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Il brise de Séjan la statue adorée ;

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Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,
D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs;
Ou que, poussant à bout la luxure latine,
Aux portefaix de Rome il vende Messaline, 2
Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux
De ces maîtres savants disciple ingénieux,
Régnier, seul parmi nous formé sur leurs modèles
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles
Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentaient des lieux où fréquentait l'auteur,
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n'alarmait souvent les oreilles pudiques!
"Le latin, dans les mots, brave l'honnêteté :
Mais le lecteur français veut être respecté;

1. Satire iv, vers 72-75. (BOILEAU, 1713.)

Vocantur

Ergo in concilium proceres quos oderat ille
In quorum facie miseræ magnæque sedebat
Pallor amicitiæ...

2. Satire iv, vers 116-132. (BOILEAU, 1713.)

4

3. Mathurin Regnier, chanoine de Chartres, neveu de Philippe Desportes; né à Chartres le 21 de décembre 1573, mort à Rouen le 22 d'octobre 1613. Il a laissé seize satires, des épîtres, des élégies, des odes, des stances et des épigrammes. La première édition de ses satires est de Paris, 1608, in-4°. (M. CHÉRON.) Vauquelin de la Fresnaye fait une Histoire de la satire en France: on jugera si Boileau n'a pas eu raison de n'en rien dire :

Depuis, les coc-à-l'asne à ces vers succédèrent,

Qui les rimeurs françois trop longtemps possédèren
Dont Marot eut l'honneur. Aujourd'hui toutefois,
Le satyre latin s'en vient estre françois ;
Si parmi les travaux de l'estude sacree,
Se plaire en la satyre à Desportes agrée:
Et si le grand Ronsard de France l'Apollon
Veut poindre nos forfaits de son vif éguillon
Si Doublet (animé de Jumel qui préside
Sçavant au Parlement de nostre gent Druide)

Met ses beaux vers au jour, nous enseignants moraus

Soit en deuil, soit en joye, à se porter égaux :

Et si mes vers gaillards, suivant la vieille trace,

Du piquant Aquinois et du mordant Horace

Ne ine deçoivent point, par l'humeur remontreux
Qu'un satyre au follet souffla d'un chesne creux

4. Fréquenter, au XVIIe siècle, avait le sens d'aller souvent; il n'était donc pas incorrect de dire alors où fréquentait l'auteur. Molière a dit de même :

Sans doute et je le vois qui fréquente chez nous.

(Femmes savantes, acte II, sc. 11.)

5. Boileau veut dire que pour nous, Français, un terme indécent en latin choque moins nos oreilles ; il a raison; si l'on voulait étendre plus loin le sens de ce qu'il dit, il serait dans l'erreur; il n'y aurait qu'à rappeler ici ce qu'il dit luimême dans une lettre à Brossette (6 octobre 1701): « On peut voir sur ce point une lettre de Cicéron à Papirius Pætus, qui commence par ces mots : Amo verecun liam, tu potius libertatem loquendi. » Cette lettre, la vingt-deuxième du livre IX, Ad familiares, est pleine de détails curieux, qui montrent jusqu'où les Romains portaient la délicatesse, et avec quel soin scrupuleux ils évitaient les mots qui pouvaient avoir un sens impur. (Conf. Aristote, Rhét., liv. III.)

Du moindre sens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.

D'un trait de ce poème en bons mots si fertile
Le Français, né malin, forma le vaudeville, 1
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant
La liberté française en ses vers se déploie ;
Cet enfant de plaisir veut naître dans la joie. '
Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux, 3
Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux que l'athéisme élève
Conduisent tristement le plaisant à la Grève. *
Il faut, même en chansons, du bon sens et de l'art.
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard
Inspirer quelquefois une muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l'auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poète :
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet;
Il met tous les matins six impromptusau net:

1. Ce mot vient-il de Voix de ville, chanson populaire, ou bien de Vau-deVire, ou Val-de- Vire, en Normandie, où chantait Olivier Basselin au xye siècle? (M. CHÉRON.) · Vauquelin de la Fresnaye écrit Vau-de-Vire:

Chantant en nos festins, ainsi les vau-de-vire

Qui sentent le bon temps nous font encore rire, etc., etc.

