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dictions à des têtes couronnées. Ce qui le rendit si hardi sur une observation unique, c'est qu'il avait remarqué que la plupart des comètes, soit de celles qu'il avait vues, soit de celles qui l'avaient été par d'autres astronomes, avaient dans le ciel un chemin particulier, qu'il appelait par cette raison le zodiaque des comètes; et comme celle de 1680 se trouva dans ce zodiaque, ainsi que celle de 1577, il crut qu'elle le suivrait, et elle le suivit.

En 1683, il aperçut pour la première fois dans le zodiaque une lumière qui peut-être avait déjà été vue, quoique très-rarement; mais qui en ce cas-là n'avait été prise que pour un phénomène passager, et par conséquent n'avait point été suivie. Pour lui, il conjectura d'abord par les circonstances de cette nouvelle lumière, qu'elle pouvait être d'une nature durable : il en ébaucha une théorie qui lui apprenait le temps où elle pouvait reparaître dégagée des crépuscules, avec lesquels elle se confond le plus souvent, et il trouva dans la suite qu'elle pouvait être renvoyée à nos yeux par une matière que le soleil pousserait hors de lui beaucoup au-delà de l'orbite de Vénus, et dont il serait enveloppé jusqu'à cette distance. Comme cette lumière n'est pas toujours visible dans les temps où elle devrait l'être, il paraît que cet écoulement de matière doit être inégal et irrégulier, ainsi que la production des taches du soleil. Ce phénomène fut observé depuis en divers lieux, et même aux Indes orientales. Si Cassini n'est pas le premier qui l'ait vu, du moins il est le premier qui ait appris aux autres à le voir, et qui lui ait attiré l'attention qu'il méritait. Il y a plus; il avait jugé dès le commencement, que si cette lumière pouvait être vue en présence du soleil, elle lui ferait une chevelure: c'était une suite de son système, et peut-être ne songeait-il pas lui-même qu'elle pût jamais être vérifiée. En 1709, il y eut une éclipse de soleil: on vit dans les lieux où elle fut totale, une chevelure lumineuse autour de cet astre, telle précisément que Cassini l'avait prédite, et qui, à moins que d'être celle qu'il avait prédite, était inexplicable.

En 1684, il mit la dernière main au monde de Saturne, qui était demeuré fort imparfait. Huyghens en 1655 avait découvert à cette planète un satellite, qui fut long-temps le seul, et depuis s'est trouvé n'être que le quatrième, à les compter depuis Saturne. En 1671, Cassini découvrit le troisième et le cinquième, et acheva de s'en assurer en 1673. Enfin, en 1684 il découvrit le premier et le second, après quoi on n'en a plus trouvé. Ces découvertes demandent une grande subtilité d'observation, et une précision extrême; témoin l'erreur où tomba le P. Reita, habile d'ailleurs, qui prit de petites étoiles fixes pour de nouveaux satellites de Jupiter, et voulut en faire sa cour à Urbain VIII, en

les nommant astres Urbanoctaviens, nom malheureux, et qui ne pouvait guère réussir, quand même les satellites auraient subsisté. Ceux de Saturne ont paru dignes que l'on en ait frappé une médaille dans l'histoire du roi, avec cette légende : Saturni Satellites primùm cogniti.

Voici un événement d'une espèce plus singulière que tous les autres. M. de la Loubère, ambassadeur du roi à Siam en 1687, étudié ce pays-là en philosophe savant, autant philosophe savant, autant que lui permit son peu de séjour, en rapporta une méthode qui s'y pratique, de calculer les mouvemens du soleil et de la lune. Ce n'est point par des tables à notre manière, c'est par de simples additions ou soustractions, multiplications ou divisions de certains nombres, dont on ne voit presque jamais aucun rapport aux mouvemens célestes, dont les noms barbares et inconnus augmentent encore l'horreur du calcul. Tout y est dans une confusion et dans une obscurité qui paraît affectée, et pourrait bien l'être en effet, car le mystère est un des apanages de la barbarie. M. de la Loubère donna cette affreuse énigme à déchiffrer à Cassini; et selon l'état où sont aujourd'hui les sciences en Orient, il y a tout lieu de croire que, quoique ces règles y soient suivies, il aurait été trèsdifficile de trouver quelqu'un qui les eût entendues. Cependant Cassini perça dans ces ténèbres: il y démêla deux différentes époques que l'on ne distinguait nullement; l'une civile, qui tombait dans l'année 544 avant Jésus-Christ; l'autre astronomique, qui tombait dans l'année 638 après sa naissance. Il remarqua fort heureusement que du temps de l'époque civile, Pythagore vivait, lui dont les Indiens suivent encore aujourd'hui les dogmes, ou qui peut-être a suivi ceux des Indiens. Ces époques trouvées étaient la clef de tout le reste; une clef cependant qu'on ne pouvait encore manier qu'avec une adresse extrême. Il parut par cette méthode développée, que ces auteurs avaient assez bien connu les mouvemens du soleil et de la lune ; et ils ne pouvaient être soupçonnés d'avoir emprunté des Occidentaux une manière de calculer si différente. Il fallait que Cassini fût bien familier avec le ciel, pour le reconnaître aussi déguisé et aussi travesti qu'il l'était.

