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esprits les plus jaloux. On sentait en lui cette candeur et cette simplicité, que l'on aime tant dans les grands hommes, et qui cependant y sont plus communes que chez les autres. Il communiquait sans peine ses découvertes et ses vues, au hasard de se les voir enlever, et désirait plus qu'elles servissent au progrès de la science qu'à sa propre gloire. Il faisait part de ses connaissances, non pas pour les étaler, mais pour en faire part. Enfin on lui pourrait appliquer ce qu'il a remarqué lui-même dans quelqu'un de ses ouvrages, que Josephe avait dit des anciens patriarches, que Dieu leur avait accordé une longue vie, tant pour récompenser leur vertu, que pour leur donner moyen de perfectionner davantage la géométrie et l'astronomie.

ÉLOGE

DE BLONDIN.

PIERRE BLONDIN naquit le 18 décembre 1682, de parens qui vivaient de leur patrimoine dans le Vimeu, en Picardie. Après avoir fait ses humanités dans la ville d'Eu, il vint à Paris en 1700, et y demeura avec deux frères ses aînés, qui étu diaient alors pour être ce qu'ils sont présentement, l'un avocat, l'autre docteur de la maison de Sorbonne. Pour lui, outre son cours de philosophie qu'il faisait, il apprit différens traités de mathématiques au college royal, ensuite il alla aux écoles de médecine, au théâtre de Saint-Côme, au Jardin du roi; mais il se sentit particulièrement attiré au Jardin du roi', et il Уу suivit avec une extrême assiduité les démonstrations des plantes qu'y faisait Tournefort.

Bientôt le maître distingua Blondin dans la foule de ses disciples ; et s'il lui arrivait quelquefois de ne se pas rappeler sur-lechamp le nom ou la définition de quelque plante, c'était à lui qu'il avait recours. Il le chargeait même de remplir sa place lorsqu'il était indisposé: honneur qu'il n'aurait osé faire à quelqu'un à qui on aurait pu le contester légitimement.

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Nous avons déjà dit dans l'éloge de Tournefort combien la botanique est une science laborieuse et pénible pour le corps même. Il y a des peuples qui ne se sont point encore avisés de faire des provisions pour leur subsistance, et qui sont obligés d'aller la chercher tous les jours dans les campagnes et dans les bois. On pourrait dire que les botanistes leur ressemblent. Ils n'ont point leurs provisions amassées dans leur cabinet, comme plusieurs autres espèces de savans; et il faut qu'ils aillent avec beaucoup de fatigues chercher au loin dans les bois et dans les

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campagnes les alimens de leur curiosité. Blondin n'épargna rien pour satisfaire la sienne; il herborisa dans toute la Picardie, dans la Normandie, dans l'île de France: rien ne lui échappait de ce qui pouvait être soupçonné de cacher quelque plante les toits même des églises ne lui étaient pas inaccessibles.

et

Aussi trouva-t-il dans la Picardie seule, environ 120 plantes qui n'étaient pas au Jardin royal, et que même on n'y connaissait pas ; et il en découvrit en France plusieurs espèces que l'on croyait particulières à l'Amérique. Il faut que la botanique soit bien vaste, si après tant de recherches de tant d'habiles gens, on a pu prendre pour des productions d'un autre monde l'on foulait ici sous les pieds.

ce que

En 1712, Blondin entra dans l'académie en qualité d'élève de Reneaume. On n'a vu de lui qu'un seul écrit, où il changeait à l'égard de quelques espèces de plantes les genres sous lesquels Tournefort les avait rangées. Il lui marquait tout le respect que son disciple lui devait, et que même tout autre botaniste lui aurait dû; et l'on peut bien combattre ces grands auteurs sans leur manquer de respect, pourvu que l'on reconnaisse qu'euxmêmes nous ont mis en état de les combattre. On prétend que ce n'était là qu'une première tentative, que Blondin voulait aller plus loin, et qu'enfin il méditait un système des plantes différent de celui de son maître. Plus cette première tentative fut modeste, plus on a lieu de croire que le dessein n'était pas téméraire ; et enfin quand il l'eût été, ce n'était pas une témérité d'un médiocre botaniste.

Son grand savoir dans la botanique n'était pas stérile. Il composait plusieurs médicamens de plantes, dont les succès lui avaient acquis dans sa province la réputation d'habile médecin. Il avait été reçu docteur à Reims en 1708, et il allait se mettre sur les bancs à Paris, où il était déjà estimé des plus célèbres de cette faculté; mais il mourut d'une grosse fièvre avec une oppression de poitrine, le 15 avril 1713.

