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1

Ne fait point appeler un aigle à la huitaine
Jamais contre un renard chicanant un poulet
Un renard de son sac n'alla charger Rolet; 1
On ne connaît chez eux ni placets ni requêtes, 2
Ni haut, ni bas conseil, ni chambre des enquêtes
Chacun l'un avec l'autre, en toute sûreté,

Vit sous les pures lois de la simple équité.
L'homme seul, l'homme seul, en sa fureur extrême,
Met un brutal honneur à s'égorger soi-même.
C'était peu que sa main, conduite par l'enfer,
Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer: 3
Il fallait que sa rage, à l'univers funeste,
Allât encor de lois embrouiller un Digeste; •
Cherchât pour l'obscurcir des gloses, des docteurs,
Accablât l'équité sous des monceaux d'auteurs,
Et pour comble de maux apportât dans la France
Des harangueurs du temps l'ennuyeuse éloquence.

Doucement! diras-tu, que sert de s'emporter?
L'homme à ses passions, on n'en saurait douter;
Il a comme la mer ses flots et ses caprices :
Mais ses moindres vertus balancent tous ses vices.

en France et qui n'y sont pas naturalisés. (BOILEAU, 1713.) Il a été supprimé en 1819. L'étymologie de ce mot est ce terme de basse latinité: albanus, albaneias, aubena (albinatus? ou advena).

1. Voir la satire Ir. On était dans l'usage de rassembler en un même sac toutes les pièces d'un procès.

2. Placet, prière qu'on présente aux rois, aux ministres, aux juges pour leur demander quelque grâce ou quelque audience. Ce mot vient du latin placeat, parce qu'on le commence par « plaise au roi, à M. le président, etc. » (Dictionnaire de Trévoux.) M. Littré donne à ce mot une autre étymologie : lat. placet, il plaît, qui constitue la formule par laquelle la pétition est accordée. Aussi le sens propre de placet est-il autorisation; c'est par abus qu'il a pris celui de pétition. «Ils ne peuvent être adjournez pardevant juges ecclésiastiques sans préa lable permission ou placet du prince ou du conseil provincial. » (Nouv. coust. gener., t. II, p. 340.)

3.

Ast homini ferrum lethale incude nefanda
Produxisse parum est....

(JUVENAL, satire xv, v. 165-166.)

4. Digeste, nom du recueil des décisions des jurisconsultes, composé par l'ordre de l'empereur Justinien, qui lui donna force de loi. Le Digeste, qu'on nomme aussi les Pandectes, est divisé en cinquante livres, L'étymologie est digesta, participe passif neutre pluriel, les choses mises en ordre (de digerere). Ce nom vient de ce que cet ouvrage est composé par ordre de matières. Boileau dit dans le Lutrin:

Du Digeste et du Code ouvre-nons le dédale,
Et montre-nous cet art connu de tes amis,
Qui, dans ses propres lois, embarrasse Thémis.

Un poète latin a dit aussi :

Strictæ jurgia legis.

(STAT., Sylv., liv. III, v. 87.)

N'est-ce pas l'homme enfin dont l'art audacieux
Dans le tour d'un compas a mesuré les cieux? 1
Dont la vaste science, embrassant toutes choses,
A fouillé la nature, en a percé les causes? 2
Les animaux ont-ils des universités?

Voit-on fleurir chez eux des quatre facultés? 3
Y voit-on des savants en droit, en médecine,
Endosser l'écarlate et se fourrer d'hermine? ↳
Non, sans doute; et jamais chez eux un médecin
N'empoisonna les bois de son art assassin.
Jamais docteur armé d'un argument frivole
Ne s'enroua chez eux sur les bancs d'une école.
Mais, sans chercher au fond si notre esprit déçu
Sait rien de ce qu'il sait, s'il a jamais rien su,
Toi-même réponds-moi : Dans le siècle où nous sommes
Est-ce au pied du savoir qu'on mesure les hommes?
Veux-tu voir tous les grands à ta porte courir?

Dit un père à son fils dont le poil va fleurir ;

5

Prends-moi le bon parti: laisse là tous les livres.

Cent francs au denier cinq combien font-ils?- Vingt livres."

1.

2.

Descripsit radio totum qui gentibus orbem...

(VIRGILE, églogue III, v. 41.)

Felix qui potuit rerum cognoscere causas!

(VIRGILE, Géorgiques, II, v. 490.)

3. L'Université est composée de quatre facultés, qui sont les Arts, la Théologie, le Droit et la Médecine. Les docteurs portent dans les jours de cérémonie des robes rouges fourrées d'hermine. (BOILEAU, 1713.)

4. Fourrure faite avec de la peau d'hermine; c'est le nom vulgaire de la martre blanche. Étymologie: provençal, ermini; espagnol, armiono ; italien, armellino, ermellino; du latin armenius, arménien, parce que cette sorte de fourrure venait d'Arménie. « Nos magistrats ont bien connu ce mystère (le pouvoir de l'imagination); leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s'emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. " (PASCAL, Pensées, édit. Havet, article III.)

