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quoi, quand ils virent qu'elle lui avait été parfaitement soumise, ils firent comme elle un mouvement en arrière, et di-. rent qu'il n'y avait rien de si facile que ce qu'avait fait Cassini.

Il en parut une seconde au mois d'avril 1665. Il se prépara à en donner promptement un calcul ou une table qui confirmât ce qu'il avait fait sur la précédente. Quelques-uns de ces incrédules se changèrent en imitateurs, mais malheureux. Ils voulurent aussi former des systèmes, et ils prétendirent que la nouvelle comète était la même que l'autre ; mais l'observation les démentit trop. Pour lui, huit ou dix jours après la première apparition, il publia sa table, où la comète était calculée comme l'aurait pu être une ancienne planète. Il imprima aussi à Rome, la même année, un traité latin sur la théorie de ces deux comètes, dédié à la reine de Suède, et quelques lettres italiennes adressées à l'abbé Ottavio Falconieri. Il y découvre entièrement son secret, tel que nous l'avons exposé en abrégé dans les histoires de 1706 (p. 104 et suiv.) et de 1708 (p. 98 et suiv.)

La reine de Suède ayant reçu de France une éphéméride du mouvement de la première comète, qu'avait faite Auzout, trèsprofond mathématicien, et habile observateur, et l'ayant communique à Cassini, il y reconnut au travers de quelques déguisemens affectés cette même hypothèse, dont il s'était servi avec des succès si brillans. Il en écrivit à la reine et à l'abbé Falconieri avec une joie que l'on sent bien qui est sincère; il ne fut touché que de voir la vérité de son système confirmée par cette conformité, et non de ce que la gloire en pouvait être partagée. Ce système le conduisait à croire que les mêmes comètes pouvaient reparaître après certains temps: aussi avons-nous rapporté d'après lui dans les histoires de 1699 (p. 72 et suiv.), de 1702 (p. 63 et suiv.), et de 1706 (p. 104 et suiv.), tout ce qui peut appuyer cette pensée. Elle agrandit l'univers, et en augmente la pompe.

Il travaillait encore à cette partie de l'astronomie si neuve et si peu traitée, lorsque le pape le renvoya en Toscane négocier seul avec les ministres du grand-duc sur l'affaire de la Chiana, et lui donna en même temps la surintendance des eaux de l'état ecclésiastique. Quand il était quitte de ses devoirs, il retournait à ses plaisirs, c'est-à-dire aux observations célestes.

Ce fut à Citta-della-Pieve en Toscane, dans la même année 1665, déjà assez chargée d'événemens savans, qu'il reconnut sûrement sur le disque de Jupiter les ombres que les satellites y jettent, lorsqu'ils passent entre Jupiter et le soleil. Il fallut démêler ces ombres d'avec des taches de cette planète; les unes fixes les autres passagères, les autres fixes seulement pour un

temps; et il les démêla si bien, que ce fut par une tache fixe bien avérée, qu'il découvrit que Jupiter tourne son axe en six heures cinquante-six minutes. On lui contesta la distinction des ombres et des taches, quoiqu'il l'eût démontrée géométriquement, et qu'il sût prédire et les temps de l'entrée ou de la sortie des ombres sur le disque apparent de Jupiter, et ceux où la tache fixe y devait reparaître par la révolution du globe. Mais il faut avouer que l'extrême subtilité de ces recherches, et l'usage très-délicat, et jusques-là nouveau, qu'il avait fallu faire de l'astronomie et de l'optique ensemble, méritaient de trouver de l'opposition même chez les savans, plus rebelles que les autres à l'instruction. Le refus de croire honore les découvertes fines.

Celles de Cassini étaient d'autant plus importantes, que de toutes les planètes, c'est jusqu'à présent Jupiter qui nous intéresse le plus. C'est lui qui peut décider la question du mouvement ou de l'immobilité de la terre; il nous fait voir à l'œil, et même plus en grand que chez nous, tout ce que Copernic n'avait fait que deviner pour la terre avec une espèce de témérité. Si l'on est étonné qu'une aussi grosse masse que la terre tourne sur ellemême, Jupiter mille fois plus gros tourne près de deux fois et demie plus vite. Si l'on trouve étrange que la lune seule ait la terre pour centre de son mouvement, quatre lunes ou satellites ont Jupiter pour centre du leur.

