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reçoit quantité d'offres de services, et peu de services. Dans cette foule de remèdes, nous avons peu de véritables amis. Lemery, qui les connaissait tant, ne se fiait qu'à un petit nombre. Il n'employait même qu'avec grande circonspection les remèdes chymiques, quoiqu'il pût assez naturellement être prévenu en leur faveur, et enhardi par cette même prévention qui est dans la plupart des esprits. Il ne donnait presque toutes les analyses qu'à la curiosité des physiciens, et croyait que par rapport à la médecine, la chymie, à force de réduire les mixtes à leurs principes, les réduisait souvent à rien; qu'un jour viendrait qu'elle prendrait une route contraire, et de décomposante qu'elle était deviendrait composante, c'est-à-dire formerait de nouveaux remèdes. et meilleurs le mélange de différens mixtes. Les gens les plus habiles dans un art, ne sont pas ceux qui le vantent le plus, ils lui sont supérieurs.

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par

Quand l'académie se renouvela en 1699, la seule réputation de Lemery y sollicita, et y obtint pour lui une place d'associé chymiste, qui, à la fin de la même année, en devint une de pensionnaire par la mort de Bourdelin. Il commença alors à travailler à un grand ouvrage qu'il a lu par morceaux à l'académie, jusqu'à ce qu'enfin il l'ait imprimé en 1707. C'est le Traité de l'antimoine. Là ce minéral si utile est tourné de tous les sens par les dissolutions, les sublimations, les distillations, les calcinations; il prend toutes les formes que l'art lui peut donner, et se lie avec tout ce qu'on a cru capable d'augmenter ou de modifier ses vertus. Il est considéré et par rapport à la médecine, et par rapport à la physique; mais malheureusement la curiosité physique a beaucoup plus d'étendue que l'usage médicinal. On pourrait apprendre par cet exemple, que l'étude d'un seul mixte est presque sans bornes, et que chacun en particulier pourrait avoir son chymiste.

Après l'impression de ce livre, Lemery commença à se ressentir beaucoup des infirmités de l'âge. Il eut quelques attaques d'apo plexie, auxquelles succéda une paralysie d'un côté, qui ne l'empêchait pourtant pas de sortir. Il venait toujours à l'académie, pour laquelle il avait pris cet amour qu'elle ne manque guère d'inspirer; et il y remplissait ses fonctions au-delà de ce que sa santé semblait permettre. Mais enfin il fallut qu'il renonçât aux assemblées, et se renfermât chez lui. Il se démit de sa place de pensionnaire, qui fut donnée à l'aîné des deux fils qu'il avait dans la compagnie. Il fut frappé d'une dernière attaque d'apoplexie qui dura six à sept jours, et mourut le 19 juin 1715.

Presque toute l'Europe a appris de lui la chymie, et la plupart des grands chymistes français ou étrangers lui ont rendu hom

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son

mage de leur savoir. C'était un homme d'un travail continu; il ne connaissait que la chambre de ses malades, son cabinet, laboratoire, l'académie; et il a bien fait voir que qui ne perd point de temps, en a beaucoup. Il était bon ami; il a toujours vécu avec Regis dans une liaison étroite, qui n'a souffert nulle altération : la même probité et la même simplicité de mœurs des unissaient. Nous sommes presque las de relever ce mérite dans ceux dont nous avons à parler. C'est une louange qui appartient assez généralement à cette espèce particulière et peu nombreuse de gens que le commerce des sciences éloigne de celui des hommes.

ÉLOGE

DE HOMBERG.

GUILLAUME HOMBERG naquit le 3 janvier 1652 à Batayia, dans l'île de Java. Jean Homberg, son père, était un gentilhomme Saxon, originaire de Quedlimbourg, qui dès sa jeunesse avait été dépouillé de tout son bien par la guerre des Suédois en Allemagne. Quelques-uns de ses parens avaient eu soin de son éducation. Ce qu'il apprit de mathématiques le mit en état d'aller chercher fortune au service de la compagnie Hollandaise des Indes orientales, qui par un commerce guerrier s'est fait un empire à l'extrémité de l'Orient. Il eut le commandement de l'arsenal de Batavia, et se maria avec la veuve d'un officier, nommée Barbe Van-Hedemard. De quatre enfans qui vinrent de ce mariage, Homberg fut le second. Son père, pour l'avancer dans le service, le fit caporal d'une compagnie dès l'âge de quatre ans. Il eût bien voulu aussi le mettre aux études: mais les chaleurs excessives et perpétuelles du climat ne permettent pas beaucoup d'application, ni aux enfans, ni même aux hommes faits; ce qui ne s'accorde guère avec le profond savoir qu'on donne aux anciens Brachmanes ou Gymnosophistes. Le corps profite à son ordinaire de ce que perd l'esprit. Homberg avait une sœur qui fut mariée à huit ans, et mère à neuf.

