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de dúce qui signifie incontestablement le couchant. Il est vrai qu'il y a un vieux commentateur 1 qui a mis dans une petite note qu'Homère, par ces mots, a voulu aussi marquer <«< qu'il y avait dans cette île un antre où il faisait voir les tours ou conversions du soleil. » On ne sait pas trop bien ce qu'a voulu dire par là ce commentateur, aussi obscur qu'Homère est clair. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que ni lui ni pas un autre n'ont jamais prétendu qu'Homère ait voulu dire que l'île de Syros était située sous le tropique; et que l'on n'a jamais attaqué ni défendu ce grand poète sur cette erreur, parce qu'on ne la lui a jamais imputée. Le seul M. P... qui, comme je l'ai montré par tant de preuves, ne sait point le grec, et qui sait si peu la géographie, que dans un de ses ouvrages il a mis le fleuve de Méandre, 2 et par conséquent la Phrygie et Troie dans la Grèce; le seul M. P..., dis-je, vient, sur l'idée chimérique qu'il s'est mise dans l'esprit, et peut-être sur quelque misérable note d'un pédant, accuser un poète regardé par tous les anciens géographes comme le père de la géographie, d'avoir mis l'île de Syros et la Méditerranée sous le tropique; faute qu'un petit écolier n'aurait pas faite et non seulement il l'en accuse, mais il suppose que c'est une chose reconnue de tout le monde, et que les interprètes ont tâché en vain de sauver, en expliquant, dit-il, ce passage du cadran que Phérécydes, qui vivait trois cents ans depuis Homère, avait fait dans l'île de Syros, quoique Eustathius, le seul commentateur qui a bien entendu Homère, ne dise rien de cette interprétation

allusion au cadran solaire de Phérécyde de Syros; Voss (Connaiss. du mondancien, p. 294) entend par Ortygie la petite île d'Ortygie située devant Syracuse et dit que c'est également là qu'il faut chercher la Zupi d'Homère. » On voit qu' la question n'était pas aussi simple que le disait Boileau. Huet a égalemen

blåmé Perrault de sa critique, voici un passage de sa lettre à ce sujet : « D'ao leurs les termes d'Homère, öt porai ý¿híoto, où sont les conversions du soleil,!» signifient nullement ce que vous prétendez, savoir qu'elle est située sous le tru pique. Si Homère avait eu cette pensée, il aurait dit où est la conversion du soɔ leil, et non pas où sont les conversions du soleil. A moins que vous ne disiequ'Homère a entendu qu'elle est sous les deux tropiques ce que je crois quz vous ne direz pas... Jugez par tout ceci, monsieur, de quelle sorte votre critique sera traitée par les critiques. Les erreurs où l'on tombe par la démangeaison də reprendre sont bien moins pardonnables que celles qui viennent d'inadvertance.e 1. Didymus. (BROSSETTE.)

Ενθα φησὶς εἶναι τὸ ἡλίου σπήλαιον, δι ̓ οὗ σημειοῦνται τὰς ἡλίου τροπάς.

2. Fleuve dans la Phrygie, (BOILEAU, 1713.).

Perrault avait dit dans son poème à propos de la circulation du sang, dont les lois étaient inconnues aux anciens

Ils ignoraient jusqu'aux routes certaines

Du Méandre vivant qui coule dans nos veines.

C'était assez heureux; mais il y avait une note qui gâtait tout: Méandre, fleuve de Grèce,

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qui ne peut avoir été donnée à Homère que par quelque commentateur de Diogène Laërce, 1 lequel commentateur je ne connais point. Voilà les belles preuves par où notre censeur prétend faire voir qu'Homère ne savait point les arts; et qui ne font voir autre chose sinon que M. P... me sait point de grec, qu'il entend médiocrement le latin, et ne connaît lui-même en aucune sorte les arts.

