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Et, dans ce temps guerrier et fécond en Achilles,
Croit que l'on fait des vers comme l'on prend les villes.
Mais moi, dont le génie est mort en ce moment,
Je ne sais que répondre à ce vain compliment;
Et, justement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.

Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré,
Vit content de soi-même en un coin retiré ! !
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée
N'a jamais enivré d'une vaine fumée;
Qui de sa liberté forme tout son plaisir,

3

2

Et ne rend qu'à lui seul compte de son loisir !
Il n'a point à souffrir d'affronts ni d'injustices,
Et du peuple inconstant il brave les caprices.
Mais nous autres faiseurs de livres et d'écrits,
Sur les bords du Permesse aux louanges nourris,
Nous ne saurions briser nos fers et nos entraves,
Du lecteur dédaigneux honorables esclaves. 5
Du rang où notre esprit une fois s'est fait voir,
Sans un fâcheux éclat nous ne saurions déchoir.
Le public, enrichi du tribut de nos veilles,

4

due plus sensible par cette orthographe. Cageole, petite cage. Espagnol, gayola; portugais, gaiola (geôle). — Traiter comme un oiseau qui est en cage, ou plutôt chanter comme un oiseau qui est en cage, et de là flatter; car cageoler a aussi signifié chanter. (V. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française.)

1.

Felix ille animi divisque simillimus ipsis,
Quem non mendaci resplendens gloria fuco
Sollicitat, non fastosi mala gaudía luxus;
Sed tacitos sinit ire dies, et paupere cultu
Exigit innocuæ tranquilla silentia vitæ.

(ANGE POLITIEN, Rusticus, v. 17-20.)

O bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais les vains désirs de gloire
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs.

3. Horace, liv. I, ép. xx, v. 37:

(RACAN, Stances sur la retraite.)

Non ego ventosæ plebis suffragia venor.

4. Nourrir, nourriture signifiaient encore au XVIIe siècle élever, éducation. «Parmi de si bonnes lois, ce qu'il y avait de meilleur, c'est que tout le monde était nourri dans l'esprit de les observer... les pères nourrissaient leurs enfants dans cet esprit.» (BOSSUET, Hist. univ., 3° partie, ch. 1 et v.) — Aux était employé avec le sens de dans, de par :

5.

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Aux ballades surtout vous êtes admirable.

(1D., Femmes sav., III.) Spectatoris fastidia ferre superbi, dit encore Horace, liv. II, ép. 1, v. 215.

.....

Croit qu'on doit ajouter merveilles sur merveilles.
Au comble parvenus il veut que nous croissions :
Il veut en vieillissant que nous rajeunissions. 1
Cependant tout décroît; et moi-même, à qui l'âge
D'aucune ride encor n'a flétri le visage,

2

Déjà moins plein de feu, pour animer ma voix,
J'ai besoin du silence et de l'ombre des bois : 3
Ma muse, qui se plaît dans leurs routes perdues,
Ne saurait plus marcher sur le pavé des rues.
Ce n'est que dans ces bois, propres à m'exciter,
Qu'Apollon quelquefois daigne encor m'écouter.
Ne demande donc plus par quelle humeur sauvage,
Tout l'été, loin de toi, demeurant au village,
J'y passe obstinément les ardeurs du Lion,"
Et montre pour Paris si peu de passion.
C'est à toi, Lamoignon, que le rang, la naissance,
Le mérite éclatant et la haute éloquence
Appellent dans Paris aux sublimes emplois,
Qu'il sied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie :
Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie;

1.

5

Il veut que ses dehors gardent un même cours,
Qu'ayant fait un miracle elle en fasse toujours :
Après une action pleine, haute, éclatante.
Tout ce qui brille moins remplit mal son attente :
Il veut qu'on soit égal en tous temps, en tous lieux;
Il n'examine point si lors on pouvait mieux,
Ni que, s'il ne voit pas sans cesse une merveille,
L'occasion est moindre et la vertu pareille :
Son injustice accable et détruit les grands noms ;
L'honneur des premiers faits se perd par les seconds;
Et quand la renommée a passé l'ordinaire,

Si l'on n'en veut déchoir, il ne faut plus rien faire.
(CORNEILLE, Horace, acte V, scène 1.)

2. Il était dans sa quarante et unième année. sage ces jolis vers d'Horace, Ép. 11, liv. 11:

On peut rapprocher de ce pas

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Le soleil passe dans le signe du Lion du 23 juillet au 23 août.
5. Tu ne t'en peux bannir, la multiplicité des t rend ces

(LE BRUN.)

J.-B. Rousseau a imité ce passage:

Ministre de la paix, qui gouvernez les rênes

D'un empire puissant autant que glorieux,

Vous ne pouvez longtemps vous dérober aux chaînes

De vos emplois laborieux.