Il avait toute la candeur que l'opinion publique a jamais attribuée à sa nation; et la vie d'un botaniste qui connaît beaucoup plus les bois que les villes, et qui a plus de commerce avec les plantes qu'avec les hommes, ne devait pas avoir endommagé cette précieuse vertu. Un semblable caractère renferme déjà une partie de ce que demande la religion, et il eut le bonheur d'y joindre le reste.

Il a laissé des herbiers fort amples et fort exacts, de grands amas de graines, quantité de mémoires curieux, et en assez bon ordre; et on assure qu'il en coûterait peu de travail pour mettre sa succession en état d'être recueillie par le public.

DE POL I.

MARTINO ARTINO POLI naquit à Luques le 21 janvier 1662 d'une honnête famille qui vivait de ses revenus : il fut l'aîné de trois frères, dont aucun n'a exercé de profession lucrative.' ·

Une inclination naturelle, et qui se déclara bien vite, le porta à la chymie; un de ses oncles, qui était dans le même goût, l'y soutint et l'y favorisa, même contre le gré du père. A peine Poli avait-il seize ans, qu'il faisait déjà des médicamens chymiques, instruit par la nature seule, dont il ne pouvait même recevoir les leçons qu'à la dérobée dans la maison paternelle. Aussi en sortit-il à dix-huit ans pour aller se mettre en liberté à Rome, où son oncle lui devait fournir les secours nécessaires.

Là, il se livra tout entier à son génie; il s'appliqua avec ardeur à la connaissance des métaux, premier objet des travaux de la chymie, et dernier terme de ses espérances, si elle ose aspirer à la transmutation; il inventa plusieurs opérations nouvelles, qui firent du bruit, et bientôt ce ne fut plus un bruit inutile: son art devint un établissement sur lequel il pouvait compter, et il se maria vers l'âge de vingt-huit ans.

En 1691, il obtint du cardinal Altieri Camerlingue le pouvoir d'établir dans Rome un laboratoire public, mais ce n'était qu'en qualité de chymiste, et à titre extraordinaire; et en 1700 ce fut encore à titre d'apothicaire, par les lettres de maîtrise qui lui en furent expédiées. L'autorité publique pouvait bien lui confier la partie médicinale de la chymie, après qu'il avait été autant éprouvé sur celle qui n'est que curieuse.

Quoiqu'un bon laboratoire soit, pour ainsi dire, toute la nature en abrégé, et qu'on y en puisse choisir telle partie qu'on voudra pour l'étudier à loisir et en repos, Poli ne renferma pas ses études dans son laboratoire. Il allait chercher tous les chymistes et les physiciens de réputation qui étaient en différens lieux de l'Italie, et il la parcourut toute entière en plusieurs voyages entrepris pour de semblables sujets. Ce n'est pas qu'ordinairement les livres ne soient plus savans que les savans, et que leurs propres auteurs; mais outre que tous les savans n'impriment pas quelquefois, et surtout en fait de chymie, ceux qui sont sincères donnent plus d'instruction et une instruction' plus claire que les livres.

Poli trouva un secret qui regardait la guerre ; et comme l'Italie était assez heureuse pour n'en avoir pas beaucoup de besoin, il

:

vint en France en 1702 l'offrir au roi. Quoique la guerre qui venait d'être terminée commençât alors, que le secret de Poli dût nous donner un grand avantage sur les ennemis, du moins pendant une campagne, et avant qu'ils l'eussent appris de nous, le roi ne voulut point s'en servir, et préféra l'intérêt du genre humain au sien mais pour s'assurer que l'invention serait supprimée, et en même temps pour récompenser l'habileté de l'inventeur, il lui donna une pension, et le titre de son ingénieur, avec celui d'associé étranger surnuméraire de l'académie royale des sciences, en attendant qu'il vînt à vaquer une des huit places destinées aux étrangers. On peut avoir regret que la poudre à canon n'ait pas été présentée à un prince de ce caractère.

Poli retourna en Italie en 1704, revêtu de ces nouveaux titres d'honneur; et peut-être ne lui serait-il pas revenu plus de gloire de l'exécution de son secret que de la suppression, qui avait été achetée assez cher, et qui laissait tout à deviner.

