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culté. Il proposa et il obtint de soutenir des thèses publiques, où Montanari n'assisterait point, et où Cavina, dont elles attaquaient l'opinion, serait invité, et attendu pendant un certain temps. Il n'y vint point; il traita ce défi comme un duel serait traité en France, et il paraît qu'il fit bien. Quoique Guglielmini avoue qu'il n'était pas encore entièrement sorti des sections coniques, il terrassait en géométrie son adversaire. Il y eut assez d'écrits et assez gros sur une matière qui au fond ne les méritait pas. Deux ou trois pages auraient suffi pour la vérité ; les passions firent des livres.

Guglielmini fut reçu docteur en médecine dans l'université de Bologne en 1678; mais au milieu de l'application et des études que demande cette pénible profession, un nouveau phénomène qui parut au ciel le rappela encore pour un temps du côté des mathématiques. Ce fut la comète de 1680 et 1681, qui par je ne sais quelle destinée particulière, remua plus qu'une autre le monde savant. Le sentiment de ceux qui croient les comètes des corps éternels, aussi-bien que les planètes, avait été attaqué par Montanari, sur le fondement que cette dernière comète qui avait disparu à la fin de février 1681, n'était point alors assez éloignée de la terre pour disparaître par son éloignement seul, et qu'il devait y avoir eu par conséquent quelque dissolution physique. Cette raison qui pouvait n'être pas démonstrative, le devint en quelque sorte pour Guglielmini, parce qu'elle venait d'un maître qu'il chérissait; et elle l'engagea à chercher quelque moyen d'expliquer la génération des comètes. Il en imagina un assez singulier, dont il fit un ouvrage intitulé: De cometarum naturâ et ortu epistolica dissertatio. Boloniæ, 1681.

Il donne aux planètes des tourbillons fort étendus ; de sorte que ceux, par exemple, de Jupiter et de Saturne, qui ont leurs centres éloignés de cent soixante-cinq millions de lieues, lorsqu'ils s'approchent le plus qu'il est possible, peuvent alors se couper vers leurs extrémités. Dans cet entrelacement et cet embarras de la matière de deux tourbillons, il se forme en vertu des mouvemens opposés qui se combattent, un tourbillon nouveau, dont les parties les plus grossières, car la matière céleste n'est pas toute homogène, vont occuper le centre, et produisent un nouveau corps solide, qui est la tête de la comète. Nous ne rappor terons ni les preuves, ni les difficultés de ce système : l'auteur déclare qu'il ne le croit ni vrai, ni même vraisemblable, mais seulement propre à expliquer les faits; et il ne le propose qu'avec une modestie qui en répare la faiblesse, et désarme les critiques.

Il donna de nouvelles preuves de son savoir dans l'astronomie,

par l'observation qu'il fit à Bologne de l'éclipse solaire du 12 juillet 1684, et qu'il imprima en latin la même année.

Le mérite de Guglielmini fut reconnu jusques dans son pays. Le sénat de Bologne le fit premier professeur de mathématique, et lui donna en 1686 l'intendance générale des eaux de cet état. Les voyageurs nous rapportent qu'en Perse la charge de surintendant des eaux est une des plus considérables, à cause de la sécheresse du pays, et de la difficulté de l'arroser suffisamment et également. Par une raison toute contraire, cette charge est de la même importance dans le Bolonais, et en général dans, la Lombardie, où la grande quantité et la disposition des rivières et des canaux, si utiles d'ailleurs au pays, peuvent cependant produire de grands inconvéniens, à moins que l'on n'y veille continuellement et avec des yeux fort éclairés. Guglielmini eut cette délicatesse assez rare de regarder sa commission de surintendant des eaux, non comme une de ces commissions dont on s'acquitte toujours assez bien avec quelques connaissances ordinaires, et où il suffit de ne rien gâter, mais comme un engagement sérieux à tourner ses principales pensées de ce côté-là, et à servir le public à toute rigueur.

Il donna donc dès l'année 1690 la première partie, et en 1691 la seconde d'un traité d'hydrostatique, intitulé: Aquarum fluentium mensura, nová methodo inquisita, et dédié au sénat de Bologne. Son principe fondamental, et reçu de tous les philosophes modernes, est que les vitesses d'une eau qui sort d'un tuyau vertical ou incliné, sont à chaque instant comme les racines des hauteurs de sa surface supérieure, ce qui amène néces➡ sairement la parabole dans toute cette matière. Quand même l'eau coule dans un canal horizontal, ce qui se peut, pourvu qu'elle ait une issue pour se décharger, c'est encore le même principe, parce que l'eau supérieure pressant l'inférieure, lui imprime de la vitesse à raison de sa hauteur.

