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JE

DE L'ÉDITION DE 1742.

E puis assurer avec vérité, quoique je coure peut-être risque de n'en être pas cru, qu'en faisant ce recueil de mes différens ouvrages, j'avais beaucoup d'inclination à y faire des retranchemens considérables, surtout dans quelquesunes des premières productions de ma jeunesse. Un goût plus formé que celui de ce temps-là m'avait rendu, non pas aussi sévère que le sont des lecteurs, mais à peu près autant que le peut être un auteur qui se juge lui-même. Il me semble, en effet, que ceux qui rassemblent leurs ouvrages, dans un temps où ils ne comptent plus guère d'en donner de nouveaux, en devraient faire un choix, pour ne laisser à la postérité, s'ils osent porter leurs vues si loin, que ce qui est le plus digne d'elle et le plus propre à décorer leur nom. Cela vaudrait bien mieux que de grossir leurs recueils de choses médiocres, qui ont attendu à se montrer au jour, qu'elles pussent être sous la protection de celles dont la fortune serait faite.

Je n'ai pourtant pas exécuté mes courageux desseins, je n'en ai pas été le maître. Cette édition n'est que pour l'intérêt du libraire, et nullement pour le mien. Il a voulu remédier au préjudice que lui apporte un grand nombre d'éditions contrefaites, et en donner une qui les fit tomber. Il n'a donc plus été possible d'y faire des retranchemens ; elle aurait passée pour défectueuse. Le public ne souffre pas qu'on lui dérobe rien de ce qu'il a une fois eu en sa possession, peut-être même sa malignité en serait-elle affligée, elle perdrait des sujets de s'exercer. Il pourra bien mépriser, oublier ce qu'on lui donne de trop, mais il veut en avoir le plaisir ; et si ce trop entraîne la disgrâce du reste, c'est ce qui ne lui importe guère.

Par ces raisons je n'ai pas supprimé les lettres du chevalier d'Her..... qui dès qu'elles parurent se glissèrent à la suite des Dialogues des Morts et de la Pluralité des Mondes, et que je n'ai jamais avouées. L'histoire en serait peu agréable et fort indifférente au public: puisqu'il les a crues de moi,

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et qu'il les a eues même sous mon nom, qu'il les ait encore. Je voudrais bien que sa sévérité ne tombât que sur elles.

Je parle jusqu'ici précisément comme j'ai fait dans ma dernière édition de Paris de 1724 ; mais il faut présentement, à ce qu'il me semble, changer de ton, puisque je donne une addition très-considérable par sa grosseur. La vie de M. Corneille, avec l'Histoire du Théatre Français jusqu'à lui, et des Réflexions sur la Poétique. Comment concilier cela avec ce grand amour pour les retranchemens dont je me suis vanté ?

des

II y a près de cinquante ans que cet ouvrage est fait. Je n'avais nul.empressement de le donner au public. Je savais que je n'avais pas fait assez de recherches sur l'Histoire du Théâtre français, ni apparemment assez de réflexions sur la poétique; et dans ce long espace de temps, il a paru histoires de notre théâtre beaucoup plus détaillées, et des pièces nouvelles me faisaient naître de nouvelles vues sur le fond de l'art. Cependant je ne renfermais pas mon manuscrit avec un extrême soin, je le faisais voir quand on en avait envie, je le prêtais en avertissant bien que ce n'était pas un ouvrage fini, et je pardonnais à ceux qui en dérobaient des copies. Quand M. l'abbé d'Olivet donna en 1729 sa belle Histoire de l'Académie Française, il eût pu y mettre la vie de M. Corneille sans mon consentement, et il ne me le demanda que par politesse. Elle est donc déjà publique, et je ne la pouvais plus refuser au libraire. Il est vrai que je la donne ici avec deux morceaux qui ne l'accompagnaient pas encore, quoiqu'ils lui appartinssent, et ces deux morceaux ne sont que dans leur ancien état. Tout le long temps qui s'est écoulé depuis qu'ils sont faits, a été rempli par des travaux d'une nature toute différente, et à l'heure qu'il est je ne me fie plus assez à ce que je pourrais faire dans ce premier genre. On m'a représenté vivement qu'il fallait du nouveau, quel qu'il fût, dans cette nouvelle édition. Et je ne répondrais pas que l'amour paternel ne m'ait sollicité aussi. Peut-être cependant verra-t-on un jour que j'aurais pu être encore plus faible.