2. C'est le texte de 1674 à 1713 (trente-quatre éditions, dont douze originales) et de Brossette, Souchay, Dumont, Saint-Marc, Saint-Surin. (BERRIAT-SAINT-PRIX.) - Dans d'autres éditions on lit du plaisir.

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3. Goguenard, qui plaisante en se moquant. Étym. dérivé de gogue, plaisanterie, divertissement. Origine incertaine. Bas-breton, goguéa, tromper, se moquer; kimry, gogan, satire. (E. LITTRÉ, Dict. de la langue français 4. « Ces deux vers ont trait à la triste fin de Petit, auteur du Faris ridicule, poeme d'un burlesque très ingénieux et bien supérieur à la Rome ridicule de Saint-Amand, dont il est une imitation. Petit fut découvert assez singulièrement pour l'auteur de quelques chansons impies et libertines qui couraient dans Paris. Un jour qu'il était hors de chez lui, le vent enleva de dessus une table placée sous la fenêtre de sa chambre quelques carrés de papier, qui tombèrent dans la rue. Un prêtre, qui passait par là, les ramasse, et, voyant que c'étaient des vers impies, il va sur-le-champ les remettre entre les mains du procureur du roi. Au moyen des mesures qui furent prises, Petit fut arrêté dans le moment qu'il rentrait, et l'on trouva dans ses papiers les brouillons des chansons qui couraient alors. Malgré tout ce que purent faire des personnes du premier rang que sa jeunesse intéressait pour lui, il fut condamné à être pendu et brûlé. Ce poète, très bien fait de sa personne, était fils d'un tailleur de Paris, et très en état de se faire un grand nom par un meilleur usage de ses talents. Je tiens ce détail de quelqu'un qui l'avait connu, lui et sa famille. » (SAINT-MARC.) Claude Petit, ou Lepetit, était né vers 1640, et mourut probablement à la fin de 1665.

Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies
Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,
Il ne se fait graver au-devant du recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil. '

CHANT III

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux: 2 D'un pinceau délicat l'artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable. 3

1. Fameux graveur. (BOILEAU, 1713.) Robert Nanteuil, né à Reims en 1630, mort à Paris le 18 de décembre 1678. Nanteuil a gravé en 1658 un portrait du père de Boileau. Cf. Robert-Dumesnil, tome IV, n. 43 de l'œuvre de Nanteuil. M. CHÉRON.) Boileau voulait terminer ce chant par les deux vers qui suivent, et qu'il supprima, selon Brossette, pour ne pas déplaire à MM. de l'Académié française:

Et dans l'Académie, orné d'un nouveau lustre,

Il fournira bientôt un quarantième iliustre.

On regrettera toujours de ne trouver parmi ces définitions si justes et si vraies des petits genres de poésie aucune mention de la fable. C'est un oubli qu'il est aussi difficile d'expliquer que d'excuser.

