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Est de courir le jour de quartier en quartier
Et d'aller, à l'abri d'une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la science, et blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'esprit,
Que c'est des gens de cour le plus beau privilège.
Et renvoie un savant dans le fond d'un collège.

1

Un bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité, Croit duper jusqu'à Dieu par son zèle affecté, Couvrant tous ses défauts d'une sainte apparence, Damne tous les humains de sa pleine puissance. 3

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Un libertin d'ailleurs, qui, sans âme et sans foi,
Se fait de son plaisir une suprême loi,

Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour étonner des enfants et des femmes;
Que c'est s'embarrasser de soucis superflus,

Et qu'enfin tout dévôt a le cerveau perclus.
En un mot, qui voudrait épuiser ces matières,
Peignant de tant d'esprits les diverses manières,
Il compterait plutôt combien en un printemps
Guenaud et l'antimoine ont fait périr de gens. 8
Mais sans errer en vain dans ces vagues propos
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots,
N'en déplaise à ces fous, nommés sages de Grèce,
En ce monde il n'est point de parfaite sagesse :

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2. Bigot, dévot outré et superstitieux.

3. Molière a fait passer ce trait dans son Don Juan (act. V, sc. 11): « Je saurai déchaîner contre mes ennemis des zélés indiscrets, qui sans connaissance de cause erieront contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de Leur autorité privée. »

4. Libertin s'est dit d'abord de ceux qui affectaient sur les choses de la religion une indépendance entière d'esprit. Le libertinage désignait cette disposition. Les mœurs devaient en recevoir une atteinte; de là le sens étendu de ces termes pour désigner les désordres de la conduite.

5. Ce remède nouveau était accusé de faire beaucoup de victimes. Guy-Patin en tenait une liste et l'appelait le martyrologe de l'Antimoine.

Promptins expediam....

Quot Themison ægros autemno occiderit uno.

63

JUVENAL, sat. x, v. 920.

1

Tous les hommes sont fous 1; et malgré tous leurs soins
Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins. 2

Comme on voit qu'en un bois que cent routes séparent' Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent,

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L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement,
La même erreur les fait errer diversement,
Chacun suit dans le monde une route incertaine,
Selon que son erreur le joue et le promène;
Et tel y fait l'habile et nous traite de fous,
Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.
Mais quoi que sur ce point la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et, se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connaître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur,
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent, 6
Rencontrant la disette au sein de l'abondance, 7
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien

1. Desmarets de Saint-Solin avait essayé de mettre cette pensée en action dans sa comédie des Visionnaires. Molière y a pris l'idée de sa Bélise des femmes savantes. 2. Horace, 3 satire livre II :

O major, tandem parcas, insane, minori!

3. Séparent n'est pas le mot propre d'Horace (livre II, satire 11, v. 48):

Velut silvis, ubi passim

Palantes error certo de tramite pellit.

Ille sinistrorsum hic dextrorsum abit, unus utrique
Error, sed variis illudit partibus,

4. L'un à droit expression conforme à celle du latin, dextrorsum; nous disons aujourd'hui à droite en sous-entendant le mot main, à main droite.

5. Ces rimes tortu et Vertu rappellent ces deux vers de Régnier (satire x). Toutefois, redressant leur entrepas tortu,

Ils guidaient la jeunesse au chemin de vertn.

6. Boileau avait imité en treize vers le passage suivant d'Horace (livre II, satire, v. 109):

Qui nummos aurumque recondit, nescius ut
Compositis, metuensque velut contingere sacium.

7. Vers iambique cité par Sénèque (épître cv) :

Desunt inopiæ multa, avaritiæ omnia.,

GERUZEZ. Edition Hachette.

A grossir un trésor qui ne lui sert de rien. 1.
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage.

<< Sans mentir, l'avarice est une étrange rage
Dira cet autre fou non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venants,
Et dont l'âme inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé? 3

2
»,

<< L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé, ➤ Répondra chez Frédoc ce marquis sage et prude,

4

Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.

1. Horace (livre 1, satire 1, v. 68.

Tantalus a labris sitiens fugientia captat
Flumina; quid rides? Mutato nomine de te
Fabula narratur. Congestis undique saccis
Indormis inhians, et tanquam parcere sacris,,
Cogeris, aut pictis tanquain gaudere tabellis
Nescis quo valeat nummus, quem prabeat usum,

Boileau avait ainsi traduit ce passage.

Dites-moi, pauvre esprit, áme basse et vénale,
Ne vous souvient-il pas du tourment de Tantale
Qui, dans le triste elat où le ciel l'a réduit,
Meurt de soif au milieu du fleuve qui le fuit?
Vous riez? Savez-vous que c'est votre peinture
Et que c'est vous par là que la fable figure?
Chargé d'or et d'argeut, loin de vous en servir,
Vous brûlez d'une soif qu'on ne peut assouvir.
Vous nagez dans les biens, mais votre âme altérée
Se fait de la richesse une chose sacrée ;

Et tous ses vains trésors que vous allez cacher
Sont pour vous un dépôt que vous n'osez toucher.
Quoi donc de votre argent ignorez-vous l'usage?