Lorsqu'on ne songea plus à disputer à Cassini la vérité de ses découvertes, on songea à lui en dérober l'honneur. Au mois de février 1667, il avait pris le temps favorable d'observer Mars, qui s'approchait de la terre; et il jugeait par le mouvement de quelques taches, que cette planète tournait sur son axe en vingtquatre heures et quelques minutes. Des observateurs de Rome à qui il en avait écrit, voulurent le prévenir; mais il sut bien défendre son droit, et prouver que leurs observations étaient et postérieures aux siennes, et peu exactes. Il fixa la révolution de Mars à vingt-quatre heures quarante minutes; nouvelle gloire pour Copernic. Son système s'affermissait à mesure que le ciel se développait sous les yeux de Cassiņi. Il découvrit aussi dans la même année des taches sur le disque de Vénus, et crut que sa révolution pouvait être à peu près égale à celle de Mars: mais comme Vénus, dont l'orbe est entre le soleil et nous, est sujette aux mêmes variations de phases que la lune, et que par-là les retours de ses taches sont très-difficiles à reconnaître avec sûreté, il ne détermina rien; et sa retenue sur des découvertes incertaines fut une confirmation de la certitude des autres.

Malgré les égards qu'on devait avoir pour son utile attachement aux observations célestes, on l'en détournait assez souvent

par la nécessité d'avoir recours à lui. Outre les emplois qu'il avait déjà, étrangers à l'astronomie, on le chargea de l'inspection de la forteresse de Peruggia et du pont Felix, que le Tibre menaçait de quitter. Il ordonna un ouvrage qui prévint ce désordre. Lui-même, possédé d'un amour général pour les sciences, se livrait quelquefois à des distractions volontaires. Lorsqu'il traitait de l'affaire de la Chiana avec Viviani, il avait fait sur les insectes quantité d'observations physiques, que Montalbani, à qui il les adressa, fit imprimer dans les ouvrages d'Aldrovandus. En dernier lieu, les expériences de la transfusion du sang, faites en France et en Angleterre, et qui ne regardaient que des médecins et des anatomistes, étant devenues fort fameuses, il eut la curiosité de les faire chez lui à Bologne, tant sa passion de savoir se portait vivement à différens objets. Aussi lorsque dans ses voyages de Bologne à Rome il passait par Florence, le grand-duc et le prince Léopold faisaient tenir en sa présence les assemblées de leur académie del cimento, persuadés qu'il y laisserait de ses lumières.

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En 1668, il donna les éphémérides des astres Médicis ; car en Italie on est jaloux de conserver ce nom aux satellites de Jupiter. Galilée, leur premier inventeur, Marius, Hodierna, avaient. tenté sans succès de calculer leurs mouvemens et les éclipses qu'ils causent à Jupiter en lui dérobant le soleil, ou qu'ils souffrent en tombant dans son ombre. Il manquait à tous ces astronomes d'avoir connu la véritable position des plans ou orbites dans lesquels se font les mouvemens de ces satellites autour de Jupiter; et en effet il semble que ce soit à l'esprit humain une audace excessive et condamnable, que d'aspirer à une pareille connaissance. Toutes les planètes se meuvent dans des plans différens, qui passent par le centre du soleil; celui dans lequel se meut la terre, est l'écliptique. L'orbite de Jupiter est un autre plan incliné à l'écliptique, d'un certain nombre de degrés, et qui la coupe en deux points opposés. Cette inclinaison de l'orbite de Jupiter à l'écliptique, et leurs intersections communes, quoique recherchées par les astronomes de tous les temps, et sur une longue suite d'observations, sont si difficiles à déterminer, que différens astronomes s'éloignent beaucoup les uns des autres, et que quelquefois un même astronome ne peut s'accorder avec lui-même. La raison en est que ces plans, quoique réels, sont invisibles, et ne peuvent être aperçus que par l'esprit, ni distingués que par un grand nombre de raisonnemens très-fins. Que sera-ce donc de plans beaucoup plus invisibles, pour parler ainsi, dans lesquels se meuvent les satellites de Jupiter? Il a fallu trouver quels angles font leurs orbites, et avec l'orbite de Ju

piter, et entre elles, et avec notre écliptique ; et de plus, quelle est la différente grandeur de ces angles selon qu'ils sont vus, ou du soleil, ou de la terre. En un mot, dans les tables de ces nouveaux astres, il entra vingt-cinq élémens, c'est-à-dire vingt-cinq connaissances ou déterminations fondamentales. Non-seulement c'est un grand effort d'esprit, que de tirer, d'assembler, d'arranger tant de matériaux nécessaires à l'édifice; mais c'en est même un grand que de savoir combien il y a de matériaux nécessaires et de n'en oublier aucun.

