé le moins du monde. Au contraire, certains sujets l'ont quelquefois obligé à l'employer, mais tacitement, presque à la dérobée; et c'était alors une sorte de triomphe pour les partisans zélés de ce calcul.

et

Il ne croyait pas que dans les matières de pure physique le secret de la nature fût aisé à attraper. Son explication, par exemple, des effets du froid, il ne la donnait que pour un système, où un principe vraisemblable étant posé, tout le reste s'en déduisait assez bien. Si on lui contestait ce principe, on était tout étonné qu'il n'en prenait pas la défense. Il se contentait d'avoir bien raisonné, sans prétendre avoir bien deviné.

Il avait la politesse extérieure, la circonspection, la prudente timidité de ce pays qu'il aimait tant, de l'Italie; et par là il pouvait paraître à des yeux français un peu réservé, un peu retiré en lui-même. Il était équitable et désintéressé, non-seulement en vrai philosophe, mais en chrétien. Sa raison, accoutumée à examiner tant d'objets différens, et à les discuter avec curiosité, s'arrêtait tout court à la vue de ceux de la religion;

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