Son père quitta les Indes et le service de la compagnie Hollandaise, et vint à Amsterdam où il séjourna plusieurs années avec toute sa famille. Homberg parut être dans son véritable air natal, dès qu'il fut dans un pays où l'on pouvait étudier. Sa vivacité naturelle d'esprit, aidée peut-être par celle qu'il tenait de sa première patrie, lui fit regagner bien vite le temps perdu. Il étudia en droit à Yene et à Leipsick; et en 1674, il fut reçu avocat à Magdebourg. Quoiqu'il se donnât sincèrement à sa profession, il sentait qu'il y avait quelqu'autre chose à connaître dans le

monde que des lois arbitraires des hommes; et le spectacle de la nature, toujours présent à tous les yeux, et presque jamais aperçu, commençait à attirer ses regards, et à intéresser sa curiosité. Il allait chercher des plantes sur les montagnes, s'instruisait de leurs noms et leurs propriétés; et la nuit, il observait le cours des astres, et apprenait les noms et la disposition des différentes constellations. Il devenait ainsi botaniste et astronome par lui-même, et en quelque sorte malgré lui; car il s'engageait toujours plus qu'il ne voulait. Il poussa assez loin son étude des plantes ; et dans le même temps il se fit un globe céleste, creux, en façon de grande lanterne, où, à la faveur d'une petite lumière placée au dedans, on voyait les principales étoiles fixes emportées du même mouvement dont elles paraissaient l'être dans le ciel. Déjà se déclarait en lui l'esprit de mécanique, si utile à un physicien, qui, pour examiner la nature, a souvent besoin de l'imiter et de la contrefaire.

Malheureusement pour sa profession d'avocat, était alors à Magdebourg Otto Guericke, bourgmestre de la ville, fameux par ses expériences du vide, et par l'invention de la machine pneumatique. Il était sorti de ses mains des merveilles, qui l'étaient autant pour les philosophes que pour le peuple. Avec quel étonnement, par exemple, ne voyait-on pas deux bassins de cuivre exactement taillés en demi-sphères, appliqués simplement l'un contre l'autre par leurs bords ou circonférences, et tirés l'un d'un côté par huit chevaux, et l'autre du côté opposé par huit autres chevaux, sans pouvoir être séparés ? Ces sortes d'expériences étaient appelées par quelques savans les miracles de Magdebourg. C'en était encore un en ce temps-là, qu'un petit homme qui se cachait dans un tuyau quand le temps devait être pluvieux, et en sortait quand il devait faire beau. On a depuis négligé cette puérilité philosophique ; et l'on s'en tient au baromètre, dont personne ne daigne plus s'étonner. Homberg s'attacha à Guericke pour s'instruire de sa physique expérimen tale, et cet habile homme, quoique fort mystérieux, ou lui révéla ses secrets en faveur de son génie, ou ne les put dérober à sa pénétration.

Les amis de Homberg, qui le voyaient s'éloigner toujours du barreau de plus en plus, songèrent à le marier pour le rendre avocat par la nécessité de ses affaires: mais il ne donna pas dans ce piége; et afin de l'éviter plus sûrement, et d'être plus maître de lui-même, il se mit à voyager, et alla d'abord en Italie.

Il s'arrêta un an à Padoue, où il s'appliqua uniquement à la médecine, et particulièrement à l'anatomie et aux plantes. A

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Bologne, il travailla sur la pierre qui porte le nom de cette ville, et lui rendit toute sa lumière; car le secret en avait éte presque perdu. A Rome, il se lia particulièrement avec MarcAntoine Celio, gentilhomme romain, mathématicien, astronome et machiniste, qui réussissait fort bien à faire de grands verres de lunettes. Homberg s'y appliqua avec lui, et y trouva à souhait de quoi exercer les lumières de son esprit, et son adresse à opérer. Il ne négligea pas même ces arts dont l'Italie s'est conservé jusqu'ici une espèce de souveraineté, la peinture, la sculpture, la musique ; il y. devint assez connaisseur pour s'en pouvoir faire un mérite, s'il n'en avait pas eu d'autres. Ce n'est pas la philosophie qui exclut les choses de goût et d'agrément ; c'est l'injustice des philosophes, qui, comme le reste des hommes, n'estiment que ce qui les distingue.