Ces cinquante ans d'intervalle entre la composition et l'impression de la Poétique feront, à ce que j'espère, mon apoogie, sur ce qu'il n'y est parlé que de pièces anciennes.

ཆ་

DE L'HISTOIRE

DE

L'ACADÉMIE DES SCIENCES

DEPUIS 1666 JUSQU'EN 1699.

LORSQU'APRÈS une longue barbarie, les sciences et les arts commencèrent à renaître en Europe, l'éloquence, la poésie, la peinture, l'architecture, sortirent les premiers des ténèbres; et, dès le siècle passé, elles reparurent avec éclat. Mais les sciences d'une méditation plus profonde, telles que les mathématiques et la physique, ne revinrent au monde que plus tard, du moins avec quelque sorte de perfection; et l'agréable, qui a presque toujours l'avantage sur le solide, eut alors celui de le précéder. Ce n'est guère que de ce siècle-ci que l'on peut compter le renouvellement des mathématiques et de la physique. Descartes et d'autres grands hommes y ont travaillé avec tant de succès, que dans ce genre de littérature tout a changé de face. On a quitté une physique stérile, et qui depuis plusieurs siècles en était toujours au même point; le règne des mots et des termes est passé, on veut des choses; on établit des principes que l'on entend, on les suit ; et de là vient qu'on avance. L'autorité a cessé d'avoir plus de poids que la raison; ce qui était reçu sans contradiction, parce qu'il l'était depuis long-temps, est présentement examiné, et souvent rejeté ; et comme on s'est avisé de consulter sur les choses naturelles la nature elle-même, plutôt que les anciens, elle se laisse plus aisément découvrir; et assez souvent, pressée par les nouvelles expériences que l'on fait pour la sonder, elle accorde la connaissance de quelqu'un de ses secrets. D'un autre côté, les mathématiques n'ont pas fait un progrès moins considérable. Celles qui sont mêlées avec la physique, ont avancé avec elle, et les mathématiques pures sont aujourd'hui plus fécondes, plus universelles, plus sublimes, et, pour ainsi dire, plus intellectuelles qu'elles n'ont jamais été. A mesure que ces sciences ont acquis plus d'étendue, les méthodes sont devenues plus simples et plus faciles. Enfin, les mathématiques n'ont pas seulement donné, depuis quelque temps, une

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infinité de vérités de l'espèce qui leur appartient, elles ont encore produit assez généralement dans les esprits une justesse plus précieuse peut-être que toutes ces vérités.

En Italie, Galilée, mathématicien du Grand-Duc, observa le premier, au commencement de ce siècle, des taches sur le soleil. Il découvrit les satellites de Jupiter, les phases de Vénus, les petites étoiles qui composent la voie de lait; et, ce qui est encore plus considérable, l'instrument dont il s'était servi pour les découvrir. Torricelli, son disciple et son successeur, imagina la fameuse expérience du vide, qui a donné naissance à une infinité de phénomènes nouveaux. Cavallerius trouva l'ingénieuse et subtile géométrie des indivisibles, que l'on pousse maintenant si loin, et qui, à tout moment, embrasse l'infini. En France, le fameux Descartes a enseigné aux géomètres des routes qu'ils ne connaissaient point encore, et a donné aux physiciens uue infinité de vues, ou qui peuvent suffire, ou qui servent à en faire naître d'autres. En Angleterre, le baron Neper s'est rendu célèbre par l'invention des logarithmes; et Harvé par la découverte, ou du moins par les preuves incontestables de la circulation du sang. L'honneur qui est revenu à toute la nation anglaise de ce nouveau système de Harvé, semble avoir attaché les Anglais à l'anatomie. Plusieurs d'entre eux ont pris certaines parties du corps en particulier pour le sujet de leurs recherches, comme Warthon les glandes, Glisson le foie, Willis le cerveau et les nerfs, Lower le cœur et ses mouvemens. Dans ce tempslà le réservoir du chyle et le canal thorachique ont été découverts par Pecquet, français; et les vaisseaux lymphatiques par Thomas Bartholin, danois, sans parler ni des conduits salivaires que Stenon, aussi danois, nous fit connaître plus exactement sur les premières idées de Warthon, ni de tout ce que Marcel Malpigi, italien, qui est mort premier médecin du pape Innocent XII, a observé dans l'épiploon, dans le cœur et dans le cerveau ; découvertes anatomiques, qui, quelqu'importantes qu'elles soient, lui feront encore moins d'honneur que l'heureuse idée qu'il a eue le premier d'étendre l'anatomie jusqu'aux plantes. Enfin toutes les sciences et tous les arts, dont le progrès était presque entièrement arrêté depuis plusieurs siècles, ont repris dans celui-ci de nouvelles forces, et ont commencé, pour ainsi dire, une nouvelle carrière.