Desmarets critiqua ce passage dans la Défense du Poème héroique. Despréaux le supprima. Il fit bien surtout de ne pas accepter ces deux vers que Desmarets lui proposait :

Tantale dans un fleuve a soif et ne peut boire.
Tu ris? change le nom. La fable est ton histoire.

2. Horace (livre II, satire III, v. 82):

Danda est Hellebori,multo pars maxima avaris.

On doit administrer aux avares la dose d'éllabore de beaucoup la plus forte. » 3. Horace (livre II, satire 1, v. 102):

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Lequel des deux est le plus fou? »

4. Frédoc tenait une académie de jeu très fréquentée en ce temps-là. 11 logeaità la place du Palais-Royal. BOILEAU.

5. Ici Despréaux se souvient de Régnier (satire xiv, v. 111):

Gallet a sa raison et qui croira son dire

Le hasard pour le moins lu promet un empire;
Toutefois, au contraire, étant léger net,
N'ayant que l'espérance et trois dès au cornet.
Comme sur un bon fonds de rente et de recelles,

Dessus sept et quatorze il assigne ses déttes.

Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,

Et les yeux vers le ciel de fureur élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses serments tous les saints de l'église.
Qu'on le lie ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux.

Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice.
Sa folie, aussi bien, lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison :
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.
Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie.'
Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,
Soient des moindres grimauds chez Ménage sifflés,'
Lui-même il s'applaudit, et, d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que ferait-il, hélas! si quelque audacieux
Allait pour son malheur lui dessiller les yeux,

Lui faisant voir ses vers et sans force et sans grâces,

Montés sur deux grands mots, comme sur deux échasses, Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,

Et ses froids ornements à la ligne plantés? 6

Qu'il maudirait le jour où son âme insensée

1. Serments est ici pour jurements.

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2. Chapelain n'était pas d'une vanité si ridicule. Il avait aussi quelque mérite; il s'était acquis l'estime des hommes de son temps par son savoir et la sagesse de sa critique. La reine de Suède qui avait, suivant Chevreau, des louanges pour les Homere et les Virgile, en réservait pour les Chapelain et les Ménage. Chapelain avait de l'érudition, il avait de plus l'esprit si agréable qu'il ne fournissait pas seulement à la conversation mais qu'il la remplissait seul. » Il était loin de se flatter et dans la préface de son poème il disait que son ouvrage n'avait rien à opposer dans la peinture parlante, au Moïse de Saint-Amant; dans la hardiesse et la vivacité au Saint-Louis du père Le Moine; dans l'abondance et dans la pompe à l'Alaric de M. de Scudéry; enfin dans la diversité et dans les agréments au Clovis de Desmarets. >>

3. On tenait toutes les semaines chez Ménage une assemblée où allaient beaucoup de petits esprits. Boileau. — Ménage réunissait chez lui, le mercredi, les gens de lettres. Tous ne wérifaient pas l'insulte de Boileau. Ménage dit de lui-même : « J'ai eu de grands avantages d'avoir eu la connaissance des plus savants hommes de l'Europe, et d'avoir fréquenté ce qu'il y avait de plus poli à Paris et à la Cour.» 6. On trouve dans le poème de Chapelain plusieurs vers composés de deux grands mots dont chacun remplit la moitié du vers. Voici comme Boileau en disposait un pour montrer que le mot principal était monté en quelque sorte sur deux échasses

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6. Ce sont les comparaisons fréquentes que Chapelain a employées, qui ne manquent jamais de venir régulièrement après un certain nombre de vers et qui sont toujours enfermées en quatre ou huit vers.

Perdit l'heureuse erreur qui charmait sa pensée !
Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé,
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie. 1
Enfin un médecin fort expert en son art

Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard ;
Mais voulant de ses soins exiger le salaire :
<«< Moi, vous payer? lui dit le bigot en colère,
Vous dont l'art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du paradis ! »

J'approuve son courroux ; car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la raison est le pire,
C'est elle qui, farouche au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos désirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles ;
C'est un pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles,

2

Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli 3, perd son temps à prêcher.

En vain certains rêveurs nous l'habillent en reine.
Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine,
Et s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité;

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre ;
Je les estime fort: mais je trouve en effet

Que le plus fou souvent est le plus satisfait.

1. Boileau invente cette fable à l'imitation d'Horace (livre II, épître 11, v. 123):

Fuit haud ignobilis Argis,

Qui se credebat miros. audire tragædos, etc.

2. Malherbe :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.

3. Illustre prédicateur, alors curé de Saint-Nicclas-des-Champs, à Paris, depuis évêque d'Agen. (Note de Boileau.)

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