Il a fait les autres bévues pour n'avoir pas entendu le grec; mais il est tombé dans la cinquième erreur pour n'avoir pas entendu le latin. La voici : « Ulysse, dans l'Odyssée, est, dit-il, reconnu par son chien qui ne l'avait point vu depuis vingt ans. Cependant Pline assure que les chiens ne passent jamais quinze ans. » M. P... sur cela fait le procès à Homère, comme ayant infailliblement tort d'avoir fait vivre un chien vingt ans, Pline assurant que les chiens n'en peuvent vivre que quinze. Il me permettra de lui dire que c'est condamner un peu légèrement Homère, puisque non seulement Aristote, ainsi qu'il l'avoue lui-même, mais tous les naturalistes modernes, comme Jonston, * Aldrovande, 3 etc., assurent qu'il y a des chiens qui vivent vingt années ; que même je pourrais lui citer des exemples, dans notre siècle, de chiens qui en ont vécu jusqu'à vingt-deux, et qu'enfin Pline, quoique écrivain admirable, a été convaincu, comme chacun sait, de s'être trompé plus d'une fois sur les choses de la nature, au lieu qu'Homère, avant les Dialogues de M. P..., n'a jamais été même accusé sur ce point d'aucune erreur. Mais quoi! M. P... est résolu de ne croire aujourd'hui que Pline, pour lequel, dit-il, il est prêt à parier. Il faut donc le satisfaire, et lui apporter l'autorité de Pline lui-même,

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1. Voyez Diogène Laerce de l'édition de M. Ménage, p. 76 du texte, p. 68 des observations. (BOILEAU, 1713.)

2. Livre XVII, vers 300 et suiv. (BOILEAU, 1713.)

3. Le chevalier. Voilà un grand scandale, monsieur le président, de voir deux anciens se contredire de la sorte. On sait bien qu'il faut qu'Homère ait raison, comme le plus ancien; cependant je ne laisserais pas de parier pour Pline; et je ne trouve point d'inconvénient qu'Homère, qui est mauvais astronome et mauvais géographe, ne soit pas fort bon naturaliste. Le président. Tout beau, monsieur le chevalier. Aristote, dont le témoignage vaut bien celui de Pline, après avoir dit que les chiens vivent ordinairement quatorze ans, ajoute qu'il y en a qui vivent jusqu'a vingt, comme celui d'Ulysse. Le chevalier. Qui ne voit que cette exception n'est ajoutée que pour ne pas contredire Homère? »

4. Naturaliste et médecin, né a Sambter près de Lissa (Posnanie), 1603-1675; il a donné à Hambourg, en 1650, deux volumes in-folio en latin sur les Poissons, les Oiseaux, les Insectes, les Quadrupèdes, les Arbres.

5. Il faut lire Aldrovande, célèbre naturaliste de Bologne, 1527-1505. On a de lui une Histoire naturelle en treize volumes in-folio.

6. Voir une lettre à Brossette du 29 de décembre 1701.

« Perrault se trompe, avait dit Louis XIV mis au courant de cette querelle, j'ai eu un chien qui a vécu vingt-trois ans. »>

qu'il n'a point lu ou qu'il n'a point entendu, et qui dit positivement la même chose qu'Aristote et tous les autres naturalistes; c'est à savoir, que les chiens ne vivent ordinairement que quinze ans, mais qu'il y en a quelquefois qui vont jusqu'à vingt. Voici ses termes : « Cette espèce de chiens, qu'on appelle chiens de Laconie, ne vivent que dix ans. Toutes les autres espèces de chiens vivent ordinairement quinze ans, et vont quelquefois jusqu'à vingt... Canes laconici vivunt annis denis... cætera genera quindecim annos aliquando viginti. » Qui pourrait croire que notre censeur, voulant, sur l'autorité de Pline, accuser d'erreur un aussi grand personnage qu'Homère, ne se donne pas la peine de lire le passage de Pline, ou de se le faire expliquer; et qu'ensuite de tout ce grand nombre de bévues entassées les unes sur les autres dans un si petit nombre de pages, il ait la hardiesse de conclure, comme il l'a fait, qu'il « ne trouve point d'inconvénient (ce sont ses termes) qu'Homère, qui est mauvais astronome et mauvais géographe, ne soit pas bon naturaliste? » Y a-t-il un homme sensé qui, lisant ces absurdités, dites avec tant de hauteur, dans les dialogues de M. P..., puisse s'empêcher de jeter de colère le livre, et de dire comme Démiphon dans Térence : « Ipsum gestio dari mi in conspectum ? 3 »

Je ferais un gros volume, si je voulais lui montrer toutes les autres bévues qui sont dans les sept ou huit pages que je viens d'examiner, y en ayant presque encore un aussi grand nombre que je passe, et que peut-être je lui ferai voir dans la première édition de mon livre, si je vois que les hommes daignent jeter les yeux sur ces éruditions grecques, et lire des remarques faites sur un livre que personne ne lit.

