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En 1547, un ouvrage où Ramus reprochait des fautes à ces livres fut supprimé par le roi, et en 16241, le parlement de Paris condamna au bannissement trois auteurs qui en avaient contredit la doctrine (M. Daunou, III, 101, donne ces deux arrêts.)

Sur ces entrefaites, Descartes et Gassendi publièrent leurs ouvrages philosophiques, où, peu d'accord entre eux, ils attaquaient également les doctrines aristotéliques. Ils eurent beaucoup de partisans. L'Université, suivant l'opinion la plus commune, ou seulement une partie de l'Université, suivant Saint-Marc, voulut empêcher l'expansion de la philosophie nouvelle. Elle s'occupa d'une requête au parlement, et elle l'avait même, dit-on, rédigée, lorsque la publication de l'Arrêt burlesque la détourna de la présenter.

D'après le manuscrit Goujet, Boileau composa cette facétie sur la demande du premier président Lamoignon pour le délivrer, par la crainte du ridicule, des importunités universitaires. Selon le Menagiana (1694, II, 9), Despréaux agit de lui-même et Boileau, le greffier, glissa l'arrêt parmi d'autres qu'il présentait à signer à Lamoignon; mais celui-ci s'aperçut de la ruse, et dit au greffier: « Ah! voilà un tour de ton ONCLE. >>

Malheureusement pour l'auteur de cette historiette, Jérôme Boileau, le greffier, était frère et non pas neveu du poète, et son fils ne fut greffier qu'en 1679, huit ans après l'Arrêt.

(BERRIAT-SAINT-Prix.)

1. En 1624, il y eut uue censure et un arrêt contre quelques opinions contraires à Aristote, qui étaient enseignées par des Claves, chimistes, et un soldat (Antonius de Billon, alias Miles Philosophus, et in Universitate Parisiensi professor Peripateticus), professeur en philosophie, qu'on appelait Philosophus Miles. (SAINT-MARC.)

ARRÊT BURLESQUE

ONNÉ EN LA GRAND'CHAMBRE

DU PARNASSE,

EN FAVEUR DES MAITRES ÈS ARTS,

MÉDECINS ET PROFESSEURS DE L'UNIVERSITÉ DE STAGIRE 1 AU PAYS DES CHIMÈRES,

POUR LE

MAINTIEN DE LA DOCTRINE D'ARISTOTE

2

Vu par la cour la requête présentée 2 par les régents, maîtres ès arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maître en blanc 3, Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collège du Lycée, et précepteur du feu roi de querelleuse mémoire, Alexandre dit le Grand, acquéreur de l'Asie, Europe, Afrique et autres lieux; contenant que, depuis quelques années, une inconnue, nommée la Raison, aurait entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université, et pour cet effet, à l'aide de certains quidams factieux, prenant les surnoms de Gassendistes, Cartésiens, Malebranchistes et Pourchotistes, gens sans aveu, se serait mise en état d'en expulser ledit Aristote, ancien et paisible possesseur desdites écoles, contre lequel elle et ses consorts auraient déjà publié plusieurs livres, traités, dissertations et raisonnements diffamatoires, voulant assujettir ledit Aristote à subir devant elle l'examen de sa doctrine, ce qui serait directement opposé aux lois, us et coutumes de ladite Université, où ledit Aristote aurait toujours été reconnu pour

1. Ville de Macédoine, sur la mer Égée, et patrie d'Aristote. (BOILEAU, 1713.) 2. L'Université avait présenté requête au parlement pour empêcher qu'on n'enseignât la philosophie de Descartes. La requête fut supprimée, et Bernier en fit imprimer une de sa façon. (BOILEAU, 1713.)

3. Ces mots maître en blanc sont pour suppléer au nom de baptême qui se met au devant des noms des maîtres ès arts. (BROSSETTE.)

