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vivre commodément, quoique 'tout le monde fût en parfaite santé : mais son désintéressement ne venait pas de sa fortune; il venait de son caractère, car il n'est pas rare qu'un homme riche veuille s'enrichir. Les malades de Bourdelin lui étaient assez inutiles, si ce n'est qu'ils lui procuraient le plaisir de les assister. Il voyait autant de pauvres qu'il pouvait, et les voyait par préférence : il payait leurs remèdes, et même leur fournissait souvent les autres secours dont il avait besoin : et quant aux gens riches, il évitait avec art de recevoir d'eux ce qui lui était dû; il souffrait visiblement en le recevant, et sans doute la plupart épargnaient volontiers sa pudeur, ou s'accommodaient à sa générosité.

Dès que la paix de Riswick fut faite, il en profita pour aller en Angleterre voir les savans de ce pays-là. La récompense de son voyage fut une place dans la société royale de Londres. Il ne l'avait point sollicitée, et on crut qu'elle lui en était d'autant mieux due.

Il n'eut pas le malheur d'être traité moins favorablement dans sa patrie. L'académie des sciences, à qui il appartenait par plusieurs titres, le prit pour un de ses associés anatomistes au renouvellement qui se fit en 1699. Il avait en partage, non pas tant l'anatomie elle-même, que son histoire, ou l'érudition anatomique qu'il possédait fort. On a vu par l'histoire de 1700 (p. 29 et suiv.), que dans une question assez épineuse qui partageait les anatomistes de la compagnie, et où il entrait quelques points de fait, et des difficultés sur le choix des opérations nécessaires, on eut recours à Bourdelin, et qu'il travailla utilement à des préliminaires d'éclaircissemens. En 1703, il acheta une charge de médecin ordinaire de madame la duchesse de Bourgogne. On assure qu'un de ses principaux motifs fut l'envie de donner au public des soins entièrement désintéressés, et de se dérober à des reconnaissances incommodes, qu'il ne pouvait pas tout-à-fait éviter à Paris. Nous n'avancerions pas un fait si peu vraisemblable, s'il ne l'avait prouvé par toute sa conduite. Avant que de se transporter à Versailles, il fut quatre ou cinq mois à se rafraîchir la botanique avec Marchant, son ami et son confrère. Il prévoyait bien qu'il n'herboriserait pas beaucoup dans son nouveau séjour, et il y voulait arriver bien muni de toutes les connaissances qu'il n'y pourrait plus fortifier. Quand il partit, ce fut une affliction et une désolation générale dans tout le petit peuple de son quartier. La plus grande qualité des hommes est celle dont ce petit peuple est le juge.

Il vécut à Versailles comme il avait fait à Paris; aussi appliqué sans aucun intérêt, aussi infatigable, ou du moins aussi pro

digue de ses peines, que le médecin du monde qui aurait eu le plus de besoin et d'impatience d'ainasser du bien. Son goût pour les pauvres le dominait toujours. Au retour de ses visites, où il en avait vu plusieurs dans leurs misérables lits, il en trouvait encore une troupe chez lui qui l'attendait. On dit qu'un jour, comme il passait dans une rue de Versailles, quelques gens du peuple dirent entre eux: Ce n'est pas un médecin, c'est le messie; exagération insensée en elle-même, mais pardonnable en quelque sorte à une vive reconnaissance, et à beaucoup de grossièreté. Il est assez singulier que dans un pays où toutes les professions, quelles qu'elles soient, se changent en celle de courtisan, il n'ait été que médecin, et qu'il n'ait fait que son métier au hasard de ne pas faire sa cour. Il la fit cependant à force de bonne réputation. Bourdelot, premier médecin de madame la duchesse de Bourgogne, étant mort en 1708, cette princesse proposa elle même Bourdelin au roi pour une si importante place, et obtint aussitôt son agrément. Elle eut la gloire et le plaisir de rendre justice au mérite qui ne sollicitait point. Les courtisans surent son élévation avant lui, et il ne l'apprit que par leurs complimens.

Ses mœurs se trouvèrent assez fermes pour n'être point ébranlées par sa nouvelle dignité. Il fut toujours le même; seulement il donna de plus grands secours aux pauvres, parce que sa fortune était augmentée.