5. Fleurir, au propre, pousser des fleurs, être en fleur, sé dit par extension de la barbe d'un jeune homme qui commence à pousser. Il y a là une métaphore

tirée du latin :

Tum mihi prima genas vestibat flore juventa.

(Enéide, livre VIII, v. 160.)

Quant à ce mot poil, il était fort usité au XVII° siècle pour désigner la barbe et ne déparait pas les endroits les plus nobles.

Entre les deux partis Calchas s'est avancé,
L'œil farouche, l'air sombre et le poil hérissé.

(RACINE, Iphigénie, acte V, scène vi.)

6. On désignait ainsi l'intérêt d'une somme d'un capital. Le denier cinq, dix, vingt, l'intérêt valant le cinquième, le dixième, le vingtième du capital, c'est-à

3

2

C'est bien dit. Va, tu sais tout ce qu'il faut savoir. 1
Que de biens, que d'honneurs sur toi s'en vont pleuvoir!
Exerce-toi, mon fils, dans ces hautes sciences;
Prends, au lieu d'un Platon, le Guidon des finances :
Sache quelle province enrichit les traitants;
Combien le sel au roi peut fournir tous les ans.
Endurcis-toi le cœur, sois arabe, corsaire,
Injuste, violent, sans foi, double, faussaire.
Ne va point sottement faire le généreux :
Engraisse-toi, mon fils, du suc des malheureux;
Et, trompant de Colbert la prudence importune,
Va par tes cruautés mériter la fortune. *
Aussitôt tu verras poètes, orateurs,

Rhéteurs, grammairiens, astronomes, docteurs,
Dégrader les héros pour te mettre en leurs places,
De tes titres pompeux enfler leurs dédicaces,

6

Te prouver à toi-même, en grec, hébreu, latin,
Que tu sais de leur art et le fort et le fin.

Quiconque est riche est tout sans sagesse il est sage;
Il a, sans rien savoir, la science en partage;

Il a l'esprit, le cœur, le mérite, le rang,

dire 20, 10, 5 pour 100. Ces locutions ne sont plus en usage, elles sont remplacées par celles-ci: 5 pour 100, etc.

1.

Romani pueri longis rationibus assem
Discunt in partes centum diducere. Dicat
Filius Albini: si de quincunce remota est
Uncia, quid superat ? Poteras dixisse.

- Triens.

Rem poteris servare tuam. Redit uncia, quid fit?

Semis, etc.

Heus!

(HORACE, Art poétique, v. 32-330.

2. Livre qui traite des finances. (BOILEAU, 1713.) Le Guidon général des finances (Anon.; par J. Hennequin). Paris, 1631, 2 vol. in-8. C'était un traité complet sur les revenus du roi et l'administration des finances.

3. Nom qu'on donne aux gens d'affaires qui, moyennant un Traité, se chargent du recouvrement des deniers publics ou impositions. (TRÉVOUX.)

4. Allusion délicate aux sages réformes introduites par Colbert pour rétablir l'ordre dans les finances, augmenter les revenus de l'Etat et alléger le sort des peuples sans qu'il en coûtât jamais rien à la splendeur de la monarchie. Sa maxime était qu'il fallait y regarder pour un repas de mille écus, et jeter les millions lorsqu'il s'agissait de la gloire du roi. C'est le seul ministre des finances qui ait conservé son emploi jusqu'à sa mort, arrivée en 1683. (AMAR.)

5. « Il y a une dureté de complexion; il y en a une autre de condition et d'état; l'on tire de celle-ci, comme de la première, de quoi s'endurcir sur la misère des autres, dirai-je même de quoi ne pas plaindre les malheurs de sa famille? Un bon financier ne pleure ni ses amis, ní sa femme, ni ses enfants. Je découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexorable, qui veut, aux dépens de tout ce qui se trouvera sur son chemin et à sa rencontre, et quoi qu'il puisse coûter aux autres, pouvoir à lui seul grossir sa fortune et regorger de biens. >> (LA BRUYÈRE, Des Biens de fortune.)

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6. Boileau, dans ce vers, a voulu désigner la dédicace de Cinna à Montoron, dit Brossette. Nous nous plaisons à croire qu'il se trompe: il eût été bien peu généreux de rappeler ce trait à Corneille. (BERRIAT-Saint-Prix.)

La vertu, la valeur, la dignité, le sang;

1

Il est aimé des grands, il est chéri des belles :
Jamais surintendant ne trouva de cruelles. 2

L'or même à la laideur donne un teint de beauté :
Mais tout devient affreux avec la pauvreté.

C'est ainsi qu'à son fils un usurier habile
Trace vers la richesse une route facile :
Et souvent tel y vient, qui sait, pour tout secret
Cinq et quatre font neuf, ôtez deux, reste sept.

5

Après cela, docteur, va pâlir sur la Bible,
Va marquer les écueils de cette mer terrible;
Perce la sainte horreur de ce livre divin;
Confonds dans un ouvrage et Luther et Calvin,
Débrouille des vieux temps les querelles célèbres;
Éclaircis des rabbins les savantes ténèbres :
Afin qu'en ta vieillesse un livre en maroquin
Aille offrir ton travail à quelque heureux faquin,
Qui, pour digne loyer7 de la Bible éclaircie,

1.