Si l'on veut trouver dans un canal horizontal la vitesse moyenne entre celle du fond, qui est la plus grande, et celle de la superficie, qui est la plus petite, ou même nulle géométriquement, on voit aussitôt par la quadrature de la parabole, que cette vitesse est toujours à celle du fond comme deux à trois, et qu'elle est toujours placée aux quatre neuvièmes de la hauteur du canal divisé du haut en bas.

Quand on a une expérience fondamentale sur la vitesse de l'eau, par exemple, celle de Guglielmini, par laquelle une eau qui est tombée de la hauteur d'un pied de Bologne, parcourt en une minute deux cent seize pieds cinq pouces d'un mouvement égal, on a sa vitesse pour toutes les chutes possibles; et il en a calculé

une table qu'il n'a poussée que jusqu'à trente pieds de chute, parce que les plus grands fleuves de l'Europe ne passent pas cette profondeur. Si l'on veut mesurer la quantité d'eau qui passe en une minute par un canal horizontal, comme on sait que sa vitesse moyenne est au quatrième de sa hauteur, il faut avoir ces quatre neuvièmes en pieds et en pouces. On trouve ensuite par la table quelle vitesse convient à une chute ou pression de cette hauteur: c'est là la vitesse moyenne de l'eau ; et en la multipliant par la hauteur et largeur du canal, on a la qualité d'eau cherchée. Guglielmini trouve par cette méthode, que le Danube supposé horizontal à son embouchure, comme le sont presque toujours les grands fleuves, du moins sensiblement, jette dans le pont Euxin en une minute près de quarante-deux millions de pieds cubiques Bolonais d'eau.

Pour les canaux inclinés, il ne faut qu'un peu plus de calcul; et de plus, la connaissance de l'angle d'inclinaison du canal, après quoi tout le reste est pareil.

Telle est l'idée générale de tout l'ouvrage. Il est fort net et fort méthodique. Peut-être seulement paraîtrait-il un peu diffus à ceux qui ont pris le goût et l'habitude de cette briéveté de l'algèbre, assez semblable en fait de mathématique à ce qu'on appelle en éloquence et en poésie, le style serré. Mais chaque auteur écrit principalement pour son pays; et quoique l'Italie ait été du moins en Europe, le berceau de l'algèbre, cette science n'y avait pas encore beaucoup prospéré du temps de Guglielmini, et elle avait trouvé les climats du nord bien plus favorables.

Les actes de Leipsick ayant rendu compte en 1691 du livre de la mesure des eaux, Papin fit quelques remarques et quelques objections sur l'extrait qu'il en avait vu, et les fit insérer dans ce même journal. Cela revint en gros à Guglielmini par des lettres de Leibnitz, avant qu'il pût avoir en Italie les actes de Leipsick. Au nom de Papin, il eut peur de s'être trompé; car on n'en peut douter après l'aveu qu'il en fait lui-même, à moins qu'on ne veuille tenir pour un peu suspect cet aveu si glorieux à qui entend la véritable gloire. Il vit enfin les actes de Leipsick, et se rassura. Il écrivit à Leibnitz pour le rendre juge du dif

férend.

Papin croyait et prétendait démontrer que l'eau qui sort d'un tuyau toujours plein, a la moitié moins de vitesse que la première eau qui sort du même tuyau qui se vide. Sa raison était que dans le premier cas l'eau n'a qu'un mouvement égal et uniforme; au lieu que dans le second, elle a un mouvement accéléré, puisqu'elle tombe, ou est censée tomber. Guglielmini détruisit cette prétention avec toute l'honnêteté que devait garder

un homme qui s'était cru sincèrement capable d'erreur. Il paraît par toute sa lettre qu'il doit avoir entièrement gain de cause; et cependant il paraît aussi qu'il y avait encore en cette matière quelque chose qu'il ne démêlait pas, et qui lui échappait à luimême. Les vitesses de l'eau qui sont comme les racines des hauteurs, ayant précisément entre elles le même rapport que les vitesses des corps pesans qui tombent, les deux adversaires et tous les autres philosophes avaient également pris cette idée fort naturelle, que les vitesses de l'eau dépendent donc d'une accélération causée par une chute. Mais nous avons fait voir, après Varignon, dans l'histoire de 1703 (p. 125 et 126), que cette idée si naturelle n'est point vraie; et qu'il y a un autre principe de ce rapport de vitesse de l'eau, tout différent de l'accélération, et en même temps si simple, qu'il ne ferait pas un grand mérite à son inventeur, s'il n'avait pas été long-temps caché aux plus habiles géomètres. Faute de l'avoir connu, Guglielmini ne peut éviter de certains embarras d'où il tâche à se sauver par des pressions de l'air. Il ne suffit pas de tenir une vérité; il faut aussi, quand on veut la suivre un peu loin, en tenir la véritable cause: autrement la fausse cause d'une vérité revient à enfanter des erreurs, ses productions naturelles. La lettre de Guglielmini à Leibnitz fut suivie en 1692 d'une autre, adressée à Magliabecchi sur les syphons, parce qu'il avait trouvé dans les actes de Leipsick, que Papin, en examinant un syphon fait à Wirtemberg, s'était servi de sa fausse proposition. Les deux lettres furent imprimées sous le titre de Epistolæ duæ hydrostaticæ.

