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par une fluxion de poitrine; il mourut le 6 juillet 1716, en sa soixante-quatrième année.

Il a été marié deux fois. A la première il prit une précaution assez nouvelle ; il ne voulut point voir celle qu'il devait épouser jusqu'à ce qu'il eût été chez un notaire faire rédiger par un écrit les conditions qu'il demandait; il craignit de n'en être pas assez le maître après avoir vu. La seconde fois il était plus aguerri. Il a eu du premier lit deux fils ingénieurs ordinaires du roi, et officiers dans les troupes; et du second un fils et une fille. Le fils a été muet jusqu'à sept ans, précisément comme son père, et ne fait que commencer à parler. Sauveur n'avait point de présomption. Je lui ai ouï dire que ce qu'un homme peut en mathématique, un autre le pouvait aussi. La proposition n'est peut-être pas vraie, mais elle est modeste dans la bouche d'un grand mathématicien, car un médiocre aurait voulu tout égaler. Il avait beaucoup de peine à se contenter sur ses ouvrages, et il fallait qu'il les éloignât de ses yeux, et se les arrachât luimême pour cesser d'y retoucher. Il était officieux, doux, et sans humeur, même dans l'intérieur de son domestique. Quoiqu'il eût été fort répandu dans le monde, sa simplicité et son ingénuité naturelles n'en avaient point été altérées, et le caractère mathématique avait toujours prévalu.

ÉLOGE

DE PARENT.

ANTOINE PARENT naquit à Paris le 16 septembre 1666. Ses aïeux étaient de Chartres; son père était né à Paris, fils d'un avocat au conseil.

Il n'avait pas encore trois ans, quand Antoine Mallet, onclé de sa mère, curé du Bourg de Leves auprès de Chartres, le fit emporter pour l'élever chez lui. Ce curé gouverna sa paroisse pendant cinquante-quatre ans avec la réputation d'un saint prêtre, d'un bon théologien, et même d'un assez habile naturaliste. Il fut le seul précepteur de son petit-neveu, ou plutôt son père. Comme il ne lui put enseigner que les premières règles de l'arithmétique, et que l'enfant ne s'en contentait pas, il fallut lui donner quelques livres qui allassent plus loin; mais ce n'étaient que des règles sans démonstrations, et l'enfant ne s'en contentait Il tâcha de trouver des preuves par même, vint à bout de quelques-unes, ne put réussir à d'autres ; et enfin à l'âge de treize ans il avait rempli d'une espèce de commentaire toutes les marges d'un livre d'arithmétique, marque

pas encore.

lui

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déjà certaine d'un génie mathématique qui se développait, et dont les forces naissantes demandaient à s'exercer.

Ce que son oncle eut le plus de soin de lui apprendre, ce fut la religion et la piété, et ses leçons fructifièrent peut-être audelà de son espérance. Parent a été toute sa vie dans une pra→ tique du christianisme non-seulement exacte, mais austère.

A quatorze ans il fut mis en pension chez un ami de son oncle, qui régentait la rhétorique à Chartres. Il se trouva dans sa chambre un dodécaëdre, sur chaque face duquel on avait tracé un cadran, excepté sur l'inférieure. Le hasard semblait le poursuivre pour le jeter du côté des mathématiques. Aussitôt le voilà frappé des cadrans : il veut apprendre à en tracer; il trouve un livre qui n'en donnait que la pratique sans théorie; et ce ne fut que quelque temps après, lorsque son régent de rhétorique vint à expliquer la sphère, qu'il commença à entrevoir comment la projection des cercles de la sphère formait les cadrans, et qu'il parvint à se faire une gnomonique, apparemment assez informe, mais toute à lui. Il se fit une géométrie aussi imparfaite et aussi estimable.

Ses parens l'envoyèrent enfin à Paris pour étudier en droit. Il l'étudia par obéissance, et les mathématiques par inclination. Son droit fini, dont il ne prétendait faire nul usage, il s'enferma dans une chambre du collège de Dormans, pour se dévouer à son étude chérie. Là, avec de bons livres, et moins de deux cents francs de revenu, il vivait content. Il était à propos que dans uné pareille fortune, la piété, et la plus rigide, vînt au secours de la philosophie. Il ne sortait de sa retraite que pour aller au collége royal entendre ou de la Hire, ou Sauveur, sous lesquels il profita comme un homme qui avait moins besoin de leçons, que de quelques avis qui lui épargnassent du temps. Sauveur, qui ne pouvait manquer de le bien connaître, m'a dit que c'était véritablement un génie rare, un aigle; et cela, en mettant à son éloge quelques restrictions que nous ne déguiserons pas.

