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part du roi. Ce ministre, persuadé que les gens d'un mérite. singulier étaient bons à un état, lui fit, pour l'arrêter, des offres si avantageuses, que Homberg demanda un peu de temps pour prendre son parti, et prit enfin celui de demeurer.

Sa puissante raison était, que la pratique familière aux protestans de lire tous les jours un chapitre de l'écriture sainte lui avait rendu fort suspecte l'église protestante dans laquelle il était né, et qu'il se sentait fort ébranlé pour rentrer dans l'église catholique; ce qu'il fit en 1682. L'année suivante, les lettres et lui perdirent Colbert ; et de plus, il fut déshérité par son père pour avoir changé de religion.

Il entra en grande liaison avec l'abbé de Chalucet, depuis évêque de Toulon, fort curieux de chymie. Homberg y était trop.habile pour' aspirer à la pierre philosophale, et trop sincère pour entêter personne de cette vaine idée. Mais un autre chymiste, avec qui il travaillait chez le prélat, voulant convaincre l'incrédulité de son associé, lui donna en pur don un lingot d'or prétendu philosophique, mais toujours de très-bon or, qui valait bien 400 fr.; tromperie qui, comme il l'avouait, lui vint alors assez à propos. En observant de près la conduite d'un homme qui en savait tant, il craignit, peut-être par un excès de prudence, qu'il n'en sût trop; et pour mieux rompre tout commerce, aussi-bien que par quelques autres raisons, il retourna à Rome en 85.

Il y portait toute sa récolte du Nord ; et il en profita par une pratique de médecine peu connue en ce pays-là, et heureuse. Il négligeait assez sa qualité de docteur à Wittemberg, et on le prenait pour un médecin qui ne l'était que de génie, et non par des degrés cependant assez de gens avaient la hardiesse de se confier à lui, et s'en trouvaient bien. Il lui manquait une qualité dont le défaut rendait la confiance qu'on avait en lui encore plus hardie; il ne vantait ni ses remèdes, ni sa capacité: il n'osait dire plus qu'il ne savait, ni donner le vraisemblable pour assuré; et par-là il ne pouvait guère être le médecin que de malades assez raisonnables. Il se faisait même peu d'honneur des succès, et renvoyait à la nature la plus grande partie de la ' gloire; mais au lieu de l'art de se faire valoir, il avait celui de découvrir assez juste, par des raisonnemens fins, la cause d'une maladie, et le remède qui convenait. Cette sagacité d'esprit particulière valait la grande expérience d'un médecin, qui n'eût été toute sa vie que médecin.

Il revint à Paris au bout de quelques années : et tant de connaissances singulières qu'il avait acquises; ses phosphores, une machine pneumatique de son invention, plus parfaite que celle

ae Guericke, et que celle de Boyle qu'il avait vue à Londres; les nouveaux phénomènes qu'elle lui produisait tous les jours; des microscopes de sa façon, très-simples, très-commodes et très-exacts, autre source inépuisable de phénomènes ; une infinité d'opérations rares, ou de découvertes de chymie, lui donnèrent ici une des premières places entre les premiers savans. Regis, dans son Système de philosophie imprimé en 1690 finit le traité d'optique par dire, que tout ce qu'il en a écrit est confirmé par des expériences qui ont été faites par Homberg, gentilhomme allemand, si fameux par les grandes connaissances qu'il a de la physique, mais surtout par l'adresse et l'exactitude extrême avec laquelle il fait toutes sortes d'expériences.

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Nous avons déjà dit dans l'éloge de Tournefort, que des que l'abbé Bignon eut, en 1691, la direction de l'académie des sciences, il y fit entrer Homberg et Tournefort, qui furent ses premiers nés. Il donna aussi à Homberg le laboratoire de l'académie, et par-là une entière liberté de travailler en chymie sans inquiétude.

L'académie, par le concours de quelques circonstances malheureuses, était tombée alors dans une assez grande langueur. Souvent on ne trouvait pas de quoi occuper les deux heures de séance : mais dès que Homberg eut été reçu, on vit que l'on avait une ressource assurée. Il était toujours prêt à fournir du sien; et l'on s'était fait sur sa bonne volonté une espèce de droit qui l'assujettissait. Il n'eût presque osé paraître les mains vides. Sa grande abondance contribua beaucoup à soutenir la compagnie jusqu'au renouvellement de 1699.