2. « C'est dans le chapitre quatrième de sa Poétique (d'Aristote) que Boileau a puisé ces beaux vers. Voici ce que dit Aristote « L'imitation et l'harmonie «ont produit la poésie... Nous voyons avec plaisir, dans ses tableaux, des animaux affreux, des hommes morts ou mourauts, que nous regarderions avec <«< chagrin et avec frayeur dans la nature. Plus ils sont bien imités, plus ils vous causent de satisfaction. » (VOLTAIRE, Dict. philosophique.) Aristote dit encore dans sa Rhétorique, liv. 1, chap. 1x, « que tout ce qui sera imité parfaitement sera très agréable, comme sont les ouvrages de peinture, de sculpture, de poésie, en un mot, tout ce qui consiste en imitation, quand bien même ce qui aurait été imité serait très désagréable en soi; car enfin, le plaisir qu'on a de voir une belle imitation ne vient point précisément de ce qui a été imité, mais bien de notre esprit, qui fait alors en lui-même cette réflexion et ce raisonnement qu'en effet il n'est rien de plus ressemblant, et qu'on dirait que c'est la chose même et non pas une simple représentation. » Boileau ajoutait qu'il ne faut pas que l'imitation soit entière, parce qu'une ressemblance trop parfaite inspirerait autant d'horreur que l'original même. Voilà pourquoi il introduit avec tant de goût dans ces vers les mots suivants : D'un pinceau délicat l'artifice agréable. « L'illusion, dit en effet M. Cousin, est si peu le but de l'art, qu'elle peut être complète et n'avoir aucun charme... Il y a plus, lorsque l'illusion va trop loin, le sentiment de l'art disparaît pour faire place à un sentiment purement naturel, quelquefois insupportable. Si je croyais qu'Iphigénie est en effet sur le point d'être immolée par son père à vingt pas de moi, je sortirais de la salle en frémissant d'horreur.» (Du vrai, du beau et du bien, p. 183.) 3. Vauquelin de la Fresnaye avait dit avant Boileau

C'est un art d'imiter, un art de contrefaire
Que toute poésie, ainsi que de pourtraire,

Et l'imitation est naturelle en nous :

Un autre contrefaire il est facile à tous :

Et nous plait en peinture une chose hideuse,

Qui serait à la voir eu essence fâcheuse.

Comme il fait plus beau voir un singe bien pourtrait,
Un dragon écaillé proprement contrefait,

Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D'OEdipe tout sanglant fit parler les douleurs, 1
D'Oreste parricide exprima les alarmes,

2

1

Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes. 3
Vous donc qui, d'un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés? ↳
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue, 5

Un visage hideux de quelque laid Thersite,

Que le vray naturel qu'un sçavant peintre imite :
Il est aussi plus beau voir d'un pinceau parlant
Dépeinte dans les vers la fureur de Roland,
Et l'amour forcené de la pauvre Climène,

Que de voir tout au vray la rage qui les mène.

-

1. Sophocle (BOILEAU, 1713.) Boileau fait allusion à la scène si touchante où, dans Sophocle, OEdipe, qui vient de se crever les yeux, paraît sur le theàtre ... Mes fils, Créon, n'en prends aucun souci ce sont des hommes... quelque part qu'ils vivent, ils ne sauraient manquer. Mais, hélas! mes malheureuses filles, qui jamais n'eurent d'autre table que celle de leur père, qui partageaient avec lui tout ce qu'il touchait, ah! je te les confie. Je voudrais les presser sur mon coeur et gémir avec elles. Permets, prince noble, généreux prince. Si mes mains les touchaient, je croirais les voir encore. Tu consens. Mais, o dieux ! ne les entends-je pas qui pleurent à mes côtés? Créon a eu pitié de moi. Il a fait venir près de moi ces enfants qui me sont si chères. » (Vers 1425-1451.)

2. Euripide (Oreste, v. 211). Le malheureux Oreste se réveille, sort d'un pénible accablement et s'écrie: « Toi qui charmes les sens, qui apaises les souffrances, doux Sommeil, que tu m'es venu à propos dans ma détresse! Oubli des maux! dieu bienfaisant! que ton secours a de puissance, qu'il semble désirable aux infortunés! Mais, où étais-je donc, et comment me trouvé-je en ce lieu? Je ne sais plus ce que j'ai fait dans mon égarement. » Bientôt il retombe dans ses alarmes : « Je t'en conjure, ô ma mère, ne lance point contre moi ces temmes aux yeux sanglants, à la tête hérissée de vipères. Les voilà! les voilà qui bondissent à mes côtés... O Phébus! ils me tueront, ces chiens dévorants, ces ètres hideux et farouches, ces prêtresses des morts, ces terribles déesses ! »> (M. PATIN, Tragiques grecs; Euripide, t. I, 247.) Longin a cité et commenté quelques vers de cette scène, et Boileau les a traduits :

Mère cruelle, arrête, éloigne de mes yeux

Ces filles de l'enfer, ces spectres odieux.