Cependant les fatigues continuelles affaiblissaient fort sa santé; une toux fâcheuse et menaçante ne lui laissait presque plus de repos. Soit indifférence pour la vie, soit une certaine intempérance de bonnes actions, défaut assez rare, on l'accuse de ne s'être pas conduit comme il conduisait les autres. Il prenait du café pour s'empêcher de dormir, et travailler davantage; et puis pour rattraper le sommeil, il prenait de l'opium. Surtout c'est l'usage immodéré du café qu'on lui reproche le plus; il se flatta long-temps d'être désespéré, afin d'en pouvoir prendre tant qu'il voulait.

Enfin, après être tombé par degrés dans une grande exténuation, il mourut d'une hydropisie de poitrine le 20 avril 1711. Ses dernières paroles furent... In te, domine, speravi; non confundar... Il n'acheva pas les deux mots qui restaient. Une vie telle que la sienne était digne de finir par ce sentiment de

confiance.

Il a laissé quatre enfans d'une femme pleine de vertu, avec qui il a toujours été dans une union parfaite. Nous ne nous arrêterons point à dire combien il était vif et officieux amis, doux et humain à l'égard de ses domestiques; il vaut

pour

ses

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mieux laisser à deviner ces suites nécessaires du caractère que nous avons représenté, que de nous rendre suspects de le vouloir charger de trop de perfections.

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CLAUDE BERGER naquit le 20 janvier 1679 de Claude Berger,

docteur en médecine de la faculté de Paris. Il se destina à suivre la profession de son père; et pendant qu'il était sur les bancs de la faculté, il soutint sous la présidence de Fagon, premier médecin, une thèse contre l'usage du tabac, dont le style et l'érudition furent généralement admirés, et les préceptes fort peu suivis.

Quoique Berger fût allié de Fagon, et d'assez près, ce fut à l'occasion de cette thèse que Fagon vint à le connaître plus particulièrement qu'il n'avait fait jusqu'alors; et il lui accorda une amitié et une protection que l'alliance seule n'aurait pas obtenues

de lui.

Berger travailla long-temps à l'étude des plantes sous Tournefort, et mérita que ce grand botaniste le fit entrer, en qualité de son élève, dans l'académie des sciences, lorsqu'elle se renouvela en 1699. Depuis, par certains arrangemens qui se firent dans la compagnie, il devint élève de Homberg. Il parut également propre à remplir un jour une première place, soit dans Ja botanique, soit dans la chymie.

Mais différentes occupations le détournèrent des fonctions que l'académie demande. Ayant été reçu docteur en médecine, il fut obligé d'en professer un cours aux écoles de Paris pendant deux ans ; ce qu'il fit avec beaucoup de succès. D'ailleurs son père, bon praticien, et des plus employés, le menait avec lui chez ses malades, et l'instruisait par son exemple, et par l'observation de la nature même, leçon plus efficace et plus animée que toutes celles qu'on prend dans les livres ; et comme ce père, à cause de ses indispositions, passa les deux dernières années de sa vie sans sortir de chez lui, il exerçait encore la médecine par son fils, qu'il envoyait chargé de ses ordres, et éclairé de ses vues. Aussi après sa mort, qui arriva en 1705, le fils succéda à la confiance que l'on avait eue pour lui, et se trouva fort employé presque à titre héréditaire. Enfin Fagon, qui avait la chaire de professeur en chymie au jardin royal, et qui ne pouvait l'occuper, en chargea Berger en 1709; et après lui avoir continué cet emploi les deux années suivantes seulement par commission, il

crut que la manière dont il s'en était acquitté, méritait qu'il lui en fit obtenir du roi la survivance: grâce qu'il eût d'autant moins demandée pour un sujet médiocrement digne, que l'on savait qu'il avait toujours été fort jaloux de l'honneur de cette place.

Tout ce qui rendait Berger peu exact aux devoirs de l'académie, ne laissait pas de le disposer à devenir grand académicien, et apparemment la compagnie eût profité de ces occupations même qui ne la regardaient pas; mais la complexion délícate dont il était, succomba à ses différens travaux. Son poumon fut attaqué; et il mourut le 22 mai 1712. La Carlière, premier médecin de monseigneur le duc de Berri, et très-célèbre dans son art, l'avait choisi pour lui donner sa fille unique ; et c'est encore une partie de la gloire de Berger, que toutes les circonstances de cette espèce d'adoption.

ÉLOGE

DE CASSINI.