La recherche de ce calendrier Indien le conduisit à de nouvelles méditations sur nos calendriers. L'esprit plein des mouvemens célestes, de leurs combinaisons, et de toutes les périodes ou cycles que l'on a formés, il imagina une période, qu'il appela lunisolaire et pascale, parce que son effet, suivant l'intention de tous les calendriers ecclésiastiques, était d'accorder les mouvemens du soleil et de la lune par rapport à la fête de Pâques. Elle ramène les nouvelles lunes au même jour de notre an

née grégorienne, au même jour de la semaine, et presque à la même heure du jour pour un même lieu; ce qui est de la dernière précision en fait de calendrier. De plus, elle est très-heureuse, et même sacrée, en ce qu'elle a pour époque l'année de la naissance de Jésus-Christ; et comme dans cette année Cassini trouvait par son calcul une conjonction du soleil avec la lune le jour même de l'équinoxe, qui fut le 24 mars, veille de l'incarnation, selon la tradition de l'église, l'époque était en même temps astronomique par la rencontre de l'équinoxe et de la nouvelle lune, et civile par le plus grand événement qui soit jamais arrivé sur la terre. Cette période est de 11600 ans, et toutes les autres qu'on a imaginées roulent dans celle-là. Le monde n'a vu jusqu'à présent que le dernier tiers à peu près d'une de ces périodes, qui finit le jour de l'incarnation, et un peu plus que la septième partie d'une autre qui commence.

Cassini donna en 1693 de nouvelles tables des satellites de Jupiter plus exactes que celles de 1668, et portées à leur dernière perfection. Il y ajouta un discours très-instructif sur la délicate astronomie de Jupiter, dont il ne se réservait rien. Il la rendait et facile pour tout le monde, au lieu qu'elle ne l'était pas pour les astronomes mêmes; et si juste, que le plus souvent les observations s'accordaient avec le calcul jusques dans la minute. Ainsi on fit l'honneur à ces tables calculées pour le méridien de Paris, de les prendre pour un observateur perpétuel établi à Paris, qui aurait donné ses observations immédiates; et en y comparant celles qui ont été faites en d'autres lieux, on a trouvé une infinité de longitudes. On sait que la connaissance de ce monde de Jupiter, éloigné de cent soixante-cinq millions de lieues, nous a produit celle de la terre, et lui a presque fait changer de face. Siam, par exemple, s'est trouvé de cinq cents lieues plus proche de nous que l'on ne croyait auparavant. Tout au contraire des espaces célestes qu'on avait faits trop petits, on avait fait les terrestres trop grands, suite assez naturelle de notre situation et des premiers préjugés.

En 1695, Cassini fit un voyage en Italie. Peut-être en un autre temps aurait-on craint qu'il n'eût eu quelque retour de tendresse pour son pays. Mais comme après la mort de Colbert il avait résisté à des offres très-pressantes et très-avantageuses de la reine de Suède, qui voulait l'y rappeler, on se tint sûr qu'il serait fidèle à sa nouvelle patrie. Il mena avec lui le fils qui lui restait, et qui est aujourd'hui membre de cette académie; un autre avait été tué sur mer, la même année, dans un combat contre un vaisseau anglais qui fut pris à l'abordage. Cassini ne manqua pas d'aller revoir șa méridienne de S. Petrone, qui

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avait besoin de lui. La voûte qui recevait le soleil s'était abaissée, et le trou qui était percé n'était plus dans la perpendiculaire où il devait être. Guglielmini avait remédié à ce désordre; mais depuis, le pavé où était tiré la méridienne était sorti du niveau exact. Enfin, Cassini arriva à propos pour réparer son premier ouvrage, et le seul qu'il laissât à l'Italie. Il voulut étendre ses soins jusques dans l'avenir, et pria Guglielmini de publier une instruction de tout ce qu'il y avait à faire pour la conservation et la réparation de ce grand instrument. Guglielmini le fit, mais en parlant de Cassini comme un disciple aurait parlé de son maître. Ce trait doit fortifier l'éloge que nous avons fait de lui dans l'histoire de 1710 (p. 142).