Quand il se sentit assez fort sur les mathématiques, il prit des écoliers, et comme les fortifications étaient ce qu'il enseignait le plus, parce que la guerre ne mettait que trop cette science à da mode, il vint à se faire un scrupule d'enseigner ce qu'il n'avait jamais vu que par la force de son imagination. Sauveur, à qui il confia cette délicatesse, le donna au marquis d'Alegre, qui heureusement en ce temps-là voulait avoir un mathématicien auprès de lui. Il fit avec ce marquis deux campagnes, où il s'instruisit à fond par les vues des places, et leva quantité de plans, quoiqu'il n'eût jamais appris le dessin.

Après cela sa vie n'a pas plus d'événemens, et n'en a peut-être

été que plus heureuse. Ce n'est qu'une application continuelle à l'étude, ou plutôt à toutes les études qui regardent les sciences naturelles, à toutes les parties des mathématiques, soit spéculatives, soit pratiques; à l'anatomie, à la botanique, à la chymie; au détail des arts les plus curieux. Il avait un feu d'esprit qui dévorait tout; et ce qu'il y a de plus rare, cette ardeur si active n'était point volage ni aisée à lasser, mais constante et infatigable. M. des Billettes étant entré dans l'académie en 1699 avec le titre de mécanicien, nomma pour son élève M. Parent, qui excellait principalement en mécanique. On s'aperçut bientôt dans la compagnie, que toutes les différentes matières qui s'y traitaient l'intéressaient, qu'il était au fait de toutes, et qu'on aurait pu le choisir pour l'élève universel. Mais cette grande étendue de connaissances, jointe à son impétuosité naturelle, le portait aussi à contredire assez souvent sur tout, quelquefois avec précipitation, souvent avec peu de ménagement. La recherche de la vérité demande dans l'académie la liberté de la contradiction; mais toute société demande dans la contradiction de certains égards, et il ne se souvenait pas que l'académie est une société. On ne laissait pas de bien sentir son mérite au travers de ses manières; mais il fallait quelque petit effort d'équité, qu'il vaut toujours mieux épargner aux hommes.

Personne n'a tant fourni que lui à nos assemblées ; et quoiqu'on traitât quelquefois avec assez de sévérité ce qu'il apportait, il n'en paraissait pas blessé : son peu de sensibilité à cet égard lui persuadait peut-être que les autres lui ressemblaient, et le rendait plus hardi à s'élever contre eux. Un critique est justifié autant qu'il peut l'être, quand il souffre patiemment d'être imité.

On lui a reproché d'être obscur dans ses écrits; car nous ne dissimulons rien, et nous suivons en quelque sorte une loi de l'ancienne Egypte, où l'on discutait devant les juges les actions et le caractère des morts, pour régler ce qu'on devait à leur mémoire. Cette obscurité, qui tient assez naturellement au grand savoir, pouvait venir aussi de l'ardeur d'un génie vif et bouillant. Quelquefois, à la faveur de ce préjugé établi contre lui, on se dispensait un peu facilement de chercher à l'entendre ; et je sais par expérience, que sans être fort habile on y parvenait, quand on voulait s'en donner la peine. Ici je ne puis m'empêcher de rapporter à son honneur, que dans une lettre écrite à son meilleur ami deux jours avant sa mort, il me remercie de l'avoir, à ce qu'il disait, éclairci. C'était convenir bien sincèrement du défaut dont on l'accusait, pousser loin la reconnaissance pour un soin médiocre que je lui devais.

et

bien

On a vu dans les volumes de l'académie quantité de mémoires de lui imprimés et choisis assez scrupuleusement sur un nombre beaucoup plus grand de pièces qu'il avait apportées. Il eut raison de ne vouloir pas perdre celles qui lui demeuraient; il les fit entrer dans une espèce de journal, qu'il commença à donner en 1705, intitulé: Recherches de mathématique ou de physique, et qui reparut fort augmenté en 1713. Le dessein était d'y rassembler, outre ce que nous venons de dire, tout ce qu'il y a de plus important dans tous les autres journaux sur les mathématiques et la physique, avec des réflexions et des remarques aussi ingénues qu'il les savait faire, et d'y donner des abrégés et des critiques détaillées des auteurs les plus fameux. Il commençait par Descartes, et avec justice, puisque la philosophie a commencé par lui.

peu

La seconde édition des recherches de Parent est en trois volumes in-12 fort épais. Cet ouvrage est plein de bonnes choses, et n'a pas eu cependant un fort grand cours. La prévention où l'on était sur le peu de clarté de l'auteur, le de faveur qu'il s'attirait par sa liberté de critiquer, le peu d'ordre des matières, ou l'ordre peu agréable, la forme incommode des volumes, car la bagatelle a son poids; tout cela, quoiqu'étranger, a pu diminuer le succès. Il n'y en a guère de si bien mérité où il n'entre encore du bonheur.