JEAN-DOMINIQUE CASSINI naquit à Perinaldo, dans le comté de Nice, le 8 juin 1625, de Jacques Cassini, gentilhomme Italien, et de Julie Crovesi. On lui donna dès son enfance un précepteur fort habile, sous qui il fit ses premières études. Il les continua chez les jésuites à Gênes ; et quelques-unes des poésies latines de cet écolier y furent imprimées avec celles des maîtres dans un recueil in-folio en 1646.

Il fit une étroite liaison d'amitié avec Lercaro, qui fut depuis doge de sa république. Il était allé avec lui à une de ses terres, lorsqu'un ecclésiastique lui prêta pour l'amuser quelques livres d'astrologie judiciaire. Sa curiosité en fut frappée, et il en fit un extrait pour son usage. L'instinct naturel qui le portait à la connaissance des astres, se méprenait alors, et ne démêlait pas encore l'astronomie d'avec l'astrologie. Il alla jusqu'à faire quelques essais de prédictions qui lui réussirent; mais cela même qui aurait plongé un autre dans l'erreur pour jamais, lui fut suspect. Il sentit par la droiture de son esprit, que cet art de prédire ne pouvait être que chimérique ; et il craignit par délicatesse de religion, que les succès ne fussent la punition de ceux qui s'y appliquaient. Il lut avec soin le bel ouvrage de Pic de la Mirande contre les astrologues, et brûla son extrait des livres qu'il avait empruntés. Mais au travers du frivole et du ridicule de l'astrologie, il avait aperçu les charmes solides de l'astronomie, et en avait été vivement touché.

Quand l'astronomie ne serait pas aussi absolument nécessaire qu'elle l'est pour la géographie, pour la navigation, et même pour le culte divin, elle serait infiniment digne de la curiosité de tous les esprits, par le grand et le superbe spectacle qu'elle leur présente. Il y a dans certaines mines très-profondes des malheureux qui y sont nés, et qui y mourront sans avoir jamais vu le soleil. Telle est à peu près la condition de ceux qui ignorent la nature, l'ordre et le cours de ces grands globes qui roulent sur leurs têtes, à qui les plus grandes beautés du ciel sont inconnues, et qui n'ont point assez de lumières pour jouir de l'univers. Ce sont les travaux des astronomes qui nous donnent des yeux, et nous dévoilent la prodigieuse magnificence de ce monde presque uniquement habité par des aveugles.

Cassini s'attacha avec ardeur à l'astronomie et aux sciences préliminaires. Il y fit des progrès si rapides, qu'en 1650, c'està-dire âgé seulement de vingt-cinq ans, il fut choisi par le sénat de Bologne pour remplir dans l'université de cette ville la première chaire d'astronomie, vacante depuis quelques années par la mort du père Cavalieri, fameux auteur de la géométrie des indivisibles, et précurseur des infiniment petits, à qui l'on n'avait encore pu trouver de digne successeur. A son arrivée à Bologne, il fut reçu chez le marquis Cornelio Malvasia, qui avait beaucoup contribué à le faire appeler. Ce marquis était sénateur dans sa patrie, général des troupes du duc de Modène, et savant; trois qualités qu'il réunissait à l'exemple des anciens romains, devenus presque fabuleux pour nous.

Dès la fin de l'an 1652, une comète vint exercer le nouveau professeur d'astronomie, et se proposer à lui comme une des plus grandes difficultés de son métier. Il l'observa avec Malvasia, qui lui-même était astronome. Elle passa par leur zénith, particularité rare. Cassini fit sur ce phénomène toutes les recherches que l'art pouvait désirer, et toutes les déterminations qu'il pouvait fournir; et il en publia en 1653 un traité dédié au duc de Modène.

Dans cet ouvrage, il ne prend les comètes que pour des générations fortuites, pour des amas d'exhalaisons fournies par la terre et par les astres; mais il s'en forma bientôt une idée plus singulière et plus noble. Il s'aperçut que le mouvement de sa comète pouvait n'être inégal qu'en apparence, et se réduire à une aussi grande égalité que celui d'une planète; et de là il conjectura que toutes les comètes qui avaient toujours passé pour astres nouveaux, et entièrement exempts des lois de tous les autres, pouvaient être, et de la même régularité, et de la même ancienneté que ces planètes, auxquelles on est accoutumé depuis

des

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