On ne

1. Pline, Hist. nat., 1. X (cap. LXIII, sect. LXXIII). (BOILEAU, 1713.) saurait excuser M. Perrault de n'avoir pas pris la peine de lire le passage entier. 2. Parallèles, t. II. (Lisez : t. III, p. 97.) (BOILEAU, 1713.)

3. Le Phormion, acte I, scène v, vers 30. (BOILEAU, 1713). -Cette scène n'est pas à la même place dans toutes les éditions de Térence. 1694 à 1701 cuperem mihi dari in conspectum.

4. Saint-Marc dit là-dessus : « Le tome III des Parallèles parut en 1692, et les deux premiers furent réimprimés en même temps. En 1694, on fit à Amsterdam une édition de ces trois volumes. >> Eruditions employé ainsi, au pluriel, dé

signe des choses érudites, des recherches savantes, curieuses.

Elle semblait raser les airs à la manière

Que les Dieux marchent dans Homère;
Ceci n'est-il point trop savant?

Des éruditions la cour est ennemie,
Même on les voit assez souvent
Rebuter par l'Académie.

(LA FONTAINE, Poésies mêlées, LIV.) '

C'est une vieille traduction d'un vieil auteur en vieux français, réimprimé, non pour le public, mais pour mes amis amateurs de ces éruditions. (P.-L. COURIER, t. I, 378; E. LITTRE, Dt. de la langue française.)

REFLEXION V
(FRAGMENT

A propos de hauteur pédantesque, peut-être ne sera-t-il pas mauvais d'expliquer ici ce que j'ai voulu dire par là, et ce que c'est proprement qu'un pédant; car il me semble que M. P... ne conçoit pas trop bien toute l'étendue de ce mot. En effet, si l'on en doit juger par tout ce qu'il insinue dans ses Dialogues, un pédant, selon lui, est un savant nourri dans un collège, et rempli de grec et de latin; qui admire aveuglément tous les auteurs anciens; qui ne croit pas qu'on puisse faire de nouvelles découvertes dans la nature ni aller plus loin qu'Aristote, Epicure, Hippocrate, Pline; qui croirait faire une espèce d'impiété s'il trouvait quelque chose à redire dans Virgile; qui ne trouve pas simplement Térence un joli auteur, mais le comble de toute perfection; qui ne se pique point de politesse; qui non seulement ne blâme jamais aucun auteur ancien, mais qui respecte surtout les auteurs que peu de gens lisent, comme Jason, Barthole, Lycophron, Macrobe, etc. 5

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1. Jason, jurisconsulte. rhéteur et versificateur latin; il était de Milan, et mourut vers 1520. (DE SAINT-SURIN.)

2. Célèbre jurisconsulte, né en 1313 à Sasso-Ferrato en Ombrie, il mourut en 1346; il enseigna le droit à Pise et à Pérouse.

3. Lycophron, poète du me siècle avant Jésus-Christ: il naquit à Chalcis en Eubée et vécut à la cour de Ptolémée Philadelphe.

4. Macrobe, écrivain latin du ve siècle; il était en 422 grand maître de la garde-robe (præfectus cubiculi) de Théodose le Jeune.