D'Italie, il vint en France pour la première fois, et il ne manqua pas d'y rechercher la connaissance et de s'attirer l'estime des savans. Ensuite il passa en Angleterre, où il travailla quelque temps avec le fameux Boyle, dont le laboratoire était une des plus savantes écoles de physique.

De là Homberg passa en Hollande, où il se perfectionna encore en anatomie sous l'illustre Graff, et enfin il revint à Quedlimbourg retrouver sa famille. Quelque temps' après, riche d'une infinité de connaissances, il alla prendre à Wittemberg le degré de docteur en médecine, que l'on a d'ordinaire à moins de frais.

Ses parens, selon la coutume des parens, voulaient qu'il songeât à l'utile, et que, puisqu'il était médecin, il en tirât du profit; mais son goût le portait davantage à savoir. Il voulut voir encore les savans de l'Allemagne et du Nord, et comme il avait un fonds considérable de curiosités physiques, il songea à en faire commerce, et à en acquérir de nouvelles par des échanges. Les phosphores faisaient alors du bruit. Christian-Adolphe Balduinus, et Kunkel, chymiste de l'électeur de Saxe, en avaient trouvé un différent et nouveau, chacun de leur côté ; et Homberg les alla chercher. Il vit Balduinus le premier; il trouva son phosphore fort beau, et de la nature de la pierre de Bologne, quoiqu'un peu plus faible en lumière. Il l'acheta par quelque autre expérience; mais il fallait avoir celui de Kunkel, qui avait beaucoup de réputation. Il trouva, Kunkel à Berlin; et par bonheur celui-ci était fort touché de l'envie d'avoir le petit homme prophète de Guericke. Le marché fut bientôt conclu entre les deux curieux le petit homme fut donné pour le phosphore. C'était le phosphore d'urine, présentement assez

connu.

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Les métaux avaient touché particulièrement la curiosité de Homberg. Il alla voir les mines de Saxe, de Bohême et de Hongrie, plus instructives, sans comparaison, que les meilleurs livres, et il y apprit combien il est important d'étudier la nature chez elle-même. Il passa même jusqu'en Suède, attiré par les mines de cuivre.

Le roi de Suède, alors régnant, venait d'établir à Stockholm un laboratoire de chymie. Homberg y travailla avec Hierna, premier médecin du roi d'aujourd'hui ; et il eut le plaisir de contribuer beaucoup aux premiers succès de ce nouvel établissement. On s'adressait souvent à lui, ou pour lui demander des décisions sur des difficultés qui partageaient les plus habiles, ou pour l'engager à des recherches qu'ils n'osaient entreprendre ; et les journaux de Hambourg de ce temps-là, imprimés en Allemagne, sont pleins de mémoires qui venaient de lui.

Dans tous ses voyages il s'instruisait des singularités de l'histoire naturelle des pays, et observait les industries particulières des arts qui s'y pratiquent; car les arts fournissent une infinité d'expériences très-dignes d'attention, inventées quelquefois par d'habiles gens inconnus, assez souvent par des artisans grossiers, qui ne songeant qu'à leur utilité ou à leur commodité, et non à découvrir des phénomènes de physique, en ont découvert de rares et de merveilleux dont ils ne s'apercevaient pas. Ainsi, il se composait une physique toute de faits singuliers et peu connus, à peu près comme ceux qui, pour apprendre l'histoire au vrai, iraient chercher les pièces originales cachées dans des archives. Il y a de même les anecdotes de la nature. Quand on en a acquis une grande connaissance, on ne fait pas tant de cas des systèmes, peut-être parce qu'ils deviennent d'autant plus difficiles et plus incertains, qu'il les faut ajuster à un plus grand nombre de faits; et pareillement ceux qui savent beaucoup d'anecdotes historiques, estiment peu les grands corps d'histoire, qui sont des systèmes à leur manière,

Le père de Homberg souhaitait avec passion qu'il terminât enfin ses courses savantes, et revînt se fixer dans son pays, où, pour s'assurer de lui, il l'auraît marié. Mais l'amour des sciences et de la liberté l'emporta encore du fond du Nord en Hollande pour la troisième fois, et de Hollande il repassa en France pour la seconde ; et il y.vit, selon sa manière ordinaire de voir, les provinces qu'il n'avait pas vues dans son premier voyage.

A la fin le père s'impatientait, et faisait des instances plus sérieuses et plus pressantes que jamais pour le retour. Homberg obéissait, et le jour de son départ était arrivé; il était prêt à monter en carrosse, lorsque Colbert l'envoya chercher de la

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