Cette méridienne de Saint-Petrone était la 600,000*. partie de la circonférence de la terre ; mais on en avait entrepris une autre en France, qui devait être la 45o. partie de cette même circon◄ férence, et qui par conséquent devait donner dans une précision jnsqu'à présent inouie et inespérée, la grandeur du demi diamètre de la terre, nécessaire et unique fondement de toutes les mesures astronomiques. C'est la fameuse méridienne de l'observatoire, commencée par Picard en 1669, continuée en 1683 du côté du nord de Paris par la Hire, et du côté du sud par Cassini; et enfin poussée par Cassini en 1700 jusqu'à l'extré mité du Roussillon. Nous avons assez parlé de ce grand ouvrage dans les histoires de 1700 (p. 120 et suiv.), de 1701 (p. 96 et 97), et de 1703 ( p. 11 et suiv.), des difficultés qu'on a eues à y surmonter, de l'usage dont il sera tant qu'il y aura une astronomie, et même des usages imprévus et surnuméraires qu'on en a tirés. Cassini a eu la gloire de le finir, seul auteur de la méridienne de Bologne, auteur de la plus grande partie de celle de France, les deux plus beaux monumens que l'astronomie pratique ait jamais élevés sur la terre, et les plus glorieux pour l'industrieuse curiosité des hommes.

Les histoires de 1700 (p. 124 et suiv.), de 1701 (p. 107 et suiv.), et de 1704 (p. 72 et suiv.), ont parlé de l'affaire qui se traita à Rome sur le calendrier Grégorien. Le pape ordonna que la congrégation qui en était chargée consultât Cassini ; l'Italie semblait redemander à la France ce qui venait d'elle. Elle eut en cette occasion, à la place de Cassini, un homme formé de sa main, Maraldi, son neveu, qui ayant beaucoup de goût et de disposition pour les sciences et pour l'astronomie, était venu en France en 1687 auprès d'un oncle si capable de l'instruire. Il se trouvait alors à Rome, et le pape voulut qu'il eût entrée dans la congrégation du calendrier; elle avait besoin de quelqu'un qui y portât l'esprit de Cassini.

Outre ce que nous avons rapporté, il a enrichi l'astronomie d'un grand nombre de méthodes fines et ingénieuses, telles que l'invention des longitudes en 1661, par les éclipses de soleil qui ne paraissaient pas y pouvoir jamais être employées; l'explication de la libration de la lune par la combinaison de deux mouvemens, dont l'un est celui d'un mois, et l'autre se fait autour de son axe en un temps à peu près égal; la manière de trouver la véritable position des taches du soleil sur son globe; celle de décrire des espèces de spirales, qui représentent toutes les bizarreries apparentes du mouvement des planètes, et donnent leurs lieux dans le zodiaque jour par jour; et plusieurs autres qui seront pour les astronomes suivans, autant de moyens d'égaler ses connaissances, sans égaler cependant sa capacité.

Il connaissait le ciel non-seulement tel qu'il est en lui-même, mais tel qu'il a été conçu par tous ceux qui s'en sont formé quelque idée. Si dans un auteur qui ne traitait nullement d'astronomie, il y avait par hasard quelque endroit qui eût le moindre rapport, cet endroit ne lui avait pas échappé. Tout ce qui en avait été écrit semblait lui appartenir; il le revendiquait, quelque détourné, quelque caché qu'il pût être.

Dans les dernières années de sa vie, il perdit la vue, malheur qui lui a été commun avec le grand Galilée, et peut-être par la même raison; car les observations subtile's demandent un grand effort des yeux. Selon l'esprit des fables, ces deux grands hommes, qui ont fait tant de découvertes dans le ciel, ressembleraient à Tirésie, qui devint aveugle pour avoir vu quelque secret des dieux.

Cassini mourut le 14 septembre 1712, âgé de quatre-vingtsept ans et demi, sans maladie, sans douleur, par la seule nécessité de mourir. Il était d'une constitution très-saine et très-robuste; et quoique les fréquentes veilles nécessaires pour l'observation soient dangereuses et fatigantes, il n'avait jamais connu nulle sorte d'infirmité. La constitution de son esprit était toute semblable; il l'avait égal, tranquille, exempt de ces vaines inquiétudes et de ces agitations insensées, qui sont les plus douloureuses et les plus incurables de toutes les maladies. Son aveuglement même ne lui avait rien ôté de sa gaieté ordinaire. Un grand fonds de religion, et, ce qui est encore plus, la pratique de la religion, aidaient beaucoup à ce calme perpétuel. Les cieux, qui racontent la gloire de leur créateur, n'en avaient jamais plus parlé à personne qu'à lui, et n'avaient jamais mieux persuadé. Non-seulement une certaine circonspection assez ordinaire à ceux de son pays, mais sa modestie naturelle et sincère, lui auraient fait pardonner ses talens et sa réputation par les

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