M. le duc d'Orléans, qui n'avait point alors de fonctions à remplir, dignes de sa naissance, se livrait au goût et au talent naturel qu'il a pour les sciences les plus élevées; et faisait à la philosophie l'honneur de la croire digne de l'occuper au défaut du commandement des armées, ou du gouvernement des états. Il voulut entrer dans les mystères de la chymie, et dans la physique expérimentale. L'abbé du Bois, qui avait eu l'honneur d'être précepteur de S. A. R., et qui était ravi de seconder des inclinations qu'il n'avait pas eu besoin de lui inspirer, lui indiqua Homberg, comme le plus propre à satisfaire sa curiosité. Il le présenta au prince, qui vit bientôt qu'il avait trouvé le physicien qu'il lui fallait. Il le prit auprès de lui en cette qualité, en 1702, lui donna une pension, et un laboratoire le mieux fourni et le plus superbe que la chymie eût jamais eu. Là se rendait presque tous les jours le prince philosophe; il recevait avidement les instructions de son chymiste, souvent même les prévenait avec rapidité; il entrait dans tout le détail des opérations, les

exécutait lui-même, en imaginait de nouvelles ; et j'ai vu plusieurs fois le maître effrayé de son disciple. On ne le connaît pas, me disait-il en propres termes, lui qui était presque le seul confident de ses talens; c'est un rude travailleur. Il m'a répété ce discours depuis peu, en concluant de la physique à la régence, dont il a vu les premiers momens, et cette conclusion se justifie de jour en jour.

Ce fut aussi en 1702 que M. le duc d'Orléans fit venir d'Allemagne le grand miroir ardent convexe, dont nous avons tant parlé dans nos histoires. Homberg eut le plaisir de voir que quelques systèmes qu'il avait imaginés devenaient des faits; et, ce qui lui fut encore plus sensible, il apprit quantité de faits qu'il n'eût pas devinés. Cette nouvelle espèce de fourneau donna une chymie nouvelle ; il était juste que l'application de S. A. R. à cette science fût marquée d'une époque singulière, et mémorable parmi tous les physiciens.

En 1704, le prince voulut honorer Homberg d'une faveur encore plus particulière, et le faire son premier médecin. Lorsque ce choix était sur le point d'être déclaré, on lui vint offrir de la part de l'électeur Palatin, et d'une manière très-pressante, des avantages plus considérables que ceux mêmes qui l'attendaient. L'attachement qu'il avait pour S. A. R. ne lui permit pas de délibérer. Il faut avouer qu'il s'y joignit aussi un autre attachement. Il songeait à un mariage, et y songeait depuis si long-temps, que l'amour seul, sans une forte estime, produit tant de constance.

n'eût pas

Il fut donc premier médecin de M. le duc d'Orléans à la fin de 1704. Par-là, il tombait dans le cas d'une de nos lois, qui porte que toute charge demandant résidence hors de Paris, est incompatible avec une place d'académicien pensionnaire. Il déclara nettement que s'il était réduit à opter, il se déterminait pour l'académie, sans comparaison moins utile; mais le "roi le jugea digne d'une exception. Ce trait héroïque de son amour pour l'académie fut suivi de la part de son prince d'un autre trait encore plus héroïque; il ne fut pas offensé.

En 1708, Homberg se maria, et ce fut en quelque sorte dans l'académie. Il épousa Marguerite-Angélique Dodart, fille du fameux Dodart, celle pour qui il avait été si constant, et dont il avait tant éprouvé le caractère..

Quelques années après, il devint sujet à une petite dyssenterie, qu'il se guérissait, et qui revenait de temps en temps. Le mal se fortifia toujours, et fut enfin en 1715 cruel et dangereux. La patience du malade a toujours été celle d'un héros ou d'un saint. Peu de jours avant sa mort, il prit la liberté d'écrire à

M. le duc d'Orléans sur sa régence; et à la fin de la lettre, il employa ces expressions touchantes que son état fournissait, pour lui recommander tout ce qu'il avait le plus aimé, la veuve qu'il allait laisser, et l'académie des sciences. Sa prière pour l'académie a eu plus de succès qu'il n'eût osé l'espérer; le prince s'est réservé à lui seul le gouvernement immédiat de cette compagnie. Il traite nos sciences comme un domaine particulier, dont il est jaloux.

Homberg mourut le 24 septembre 1715, après avoir reçu plusieurs fois les sacremens dans le cours de sa maladie.