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Des que les tables de Cassini parurent, tous les astronomes de l'Europe qu'elles avertissaient du temps des éclipses des satellites, les observèrent avec soin; entre autres Picard, l'un des membres de l'académie des sciences alors naissante: et il trouva qu'assez souvent elles répondaient au ciel avec plus de justesse que avait promis l'auteur même, qui se réservait à les rectifier dans la suite. Il avait fait pour quatre lunes étrangères, très-éloignées de nous, connues depuis fort peu de temps, ce que tous les astronomes de vingt-quatre siècles avaient eu bien de la peine à faire pour la lune.

Colbert, qui par les ordres du roi avait formé l'académie des sciences en 1666, désira que Cassini fût en correspondance avec elle: mais bientôt la passion qu'il avait pour la gloire de l'état, ne se contenta plus de l'avoir pour correspondant de son académie. Il lui fit proposer par le comte Graziani, ministre et secrétaire d'état du duc de Modène, de venir en France, où il recevrait une pension du roi, proportionnée aux emplois qu'il avait en Italie. Il répondit qu'il ne pouvait disposer de lui, ni recevoir l'honneur que sa majesté voulait bien lui faire, sans l'agrément du pape, qui était alors Clément IX; et le roi le fit demander à sa sainteté et au sénat de Bologne par l'abbé de Bourlemont, alors auditeur de Rote, mais seulement pour quelques années. On crut que la négociation ne réussirait pas sans cette restriction, qui apparemment n'était qu'une adresse. On lui fit l'honneur et de croire cet artifice nécessaire, et de vouloir bien s'en servir.

Il arriva à Paris au commencement de 1669, appelé d'Italie par le roi, comme Sosigène, autre astronome fameux, était venu d'Egypte à Rome, appelé par Jules-César. Le roi le reçut et comme un homme rare, et comme un étranger qui quittait sa patrie pour lui. Son dessein n'était pas de demeurer en France; et au bout de quelques années, le pape et Bologne, qui lui avaient toujours conservé les émolumens de ses emplois, le redemandèrent avec chaleur: mais Colbert n'en avait pas moins à le leur disputer; et enfin il eut le plaisir de vaincre, et de lui faire expédier des lettres de naturalité en 1673. La même an

née, il épousa Geneviève Delaître, fille de Delaître, lieutenantgénéral de Clermont en Beauvoisis. Le roi, en agréant son mariage, eut la bonté de lui dire qu'il était bien aise de le voir devenu Français pour toujours. C'est ainsi que la France faisait des conquêtes jusques dans l'empire des lettres.

Parce que Cassini était étranger, il avait également à craindre que le public ne fût dans des dispositions pour lui, ou trop favorables, ou malignes; et sans un grand mérite, il ne se fût pas sauvé de l'un ou de l'autre péril. Il comprit qu'il commençait une nouvelle carrière, d'autant plus difficile, que pour soutenir sa réputation il fallait la surpasser. Nous ne suivrons point en détail ce qu'il fit en France; nous en détacherons seulement quelques traits des plus remarquables.

L'académie ayant envoyé en 1672 des observateurs dans l'île de Cayenne proche de l'équateur, parce qu'un climat si différent du nôtre devait donner quantité d'observations fort différentes de celles qui se font ici, et qui nous seraient d'un grand usage, on en rapportera tout ce que Cassini n'avait établi que par raisonnement et par théorie plusieurs années auparavant sur la parallaxe du soleil, et sur les réfractions. Un astronome si subtil est presque un devin, et on dirait qu'il prétend à la gloire de l'astrologue.

De plus, un des principaux objets du voyage était d'observer à Cayenne la parallaxe de Mars, alors fort proche de la terre, tandis que Cassini et les autres astronomes de l'académie l'observaient ici. Cette méthode d'avoir les parallaxes par des observations faites dans le même temps en des lieux éloignés, est l'anR cienne : mais Cassini en imagina une autre où un seul observateur suffit, parce qu'une étoile fixe tient lieu d'un second. Wiston, célèbre astronome anglais, a dit que cette idée avait quelque chose de miraculeux.

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Ces deux méthodes concoururent à donner la même parallaxe de Mars d'où s'ensuivait celle du soleil. Après une longue incertitude, elle fut déterminée à dix secondes; et par conséquent il n'y a plus lieu de douter que le soleil ne soit au moins à trentetrois millions de lieues de la terre, beaucoup au-delà ce qu'on avait jamais cru. Toutes les distances des autres planètes en sont aussi augmentées à proportion, et les bornes de notre tourbillon fort reculées.

Au mois de décembre 1680, il parut une comète qui a été fameuse. Cassini ne l'ayant observée qu'une fois, prédit au roi, en présence de toute la cour, qu'elle suivrait la même route qu'une autre comète observée par Tycho-Brahé en 1577. C'était une espèce de destinée pour lui, que de faire ces sortes de pré

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