4. Gassendi, né près de Digne, en Provence, 22 janvier 1592, mort à Paris, 14 octobre 165. Lecteur de mathématiques au collège royal de France. Des cartes, né à La Haye, en Touraine, en 1596, mort à Stockholm, en 1650. -Malebranche, né à Paris en 1638, mort le 13 octobre 1715. - Edme Pourchot, né près d'Auxerre, en 1651, enseigna la philosophie pendant vingt-six ans avec 'éclat, d'abord au collège des Grassins, ensuite à celui des Quatre-Nations. Il fut nommé sept fois recteur de l'Université et mourut en 1724.

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juge sans appel et non comptable de ses opinions. Que même, sans l'aveu d'icelui, elle aurait changé et innové plusieurs choses en et au dedans de la nature, ayant ôté au cœur la prérogative d'être le principe des nerfs, que ce philosophe lui avait accordée libéralement et de son bon gré, et laquelle elle aurait cédée et transportée au cerveau. Et ensuite, par une procédure nulle de toute nullité, aurait attribué audit cœur la charge de recevoir le chyle, appartenant ci-devant au foie, comme aussi de faire voiturer le sang par tout le corps, avec plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et artères, n'ayant autre droit ni titre, pour faire lesdites vexations, que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles. Aurait attenté ladite Raison, par une entreprise inouïe, de déloger le feu de la plus haute région du ciel, et prétendu qu'il n'avait là aucun domicile, nonobstant les certificats dudit philosophe, et les visites et descentes faites par lui sur les lieux. Plus, par un attentat et vòie de fait énorme contre la Faculté de médecine, se serait ingérée de guérir, et aurait réellement et de fait guéri quantité de fièvres intermittentes, comme tierces, doubles-tierces, quartes, triples-quartes, et même continues, avec vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues inconnues audit Aristote et à Hippocrate son devancier, et ce sans saignée, purgation ni évacuation précédentes; ce qui est non seulement irrégulier, mais tortionnaire et abusif; ladite Raison n'ayant jamais été admise ni agrégée au corps de ladite Faculté, et ne pouvant par conséquent consulter avec les docteurs d'icelle, ni être consultée par eux, comme elle ne l'a en effet jamais été. Nonobstant quoi, et malgré les plaintes et oppositions réitérées des sieurs Blondel, Courtois, Denyau 1 et autres défenseurs de la bonne doctrine, elle n'aurait pas laissé de se servir toujours desdites drogues, ayant eu la hardiesse de les employer sur les médecins mêmes de ladite Faculté, dont plusieurs, au grand scandale des règles, ont été guéris par lesdits remèdes : ce qui est d'un exemple très dangereux, et ne peut avoir été fait que par mauvaises voies, sortilèges et pactes avec le diable. Et non contente de ce, aurait entrepris de diffamer et de bannir des écoles de phi

1. Blondel a écrit que le bon effet du quinquina venait des pactes que les Américains avaient faits avec le diable. Courtois, médecin, aimait fort la saignée. Denyau, autre médeci níait la circulation du sang. (BOILEAU, 1713.) — Voyez satire x.

losophie les formalités, matérialités, entités, identités, virtualités, eccéités, pétréités, polycarpéités et autres êtres imaginaires, tous enfants et ayants cause de défunt maître Jean Scot1, leur père; ce qui porterait un préjudice notable et causerait la totale subversion de la philosophie scolastique, dont elles font tout le mystère, et qui tire d'elles toute sa subsistance, s'il n'y était par la cour pourvu. Vu les libelles intitulés Physique de Rohault, Logique de Port-Royal, Traité du Quinquina, même l'ADVERSUS ARISTOTELEOS de Gassendi, et autres pièces attachées à ladite requête, signée CHICANEAU, procureur de ladite Université : Ouï le rapport du conseiller commis, tout considéré :

