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il lui donne ensuite ces sentiments:

Qu'il a, pour enseigner, une belle manière,
Qu'en son globe il a vu la matière première;
Qu'Épicure est ivrongne, Hippocrate un bourreau;
Que Barthole et Jason ignorent le barreau;

Que Virgile est passable, encor qu'en quelques pages
Il méritât au Louvre être chifflé des pages; 2
Que Pline est inégal, Térence un peu joli;
Mais surtout il estime un langage poli;

Ainsi sur chaque auteur il trouve de quoi mordre :
L'un n'a point de raison, et l'autre n'a point d'ordre;
L'autre avorte avant temps des œuvres qu'il conçoit;
Or, il vous prend Macrobe et lui donne le fouet; etc.

Je laisse à M. P... le soin de faire l'application de cette peinture, et de juger qui Régnier a décrit par ces vers: ou un homme de l'Université, qui a un sincère respect pour tous les grands écrivains de l'antiquité, et qui en inspire, autant qu'il peut, l'estime à la jeunesse qu'il instruit ; ou un auteur présomptueux qui traite tous les anciens d'ignorants, de grossiers, de visionnaires, d'insensés, et qui, étant déjà avancé en âge, emploie le reste de ses jours et s'occupe uniquement à contredire le sentiment de tous les hommes.

1. Régnier, sat. x, vers 223-234.

2. Chifler, v. n., voyez sifler. (RICHELET.)

RÉFLEXION VIII

Il n'en est point ainsi de Pindare et de Sophocle; car au milieu de leur plus grande violence, durant qu'ils tonnent et foudroient, pour ainsi dire, souvent leur ardeur vient à s'éteindre, et ils tombent malheureusement. (Paroles de Longin, ch. xxvII.)

Longin donne ici assez à entendre qu'il avait trouvé des choses à redire dans Pindare. Et dans quel auteur n'en trouve-t-on point? Mais en même temps il déclare que ces fautes qu'il a remarquées ne peuvent point être appelées proprement fautes, et que ce ne sont que de petites négligences où Pindare est tombé à cause de cet esprit divin dont il est entraîné, et qu'il n'était pas en sa puissance de régler comme il voulait. C'est ainsi que le plus grand et le plus sévère de tous les critiques grecs parle de Pindare, même en le censurant.

Ce n'est pas là le langage de M. P..., homme qui sûrement ne sait point le grec. Selon lui, Pindare non seulement est plein de véritables fautes, mais c'est un auteur qui n'a aucune beauté; un diseur de galimatias impénétrable, que jamais personne n'a pu comprendre, et dont Horace s'est moqué quand il a dit que c'était un poète inimitable. En un mot, c'est un écrivain sans mérite, qui n'est estimé que d'un certain nombre de savants, qui le lisent sans le concevoir, et qui ne s'attachent qu'à recueillir quelques misérables sentences dont il a semé ses ouvrages. Voilà ce qu'il juge à propos d'avancer sans preuve dans le dernier de ses Dialogues. Il est vrai que, dans un autre de ses Dialogues, il vient à la preuve devant madame la présidente Morinet, et prétend montrer que le commencement de la première ode de ce grand poète ne s'entend point. C'est ce qu'il prouve admirablement par la traduction qu'il en a faite; car il faut avouer que si Pindare s'était énoncé comme lui, La Serre, ni Richesource, ne l'emporteraient pas sur Pindare pour le galimatias et pour la bas

sesse.

On sera donc assez surpris ici de voir que cette bassesse et ce galimatias appartiennent entièrement à M. P..., qui,