5. On ne sera peut-être pas fâché de voir les paroles originales de Perrault, dans la préface du tome I, du Parallèle: « ... Je veux dire un certain peuple tumultueux de savants qui, entêtés de l'antiquité, n'estiment que le talent d'entendre bien les vieux auteurs ; qui ne se récrient que sur l'explication vraisemblable d'un passage obscur, ou sur la restitution heureuse d'un endroit corrompu; et qui, croyant ne devoir employer leurs lumières qu'à pénétrer dans les ténè bres des livres anciens, regardent comme frivole tout ce qui n'est point érudition. Si la soif des applaudissements me pressait beaucoup, j'aurais pris une route toute contraire et plus aisée. Je me serais attaché à commenter quelque auteur célèbre et difficile: j'aurais été bien maladroit ou bien stupide si, parmi les différents sens que peuvent recevoir les endroits obscurs d'un ouvrage confus et embarrassé, je n'avais pu en trouver quelques-uns qui eussent échappé à tous ces interprètes, ou redresser mème ces interprètes dans quelques fausses interprétations. Une douzaine de notes de ma façon, mêlées avec toutes celles des commentateurs précédents, qui appartiennent de droit à celui qui commente le

Voilà l'idée du pédant qu'il paraît que M. P... s'est formée. Il serait donc bien surpris si on lui disait qu'un pédant est presque tout le contraire de ce tableau; qu'un pédant est un homme plein de lui-même, qui, avec un médiocre savoir, décide hardiment de toutes choses; qui se vante sans cesse d'avoir fait de nouvelles découvertes; qui traite de haut en bas Aristote, Épicure, Hippocrate, Pline ; qui blâme tous les auteurs anciens; qui publie que Jason et Barthole étaient deux ignorants, Macrobe un écolier; qui trouve à la vérité quelques endroits passables dans Virgile, mais qui y trouve aussi beaucoup d'endroits dignes d'être sifflés; qui croit à peine Térence digne du nom de joli ; qui, au milieu de tout cela, se pique surtout de politesse; qui tient que la plupart des anciens n'ont ni ordre ni économie dans leurs discours; en un mot, qui compte pour rien de heurter sur cela le sentiment de tous les hommes. 1

M. P... me dira peut-être que ce n'est point là le véritable caractère d'un pédant. Il faut pourtant lui montrer que c'est le portrait qu'en fait le célèbre Régnier, c'est-à-dire le poète français qui, du consentement de tout le monde, a le mieux connu, avant Molière, les mœurs et le caractère des hommes. C'est dans sa dixième satire, où, décrivant cet énorme pédant, qui, dit-il, 2

Faisait pour son savoir, comme il faisait entendre,

La figue sur le nez au pédant d'Alexandre;

dernier, m'auraient fourni de temps en temps de gros volumes. J'aurais eu la gloire d'être cité par ces savants, et de leur entendre dire du bien de mes notes que je leur a urais données, j'aurais encore eu le plaisir de dire: Mon Perse, mon Juvénal, mon Horace; car on peut s'approprier tout auteur qu'on fait imprimer avec des notes, quelque inutiles que soient les notes qu'on y ajoute. » 1. Cette allusion directe à Perrault serait inexcusable, si elle n'avait pas été provoquée. Le portrait du pédant que Boileau, dans l'alinéa précédent, cherche à tirer des Parallèles de Perrault est dans un couplet de son Apologie des femmes, qui parut quelque temps avant les Réflexions critiques, couplet qui contient évidemment une allusion à notre poète; le voici :

Regarde un peu de près celui qui, loup-garou,

Loin du sexe a vécu renfermé dans son trou,
Tu le verras crasseux, maladroit et sauvage,
Farouche dans ses mœurs, rude dans son langage;
Ne pouvoir rien penser de fin, d'ingénieux,

Ne dire jamais rien que de dur ou de vieux.

S'il joint à ses talents l'amour de l'antiquaille,

S'il trouve qu'en nos jours on ne fait rien qui vaille,

Et qu'à tout bon moderne il donne un coup de dent,

De ces dons rassemblés se forme le pédant,

Le plus fastidieux, comme le plus immonde,
De tous les animaux qui rampent dans le monde.

(B.-S.-P.)

On peut voir dans le Tombeau de Boileau, par Regnard, un portrait qui ressemble assez à celui-là.

2. Régnier, sat. x, vers 119-120. Le portrait du pédant est dans les vers qui suivent. Enorme pédant; énorme, qui sort des règles, des bornes qui est choquant ou révoltant par son excès.

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