La COUR, ayant égard à ladite requête, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Aristote en la pleine et paisible possession et jouissance des dites écoles. Ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigné par les régents, docteurs, maîtres ès arts et professeurs de ladite Université, sans que pour cela ils soient obligés de le lire, ni de savoir sa langue et ses sentiments. Et sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers. Enjoint au cœur de continuer d'être le principe des nerfs, et à toutes personnes, de quelque condition et profession qu'elles soient, de le croire tel, nonobstant toute expérience à ce contraire. Ordonne pareillement au chyle d'aller droit au foie, sans plus passer par le cœur, et au foie de le recevoir. Fait défenses au sang d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. Défend à la Raison et à ses adhérents de plus s'ingérer à l'avenir de guérir les fièvres tierces, doubles-tierces, quartes, triples-quartes ni continues, par mauvais moyens et voies de sortilèges, comme vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues non approuvées ni connues des anciens'. Et en cas de guérisons irrégulières par icelles drogues, permet aux médecins de ladite Faculté de rendre, suivant leur méthode ordinaire, la fièvre aux malades, avec casse, séné, sirops, juleps et autres remèdes propres à ce, et de re1. Jean Duns, dit le Scot, c'est-à-dire l'Écossais, naquit vers la fin du x111° siècle (vers 1275) et mourut à Cologne en 1308.

2. Voyez Épitre v.

3. Le quinquina (écorce des plantes du genre Cinchona, de la famille des Rubiacées) fut importé en Europe en 1648, par la comtesse de Cinchon, femme du vice-roi de Lima. Les mots « autres drogues non approuvées » doivent s'appliquer à l'émétique, c'est-à-dire au tartrate double de potasse et d'antimoine, sel contre lequel Guy-Patin a si spirituellement et si inutilement guerroyé. (M. CHÉRON.) Voir les lettres de Guy-Patin, un poème de La Fontaine sur le quinquina, les comédies de Molière ou il se moque des médecins.

mettre lesdits malades en tel et semblable état qu'ils étaient auparavant, pour être ensuite traités selon les règles, et, s'ils n'en réchappent, conduits du moins en l'autre monde suffisamment purgés et évacués. Remet les entités, identités, virtualités, eccéités et autres pareilles formules scotistes, en leur bonne fame et renommée. A donné acte aux sieurs Blondel, Courtois et Denyau de leur opposition au bon sens. A réintégré le feu dans la plus haute région du ciel, suivant et conformément aux descentes faites sur les lieux 1. Enjoint à tous régents, maîtres ès arts et professeurs d'enseigner comme ils ont accoutumé, et de se servir, pour raison de ce, de tel raisonnement qu'ils aviseront bon être, et aux répétiteurs hibernois et autres leurs suppôts de leur prêter mainforte, et de courir sus aux contrevenants, à peine d'être privés du droit de disputer sur les prolégomènes de la logique. Et afin qu'à l'avenir il n'y soit contrevenu, a banni à perpétuité la Raison des écoles de ladite Université; lui fait défenses d'y entrer, troubler ni inquiéter ledit Aristote en la possession et jouissance d'icelles, à peine d'être déclarée janséniste et amie des nouveautes. Et à cet effet sera le présent arrêt lu et publié aux Mathurins de Stagire, à la première assemblée qui sera faite pour la procession du recteur 2, et affiché aux portes de tous les collèges du Parnasse et partout où besoin sera. Fait ce trente-huitième jour d'août onze mil six cent soixante et quinze.

COLLATIONNÉ AVEC PARAPHE.

1. Ce n'est pas que Boileau voulût refuser à Aristote les éloges que l'on doit à son admirable génie, mais il combattait avec esprit un respect ridicule des anciens et posait nettement la loi du progrès qui régit les sciences humaines. C'est dans le même esprit que Pascal, dans un fragment d'un Traité du vide, dit ce qui suit : « De là vient que par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s'avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l'univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes, que dans les âges différents d'un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours des siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours, et qui apprend continuellement d'où l'on voit avec combien d'injustice nous respectons l'antiquité dans ses philosophes; car comme la vieillesse est l'âge le plus distant de l'enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de la naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés? »•

2. Quand le recteur faisait ses processions, l'Université de Paris s'assemblait aux Mathurins. (BROSSETTE.)

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