Parent était si abondant, que, quoiqu'il eût ce journal à lui il ne laissait pas de se répandre encore dans les autres, dans celui des savans , dans celui de Trévoux, dans le Mercure. Il ne pouvait se contenir dans ses rives. A la fin d'une arithmétique théoripratique qu'il publia en 1714, il a donné un catalogue de ces sortes d'ouvrages extravasés, pour ainsi dire; et il y a lieu d'être surpris et du nombre et de la diversité. Ce grand nombre et cette grande diversité doivent toujours faire à l'auteur un mérite, et dans le besoin une excuse.

Il mourut de la petite vérole le 29 septembre 1719 âgé seulément de cinquante ans, et sa mort fut celle d'un parfait philosophe chrétien. Parmi ses papiers, qui sont en assez grande quantité, et dont plusieurs sont des traités complets, on en a trouvé d'une espèce rare dans de pareils inventaires, des écrits de dévotion, la vie de ce grand oncle à qui il devait tant, les preuves de la divinité de J.-C. en quatre parties. Il a laissé M. de la Faye capitaine aux gardes, et académicien, son exécuteur testamentaire, c'est-à-dire maître de ses papiers.

Il avait un grand fonds de bonté, sans avoir l'agréable superficie. Ce fonds était encore cultivé par une piété solide et austère, conforme ou à l'esprit géométrique, ou au sien. Dans une for

I.

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tune très-étroite, il faisait beaucoup de charités. Quoiqu'il eût un extrême besoin de son temps, il le sacrifiait généreusement à ceux de ses écoliers qui souhaitaient qu'il les promenât dans Paris pour voir des curiosités de sciences, surtout aux étrangers, parce qu'il s'intéressait à la gloire de son pays. Quelques maîtres de mathématiques venaient prendre de lui des leçons dont ils trafiquaient aussitôt. Un jour, et un seul jour de sa vie, il a fait cette confidence à une personne à qui il ne cachait rien; mais il ne nomma pas ces prétendus maîtres. Il n'est sorti du rang d'élève qu'il avait dans cette académie, que par le nouveau réglement de 1716, qui a aboli un titre trop inégal. Comme ces différens titres ne donnent pas ici beaucoup de distinction, et qu'apparemment il faisait peu de cas de ces distinctions, quelles qu'elles puissent être, il ne parut jamais touché de l'ambition de monter à une autre place, et il consentit sans peine que l'académie jouît long-temps de l'honneur d'avoir un pareil élève.

ELOGE

DE LEIBNITZ.

GODEFROY-GUILLAUME LEIBNITZ naquit à Leipsick en Saxe, le

23 juin 1649, de Frédéric Leibnitz, professeur de morale, et greffier de l'université de Leipsick, et de Catherine Schmuck, sa troisième femme, fille d'un docteur et professeur en droit. Paul Leibnitz, son grand-oncle, avait été capitaine en Hongrie, et anobli pour ses services, en 1600, par l'empereur Rodolphell, qui lui donna les armes que Leibnitz portait.

Il perdit son père à l'âge de six ans ; et sa mère, qui était une femme de mérite, eut soin de son éducation. Il ne marqua aucune inclination particulière pour un genre d'étude plutôt que pour un autre. Il se porta à tout avec une égale vivacité; et comme son père lui avait laissé une assez ample bibliothèque de livres bien choisis, il entreprit, dès qu'il sut assez de latin et de grec, de les lire tous avec ordre; poëtes, orateurs, historiens, jurisconsultes, philosophes, mathématiciens, théologiens. Il sentit bientôt qu'il avait besoin de secours; il en alla chercher chez tous les habiles gens de son temps, et même, quand il le fallut, assez loin de Leipsick.

Cette lecture universelle et très-assidue, jointe à un grand génie naturel, le fit devenir tout ce qu'il avait lu. Pareil en quelque sorte aux anciens qui avaient l'adresse de mener jusqu'à huit chevaux attelés de front, il mena de front toutes les sciences,

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