Ils viennent; je les vois; mon supplice s'apprête.
Quels horribles serpents leur sifflent sur la tète !

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3. Divertir (divertere), c'est tourner l'esprit de quelqu'un vers un autre côté c'est, en effet, ce qu'on demande aux jeux du théâtre, on veut qu'ils nous fassent oublier nos occupations de tous les jours.

4.

Fabula quæ posci vult et spectata reponi.

(HORACE, Art poétique, v. 190.)

5. Horace parle ainsi de cette puissance d'émouvoir les âmes qui est la forco du poète dramatique :

Ille per extentum funem mihi posse videtur
Ire poeta, meum qui pectus inaniter angit,

Irritat, mulcet, falsis terroribus implet,

Ut magus, et modo me Thebis, modo ponit Athenis.

(Livre II, ép 1, v. 210.)

Si d'un beau mouvement l'agréable fureur

Souvent ne nous remplit d'une douce «< terreur »,
Ou n'excite en notre âme une « pitié » charmante, 1
En vain vous étalez une scène savante :

Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir
Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s'endort, ou vous critique."
Le secret est d'abord de plaire et de toucher: 3
Inventez des ressorts qui puissent m'attacher. →
Que dès les premiers vers l'action préparéc
Sans peine du sujet aplanisse l'entrée. 5
Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer, "
De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.

6

J'aimerais mieux encor qu'il déclinât son nom,

7

1. « Ces trois épithètes, dit La Harpe, ne sont pas accumulées sans dessein; elles indiquent assez clairement que la terreur et la pitié doivent avoir leur douceur et leur charme, et que quand nous nous rassemblons au théâtre, les impressions mêmes qui nous font le plus de mal doivent pourtant nous faire plaisir, parce que, sans cela, il n'y aurait aucune différence entre la réalité et l'illusion » (Cours de littérature, 1821, t. IX, p. 341.)

2. « Au reste, il n'était point content de la tragédie d'Othon, qui se passait toute en raisonnements, et où il n'y avait point d'action tragique. Corneille avait affecté d'y faire parler trois ministres d'État, dans le temps où Louis XIV n'en avait pas moins que Galba, c'est-à-dire MM. Le Tellier, Colbert et de Lionne. M. Despréaux ne se cachait point d'avoir attaqué directement Othon dans les quatre vers de son Art poétique :

3.

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Non satis est pulchra esse poemata; ulcia sunto
Et quocunque volent animum auditoris agunto.

4. «Que ceux qui travaillent pour la scène tragique aient toujours ce précepte gravé dans leur mémoire. » (VOLTAIRE, Commentaire sur Pompée, acte IV, scene iv, v. 1er.)

5. On appelle exposition ces premières scènes d'un poème dramatique, où le sujet s'offre aux spectateurs. Il est difficile de n'y rien omettre, de ne dire que ce qu'il faut, de faire avancer le drame, et d'animer l'intérêt dès le début. Nous avons dans les œuvres de Racine plusieurs de ces expositions parfaites. Les connaisseurs citent surtout celle de Bajazet. Douze éditions originales, de 1674 à 1713, portent aplanisse; d'autres donnent par erreur m'aplanisse.

6. C'est le texte de 1674 à 1713.- Brossette, in-4° et in-12, a mis d'un auteur, et cette leçon a été adoptée dans plus de quarante éditions. (BERRIAT-SAINT-PRIX.) 7. Il y a de pareils exemples dans Euripide. (BOILEAU, 1713.) début d'Hippolyte, c'est Vénus qui parle :

Πολλὴ μὲν ἐν βροτοῖσι, κ' οὐκ ἀνώνυμος

Θεὰ κέκλημαι Κυπρίς.

Voici le

Les Pheniciennes commencent par une véritable généalogie de Jocaste et c'est Jocaste qui la fait elle-même :

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