Ce goût de philosophie, assez universellement répandu, devait produire entre les savans, l'envie de se communiquer mutuellement leurs lumières. Il y a plus de cinquante ans que ceux qui étaient à Paris, se voyaient chez le père Mersenne, qui, étant ami des plus habiles gens de l'Europe, se faisait un plaisir

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d'être le lien de leur commerce. Gassendi, Descartes, Hobbes, Roberval, les deux Paschal père et fils, Blondel, et quelques autres s'assemblaient chez lui. Il leur proposait des problêmes de mathématiques, ou les priait de faire quelques expériences par rapport à de certaines vues, et jamais on n'avait cultivé avec plus de soin les sciences qui naissent de l'union de la géométrie et de la physique.

Il se fit des assemblées plus régulières chez de Monmor, maître des requêtes, et ensuite chez Thevenot. On y examinait les expériences et les découvertes nouvelles, l'usage ou les conséquences qu'on en pouvait tirer. Il y venait des étrangers, qui se trouvaient alors à Paris, et qui étaient dans le goût de ces sortes de sciences; et, pour ne rien dire de tous les autres, c'est là que l'illustre Stenon, danois, qui a été depuis évêque, donna dans sa jeunesse les premières preuves de sa capacité, et de sa dextérité en fait d'anatomie.

Peut-être ces assemblées de Paris ont-elles donné occasion à la naissance de plusieurs académies dans le reste de l'Europe. Il est toujours certain que les gentilshommes anglais, qui ont jeté les premiers fondemens de la société royale de Londres, avaient voyagé en France, et s'étaient trouvés chez de Monmor et Thevenot. Quand ils furent de retour en Angleterre, ils s'assemblerent à Oxfort, et continuèrent les exercices auxquels ils s'étaient accoutumés en France. La domination de Cromwel contribua même à cet établissement. Ces Anglais, attachés en secret au roi légitime, et résolus de ne point prendre part aux affaires présentes, furent bien aises d'avoir une occupation qui leur donnât lieu de se retirer de Londres, sans se rendre suspects au Protecteur. Leur société demeura en cet état jusqu'à ce que Charles II, étant remonté sur le trône, la fit venir à Londres, la confirma par l'autorité royale, et lui donna des priviléges, récompensant ainsi les sciences d'avoir servi de prétexte à la fidélité qu'on lui gardait.

Enfin le renouvellement de la vraie philosophie a rendu les académies de mathématique et de physique si nécessaires, qu'il s'en est établi aussi en Italie, quoique, d'ailleurs, ces sortes de sciences ne règnent guère en ce pays-là, soit à cause de la déli– catesse des Italiens, qui s'accommodent peu de ces épines, soit à cause du gouvernement ecclésiastique, qui rend ces études absolument inutiles pour la fortune, et quelquefois même dangereuses. La principale académie de cette espèce qui soit en Italie, est celle de Florence, fondée par le Grand-Duc. Elle a produit Galilée, Torricelli, Borelli, Redi, Bellini, noms à jamais illustres, et qui rendent témoignage des talens de la nation.

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