Il s'éleva en ce temps-là un différend sur les eaux entre les villes de Bologne et de Ferrare. Il s'agissait principalement de savoir si on devait remettre le cours du Reno dans le Pô. Le pape, maître de ces deux états, envoya les cardinaux Dada et Barberin pour juger de cette affaire. Bologne chargea de ses intérêts le seul qu'elle en pût charger, Guglielmini. Les deux cardinaux avec qui il traita, prirent une si grande idée de sa capacité, qu'ils l'employèrent non-seulement pour les eaux du Bolonais, mais encore pour celles du Ferrarais et du territoire de Ravenne, et l'engagèrent à faire des desseins de différens travaux utiles ou nécessaires. Mais il lui arriva alors ce que nous avons déjà dit, qui était arrivé à Viviani en pareille matière; des projets qui ne regardaient que le bien public n'eurent point d'exécution.

Comme Guglielmini avait porté la science des eaux plus loin qu'elle n'avait encore été, du moins en Italie, et qu'il en avait fait une science presque nouvelle, Bologne fonda dans son université en 1694 une nouvelle chaire de professeur en hydromé

trie, qu'elle lui donna. Le nom d'hydrométrie était nouveau, aussibien que la place, et l'un et l'autre rappelleront toujours la mémoire de celui qui en a rendu l'établissement nécessaire.

Il se permettait cependant quelques distractions de son étude des eaux, dans des occasions où il eût été difficile de résister à d'autres sciences qui l'appelaient. Quand Cassini retourna à Bologne en 1695, et y raccommoda la fameuse méridienne qu'il avait tracée quarante ans auparavant dans l'église de S.-Petrone, et que différens accidens avaient altérée, Guglielmini l'aida dans ce grand travail astronomique, et fit même imprimer un mémoire des opérations qu'on avait faites pour la construction et pour la vérification de ce prodigieux instrument. Il s'en servit depuis pendant plusieurs années à observer les mouvemens du soleil et de la lune.

En 1697, il publia son grand ouvrage della natura de' fiumi, qui passe pour son chef-d'œuvre. Il le dédia à l'abbé Bignon, qui l'année précédente l'avait fait associer à l'académie royale des sciences, et dont le nom et le mérite, sans le secours d'un pareil bienfait, s'attirent souvent des savans, même étrangers, de pareils hommages. La préface roule sur la nécessité de porter dans la physique la certitude de la géométrie, et sur la difficulté souvent insurmontable de faire entrer les idées simples de la géométrie dans la physique, aussi compliquée qu'elle est. Un physicien ordinaire ne doutera peut-être pas qu'il ne connaisse suffisamment la nature des rivières; mais après avoir lu le livre de Guglielmini, il demeurera convaincu qu'il ne la connaissait point. Nous ne rapporterons ici que les vues générales de ce traité, et nous laisserons à imaginer ce que peuvent produire les différentes combinaisons des principes, et les applications aux cas particuliers.

Les fleuves près de leurs sources descendent ordinairement de quelques montagnes, et là ils tirent leur vitesse de l'accélération de la chute : mais à mesure qu'ils s'éloignent, cette vitesse diminue, parce que l'eau frotte toujours contre le fond et contre les rives; qu'elle rencontre en son chemin différens obstacles; et qu'enfin venant à couler dans les plaines, elle a toujours moins de chute, et s'incline davantage à l'horizon. Le Reno y est à peine incliné de cinquante-deux secondes vers le bas de son cours. Si la vitesse acquise par la chute se perd entièrement, ce qui peut arriver à force d'obstacles redoublés, et après que le cours sera devenu tout-à-fait horizontal, il n'y a plus que la hauteur, ou la pression toujours proportionnée à la hauteur, qui puisse rendre la vitesse à l'eau, et la faire couler. Heureusement cette ressource croît selon le besoin; car à mesure que l'eau perd de

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