Comme il était plein d'expériences chymiques, et de vues sur la physique et sur la médecine, il publia à Rome en 1706 un grand ouvrage intitulé: Il trionfo degli acidi, dédié au roi, son bienfaiteur. Le but de tout ce livre est de prouver que les acides sont très-injustement accusés d'être la cause d'une infinité de maladies, qu'au contraire ils en sont le remède souverain, et c'est en cela que consiste leur triomphe.

Selon Poli, les acides sont absolument nécessaires à toutes les fermentations ou digestions qui se font dans l'estomac, soit des alimens, soit des médicamens; et celles qui sont mauvaises, ne le sont, et par-là ne deviennent la source d'une infinité de maladies, que parce qu'elles se font par des matières qui abondent trop en alkali: cependant les acides ne passent jamais dans le sang; toutes les analyses que Poli en a faites ne lui ont jamais donné un atome d'acide : ils se précipitent dans les intestins avec les matières excrémenteuses, et il n'entre dans les veines lactées qu'une vapeur subtile et spiritueuse, élevée par la chaleur naturelle, et formée d'une huile très-douce et d'alkali volatil.

Ici nous ne devons pas dissimuler que Homberg, en faisant l'analyse du sang, y a trouvé de l'acide, quoiqu'en petite quantité; ainsi c'était là un point fondamental du système de Poli, qui restait à discuter entre les deux chymistes, si cependant des analyses qui ne donnent pas un certain produit, peuvent être opposées à d'autres qui le donnent. Il faudrait pour cela qu'on démêlât dans celles-ci, et qu'on y fît reconnaître quelque apparence trompeuse.

Mais un adversaire particulier, quelque considérable qu'il soit, ne l'est pas beaucoup en comparaison de tout le corps des phi

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losophes modernes que le livre de Poli attaque. Il s'y déclare ennemi à toute outrance de tous les auteurs et de tous les sectateurs de la philosophie corpusculaire, qu'il prétend être renouvelée d'Epicure, et à qui il ne donne pas sans dessein cette origine suspecte. On ne doit point être surpris de cette façon de penser dans un Italien; il est d'un pays où la philosophie ancienne domine encore, parce qu'elle est ancienne, et que tout ce qui ne l'est pas y fait ombrage. En Angleterre même en commence à ne traiter guère mieux la philosophie corpusculaire; car j'entends par-là celle qui n'admet que des idées claires, figures et mouvemens. Peut-être dans un pays on ne veut point de nouveautés, et dans l'autre on ne veut de nouveautés que celles qui y ont pris naissance.

Quoi qu'il en soit, on ne peut abandonner la philosophie corpusculaire sans tomber dans des pensées qui seront, si l'on veut, spécieuses, nobles, brillantes, mais à qui il manquera de la clarté ; ce défaut ne gâte pas tout, et d'excellens livres n'en sont pas exempts. Celui de Poli contient quantité d'expériences remarquables, de raisonnemens, soit de chymie, soit de médecine, qui méritent beaucoup d'attention, même de la part de ceux qui n'en seront pas persuadés; un assez grand nombre de rémèdes nouveaux, et de son invention, dont les médecins pourront profiter. Il ne croyait pas la goutte même incurable : toujours n'est-il pas bien certain qu'elle le soit, et quelquefois une espérance hardie a des succès qu'un désespoir plus sage en apparence n'aurait pas tentés.

En 1708, le pape nomma Poli premier ingénieur dans les troupes que sa sainteté avait levées contre l'empereur. Il est rare qu'un chymiste, accoutumé à son paisible laboratoire, en sorte pour aller faire dans des armées des opérations périlleuses. La campagne finie, il alla à Venise, où la renommée lui avait préparé chez les savans et chez les principaux de la république une réception honorable.

Le prince Cibo, duc de Massa, l'appela auprès de lui en 1712, pour examiner des mines qu'il avait dans ses terres, et voir ce qui s'en pourrait retirer. Poli trouva des mines très-abondantes, soit de cuivre, soit de vitriol vert, et une de vitriol blanc; et le physicien ne quitta le prince qu'après l'avoir enrichi.

Quelque sujet qu'il eût d'être content de sa patrie, il regardait la France, à laquelle il tenait déjà par les bienfaits du roi, ou comme un plus grand théâtre, ou du moins comme un théâtre nouveau. Il y revint en 1713 avec l'agrément de sa majesté, et il prit ici sa place d'associé étranger, qui n'était plus surnu*méraire, parce qu'en 1703 il avait eu celle de Viyiani.

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