en traduisant Pindare, n'a entendu ni le grec, ni le latin, ni le français. C'est ce qu'il est aisé de prouver. Mais pour cela il faut savoir que Pindare vivait peu de temps après Pythagore, Thalès et Anaxagore, fameux philosophes naturalistes, et qui avaient enseigné la physique avec un fort grand succès. L'opinion de Thalès, qui mettait l'eau pour le principe des choses, était surtout célèbre. Empédocle, Sicilien qui vivait du temps de Pindare même, et qui avait été disciple d'Anaxagore, avait encore poussé la chose plus loin qu'eux; et non seulement avait pénétré fort avant dans la connaissance de la nature, mais il avait fait ce que Lucrèce a fait depuis, à son imitation, je veux dire qu'il avait mis toute la physique en vers. On a perdu son poème; on sait pourtant que ce poème commençait par l'éloge des quatre éléments, et vraisemblablement il n'y avait pas oublié la formation de l'or et des autres métaux. Cet ouvrage s'était rendu si fameux dans la Grèce, qu'il y avait fait regarder son auteur comme une espèce de divinité.

Pindare, venant donc à composer sa première ode olympique à la louange d'Hiéron, roi de Sicile, qui avait remporté le prix de la course des chevaux, débute par la chose du monde la plus simple et la plus naturelle, qui est que, s'il voulait chanter les merveilles de la nature, il chanterait, à l'imitation d'Empédocle, Sicilien, l'eau et l'or, comme les deux plus excellentes choses du monde; mais que, s'étant consacré à chanter les actions des hommes, il va chanter le combat olympique, puisque c'est en effet ce que les hommes font de plus grand; et que de dire qu'il y ait quelque autre combat aussi excellent que le combat olympique, c'est prétendre qu'il y a dans le ciel quelque autre astre aussi lumineux que le soleil. Voilà la pensée de Pindare mise dans son ordre naturel, et telle qu'un rhéteur la pourrait dire dans une exacte prose. Voici comme Pindare l'énonce en poète : « Il n'y a rien de si excellent que l'eau ; il n'y a rien de plus éclatant que l'or, et il se distingue entre toutes les autres superbes richesses comme un feu qui brille dans la nuit. Mais, ô mon esprit ! puisque c'est des combats que tu veux chanter, ne va point te figurer ni que dans les vastes déserts du ciel, quand il fait jour, 2 on puisse

1

1. La particule i veut aussi bien dire en cet endroit puisque et comme, que si; et c'est ce que Benoît a fort bien montré dans l'ode III, où ces mots aflotov, etc., sont répétés. (BOILEAU, 1713.)

2. Le traducteur latin n'a pas bien rendu cet endroit, unxit: oxómet űλho getvòv. orgov, ne contempleris aliud visibile astrum, qui doivent s'expliquer dans mon

voir quelque autre astre aussi lumineux que le soleil, ni que sur la terre nous puissions dire qu'il y ait quelque autre combat aussi excellent que le combat olympique '. »

Pindare est presque ici traduit mot pour mot, et je ne lui ai prêté que le mot de SUR LA TERRE, que le sens amène si naturellement, qu'en vérité il n'y a qu'un homme qui ne sait ce que c'est que traduire qui puisse me chicaner làdessus. Je ne prétends donc pas, dans une traduction si littérale, avoir fait sentir toute la force de l'original, dont la beauté consiste principalement dans le nombre, l'arrangement et la magnificence des paroles. Cependant quelle majesté et quelle noblesse un homme de bon sens n'y peut-il pas remarquer, même dans la sécheresse de ma traduction! Que de grandes images présentées d'abord, l'eau, l'or, le feu, le soleil! Que de sublimes figures ensemble, la métaphore, l'apostrophe, la métonymie! Quel tour et quelle agréable circonduction de paroles! Cette expression: « Les vastes déserts du ciel quand il fait jour, » est peut-être une des plus grandes choses qui aient jamais été dites en poésie. En effet, qui n'a point remarqué de quel nombre infini d'étoiles le ciel paraît peuplé durant la nuit, et quelle vaste solitude c'est au contraire dès que le soleil vient à se montrer? De sorte que, par le seul début de cette ode, on commence à concevoir tout ce qu'Horace a voulu faire entendre quand il a dit que << Pindare est comme un grand fleuve qui marche à flots bouillonnants, et que de sa bouche, comme d'une source profonde, il sort une immensité de richesses et de belles choses. >>

2

Fervet, immensusque ruit profundo
Pindarus ore. 3

sens: Ne puta quod videatur aliud astrum; ne te figure pas qu'on puisse voir un autre astre, etc. (BOILEAU, 1713.)