Quoiqu'il fût d'une complexion faible, il était fort laborieux, et d'un courage qui lui tenait lieu de force. Outre une quantité prodigieuse de faits curieux de physique rassemblés dans sa tête, et présens à sa mémoire, il avait de quoi faire un savant ordinaire en histoire et en langues. Il savait même de l'hébreu. Son caractère d'esprit est marqué dans tout ce qu'on a de lui : une attention ingénieuse sur tout, qui lui faisait naître des observations où les autres ne voient rien; une adresse extrême pour démêler les routes qui mènent aux découvertes; des tours d'expériences singuliers, et qui seraient trop artificieux, si on avait tort de s'obstiner à connaître; une finesse sensée, et une solidité délicate; une exactitude qui, quoique scrupuleuse, savait écarter tout l'inutile; toujours un génie de nouveauté, pour qui les sujets les plus usés ne l'étaient point. Il n'a point publié de corps d'ouvrage. Il avait commencé à donner par morceaux dans nos histoires, des essais ou élémens de chymie; car de la manière dont il prenait la chymie, il avait lieu de ne pas croire que ce fût encore une science faite. On a trouvé dans ses papiers le reste de ces élémens en bon ordre et prêt pour l'impression. D'ailleurs, nous n'avons de lui qu'un grand nombre de petits mémoires sur différens sujets particuliers: mais de ces petits mémoires, il n'y en a aucun qui ne donne des vues, et qui ne brille d'une certaine lumière; et il y en a plusieurs dont d'autres auraient fait des livres avec le secours de quantité de choses communes qu'ils y auraient jointes. Nous avons déjà dit combien il était éloigné de l'ostentation; il l'était autant du mystère, si ordinaire aux chymistes., et qui n'est qu'une autre espèce d'ostentation où l'on cache au lieu d'étaler. Il donnait de bonne grâce ce qu'il savait, et laissait aux gens à sentir le prix de ce qu'il leur avait donné. Sa manière de s'expliquer était tout-à-fait simple, mais méthodique, précise et sans superfluité. Soit que le français fût toujours pour lui une langue étrangère, -soit que naturellement il ne fût pas abondant en paroles, il cherchait son mot presque à chaque moment; mais il le trouvait. Jamais

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on n'a eu des mœurs plus douces ni plus sociables: il était même
homme de plaisir; car c'est un mérite de l'être, pourvu qu'on
soit en même temps quelque chose d'opposé. Une philosophie
saine et paisible le disposait à recevoir sans trouble les différens
événemens de la vie, et le rendait incapable de ces agitations
dont on a, quand on veut, tant de sujets. A cette tranquillité
d'ame tiennent nécessairement la probité et la droiture: on est
hors du tumulte des passions; et quiconque a le loisir de penser,
ne voit rien de mieux à faire
que
d'être vertueux.

ÉLOGE

DU PÈRE MALEBRANCHE. NICOLAS MALEBRANCHE naquit à Paris le 6 août 1638 de Nicolas Malebranche, secrétaire du roi, trésorier des cinq grosses fermes sous le ministère du cardinal de Richelieu, et de Catherine de Lauzon, qui eut un frère vice-roi du Canada, intendant de Bordeaux, et enfin conseiller d'état. Il fut le dernier de dix enfans. Un de ses aînés mourut en 1705, conseiller de la grand'chambre, et fort estimé dans le parlement.

Ce cadet, d'une si nombreuse famille, fut fort difficile à élever, à cause de la faiblesse de sa complexion, et de ses infirmités continuelles. Il avait même une conformation particulière, l'épine du dos tortueuse, et le sternum extrêmement enfoncé. Il lui fallut une éducation domestique; et il ne sortit de la maison paternelle que pour faire sa philosophie au collège de la Marche et sa théologie en Sorbonne. Il les fit en homme d'esprit, mais non en génie supérieur. Il s'était toujours destiné à l'état ecclésiastique, où la nature et la grâce l'appelaient également; et pour s'y attacher encore davantage, en conservant néanmoins une liberté qui ne lui était pas fort nécessaire, il entra dans la congrégation de l'Oratoire à Paris en 1660.

Il voulut se mettre dans quelque étude convenable à sa profession; et par le conseil du P. le Cointe, fameux auteur des Annales ecclesiastici Francorum, il s'appliqua à l'histoire ecclésiastique. Il commença par lire en grec Eusèbe, Socrate, Sozomène, Théodoret : mais les faits ne se liaient point dans sa tête les uns aux autres; ils ne faisaient que s'effacer mutuellement, et un travail inutile produisit bientôt le dégoût. Le célèbre Simon, qui était alors de l'Oratoire et à Paris, voulut attirer à lui, c'est-à-dire à l'hébreu et à la critique de l'écriture sainte, ce déserteur de l'histoire; et le P. Malebranche entra sous sa con

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