Scilicet uxorem cum dote, fidemque, et amicos,
Et genus et formam regina pecunia donat;
Ac bene nummatum decorat Suadela Venusque...
(HORACE, livre I, épître vi, v. 36-38.)
Omnis enim res,

Virtus, fama, decus, divina humanaque pulchris
Divitiis parent; quas qui construxerit, ille
Clarus erit, fortis, justus, sapiens etiam, et rex,
Et quidquid volet.

2. Allusion à Fouquet.

(HORACE, livre II, satire I, v. 94-98.)

3. Suivant Brossette, ce vers avant l'impression était ainsi :

L'or même à Pellisson donne...

Pellisson était très laid. Boileau supprima son nom, ne voulant pas lui reprocher un défaut corporel dont il n'était pas coupable. (BROSSETTE.)

la Mélite de Corneille, acte I, scène 1:

L'argent dans le ménage a certaine splendeur
Qui donne un teint d'éclat à la même laideur;

et dans Molière (Sganarelle, scène 1):

Que l'or donne aux plus laids certain charme pour plaire.

On lit dans

4. Boileau avait d'abord écrit sont; il adopta la correction, dit Berriat-SaintPrix, faite dans des éditions étrangères.

--

que! un poète assurément ne pouvait pas mieux faire. (LE BRUN.)

5.

En un vers deux règles d'arithméti

Nocturnis... impallescere chartis.

(PERSE, satire v, v. 52.)

Et de jour et de nuit

Pâlis dessus un livre...

(REGNIER, satire Iv, v. 7-8.)

6. Faquin, de l'italien facchino, portefaix, par extension un homme de néant, mélange de bassesse et de ridicule.

7. Dans le style élevé et poétique, loyer est mis pour récompense :

Mais serait-ce raison qu'une même folie

N'eut pas même loyer?

(MALHERBE, t. II, p. 12.)

Te paye en l'acceptant d'un « Je vous remercie ».
Ou, si ton cœur aspire à des honneurs plus grands,
Quitte là le bonnet, la Sorbonne, et les bancs;
Et, prenant désormais un emploi salutaire,

1

Mets-toi chez un banquier, ou bien chez un notaire :
Laisse là saint Thomas s'accorder avec Scot;
Et conclus avec moi qu'un docteur n'est qu'un sot.
Un docteur! diras-tu. Parlez de vous, poète;
C'est pousser un peu loin votre muse indiscrète.
Mais, sans perdre en discours le temps hors de saison,
L'homme, venez au fait, n'a-t-il pas la raison?
N'est-ce pas son flambeau, son pilote fidèle?

2

Oui. Mais de quoi lui sert que sa voix le rappelle,
Si, sur la foi des vents tout prêt à s'embarquer,
Il ne voit point d'écueil qu'il ne l'aille choquer? 3
Et que sert à Cotin la raison qui lui crie:
N'écris plus, guéris-toi d'une vaine furie,

Si tous ces vains conseils, loin de la réprimer,
Ne font qu'accroître en lui la fureur de rimer?

Tous les jours de ses vers, qu'à grand bruit il récite,

Les lois.....

Confondent le loyer avec le châtiment.

(REGNIER, satire III.)

Pouvoir dire: Ce bras a servi Venceslas.
N'est-ce pas un loyer digne de cent combats?

(ROTROU, Venceslas, acte III, scène VI.)
L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire;
Il courbait sous les fruits, cependant pour salaire
Un rustre l'abattait, c'était là son loyer.

(LA FONTAINE, Fables, livre X, fable 11.)

Très peu de gré, mille traits de satire
Sont le loyer de quiconque ose écrire.

(VOLTAIRE, épître LIII.)

1. Saint Thomas d'Aquin, surnommé le Docteur angélique, né en 1227, mort le 7 mars 1274. Jean Duns Scot, né à Duns, en Ecosse, mort à Cologne en 1308, âgé de trente à trente-cinq ans; on l'appelait le Docteur subtil. Il avait embrassé sur la grâce et la prédestination des doctrines opposées à celles de saint Thomas d'Aquin, et qui divisèrent longtemps l'école.

2. Le faux de cette pensée est sensible, dit Condillac, car on est encore à terre quand on est prêt à s'embarquer, et par conséquent on ne va pas heurter contre les écueils. (De l'Art d'écrire, p. 148.)- La pensée du poète n'en est pas moins juste et bien exprimée; suivant lui, la raison détourne en vain l'homme de s'embarquer; plein de confiance dans les vents, il part et va se briser contre les écueils qu'elle lui signale. (DE SAINT-SURIN.)

3. Pradon blâmait choquer employé avec un régime direct. C'était méconnaître l'usage du temps :

Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu.

(MOLIÈRE, Sganarelle, acte I.)

L'âme doit se roidir, plus elle est menacée.
Et contre la fortune aller tête baissée
La choquer hardiment.

(Médée, acte I, scène v.)

4. Il avait écrit contre moi et contre Molière; ce qui donna occasion à Molière de faire les Femmes savantes, et d'y tourner Cotin en ridicule. (BOILEAU, 1713.)

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