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ἄλλο θαλπνότερον ἐν ἡμέρᾳ φαεινὸν ἄστρον ἐρήμας δι' αιθέρος.

μηδ' Ολυμπίας ἀγῶνα φέρτερον αὐδάσομεν...

M. Poyard le traduit ainsi : « L'eau est le premier des éléments. L'or, comme une vive flamme, brille dans les ténèbres; c'est le roi de l'éclatante richesse. Et toi, ô mon âme, si tu veux célébrer les luttes de l'arène, comme il n'y pas dans les plaines de l'air un astre plus ardent que ce soleil qui nous éclaire, ainsi ne cherche pas de plus grand sujet que les luttes d'Olympie.»

2. « Je ne sais ce que c'est qu'une circonduction de paroles. Ce mot n'est point dans le Dictionnaire de l'Académie française, et je ne crois pas qu'il soit dans un autre dictionnaire. Circumductio, en latin, signifie tromperie. » (PERRAULT, Rép., p. 22.) 3. Horace, liv. IV, ode 1, vers 7 et 8. (B.-S.-P.)

Examinons maintenant la traduction de M. P... La voici : << L'eau est très bonne à la vérité; et l'or, qui brille comme le feu durant la nuit, éclate merveilleusement parmi les richesses qui rendent l'homme superbe. Mais, mon esprit, si tu désires chanter des combats, ne contemples point d'autre astre plus lumineux que le soleil pendant le jour, dans le vague de l'air : car nous ne saurions chanter des combats plus illustres que les combats olympiques.» Peut-on jamais voir un plus plat galimatias? « L'eau est très bonne à la vérité» est une manière de parler familière et comique qui ne répond point à la majesté de Pindare. Le mot d'äpitov ne veut pas simplement dire en grec BON, mais merveilleux, divin, excelLENT ENTRE LES CHOSES EXCELLENTES. On dira fort bien en grec qu'Alexandre et Jules César étaient aptora: traduira-t-on qu'ils étaient de BONNES GENS? D'ailleurs, le mot de BONNE EAU en français tombe dans le bas, à cause que cette façon de parler s'emploie dans des usages bas et populaires, a L'ENSEIGNE DE LA BONNE EAU, A LA BONNE EAU-DE-VIE. Le mot d'A LA VÉRITÉ en cet endroit est encore plus familier et plus ridicule, et n'est point dans le grec, où le pèv et le dà sont comme des espèces d'enclitiques qui ne servent qu'à soutenir la versification. « Et l'or qui brille. » Il n'y a point d'ET dans le grec, et qui n'y est point non plus. « Éclate merveilleusement parmi les richesses. » MERVEILLEUSEMENT est burlesque en cet endroit. Il n'est point dans le grec, et se sent de l'ironie que M. P... a dans l'esprit, et qu'il tâche de prêter même aux paroles de Pindare en le traduisant. « Qui rendent l'homme superbe. » Cela n'est point dans Pindare, qui donne l'épithète de superbe aux richesses mêmes, ce qui est une figure très belle; au lieu que dans la traduction, n'y ayant point de figure, il n'y a plus par conséquent de poésie. « Mais, mon esprit, » etc. C'est ici où M. P... achève de perdre la tramontane; et, comme il n'a entendu aucun mot de cet endroit où j'ai fait voir un sens si noble, si majestueux et si clair, on me dispensera d'en faire l'analyse.

Je mé contenterai de lui demander dans quel lexicon, dans quel dictionnaire ancien ou moderne il a jamais trouvé que nde en grec, ou NE en latin, voulût dire CAR. Cependant c'est Ce CAR qui fait ici toute la confusion du raisonnement qu'il veut attribuer à Pindare. Ne sait-il pas qu'en toute langue, mettez un CAR mal à propos, il n'y a point de raisonnement qui ne devienne absurde ? Que je dise, par exemple : « Il n'y a rien de si clair que le commencement de la première ode de

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