Bientôt l'État prive d'une de ses colonnes

Se plaindrait d'un repos qui trahirait le sien,

vers durs.

Que l'oppresseur ne montre un front audacieux;
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moi, de Paris citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prés et des forêts.
Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l'automne,
Et que Cérès contente ait fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussitôt ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Bâville. 1
Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galoper sur ta trace. 2

Tantôt sur l'herbe assis, au pied de ces coteaux,
Où Polycrène épand ses libérales eaux,

3

Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude ;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux,
Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts;

L'orphelin vous crierait: Hélas! tu m'abandonnes!

Je perds mon plus ferine soutien.

(Livre II, ode VII, à S. A. M. le comte de Zinzindorf.)

1. Maison de campagne de M. de Lamoignon. (BOILEAU, 1713.) - C'est une seigneurie considérable, à neuf lieues de Paris, du côté de Chartres et d'Étampes. (SAINT-MARC.) C'est aujourd'hui un hameau de soixante-seize habitants. dépendant de la commune de Saint-Chéron, département de Seine-et-Oise, arrondissement de Rambouillet. (M. CHERON.) M. Sainte-Beuve, dans une épî

tre à Mme la comtesse Molé, intitulée: La Fontaine de Boileau, a dit :

Dans les jours d'autrefois qui n'a chanté Bàville ?

Quand septembre apparu delivrait de la ville

Le grave parlement assis depuis dix mois,

Bâville se peuplait des hôtes de son choix,
Et, pour mieux animer son illustre retraite,
Lamoignon conviait et savant et poète.
Mais voici Despréaux, amenant sur ses traces
L'agrément sérieux, l'à-propos et les grâces.

2. Ce vers est aussi expressif que celui de Virgile :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campui.
(Eneide, liv. VIII, v. 596.)

3. Fontaine à une demi-lieue de Båville, ainsi nommée par feu M. le premier président de Lamoignon. (BOILEAU, 1713.) Le nom de cette fontaine est formé de deux mots grecs, moλús et xpvn; plusieurs poètes l'ont chantée, entre autres le P. Commire et le P. Rapin.

La fontaine en tes vers Polycrène épanchée
Que le vieux villageois nomme aussi la Rachée.

(SAINTE-BEUVE.)

Aux humains inconnu, libre d'inquiétude,
C'est là que de lui-même il faisait son étude.

(VOLTAIRE, Henriade, I, v. 201.)'''

Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide. 1

C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher,
Heureux si les fâcheux, prompts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse!

Car, dans ce grand concours d'hommes de toute espèce,
Que sans cesse à Bâville attire le devoir,

Au lieu de quatre amis qu'on attendait le soir,
Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l'instant assiègent les allées.
Alors, sauve qui peut : et quatre fois heureux
Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux!

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Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!

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Pertinet, et nescire malum est, agitamus: utrumne
Divitiis homines, an sint virtute beati :

Quidve ad amicitias, usus, rectumve, trahat nos:
Et quæ sit natura boni, summumque quid ejus.

(HORACE, liv. II, sat. vi, v. 72-76.)

M. Sainte-Beuve, cité plus haut, dit encore:

Mais aujourd'hui laissons tout sujet de satire;
A Båville aussi bien on t'en eût vu sourire,
Et tu tachais plutôt d'en détourner le cours,
Avide d'ennoblir tes tranquilles discours,

De chercher, tu l'as dit, sous quelque frais ombrage,

Comme en un Tusculum, les entretiens du sage,

Un concert de vertu, d'éloquence et d'honneur,

Et quel vrai but conduit l'honnête homme au bonheur.

Ainsi donc ce jour-là, venant de ta fontaine,
Nous suivions au retour les étangs et la plaine;

Nous foulions lentement ces doux prés arrosés, etc., etc.
(SAINTE-BEUVE, Pensées d'août.)

2. Composée en 1677.

3. Jean Racine, né à la Ferté-Milon en 1639, reçu à l'Académie française en 1673, mort le 22 avril 1699. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne avaient représenté la Phèdre de Racine le premier jour de l'année 1677; deux jours après, Pradon fit représenter la sienne sur le théâtre de la troupe du roi. Le duc de Nevers, la duchesse de Bouillon, sa sœur, qui n'aimaient pas Racine, n'oublièrent rien de ce qui pouvait procurer un succès brillant à son rival. Quelque mauvaise que fût sa tragédie, clle parut avec éclat et se sou int pendant quelque temps. Enfin le public ouvrit les yeux. La Phèdre de Pradon tomba dans un mépris si général, qu'on ne l'a plus osé faire paraître depuis. Mais Racine éprouva un grand chagrin de cette injustice, et renonça au théâtre. Cette épître a pour objet de le consoler. Voici le sonnet qui courut dans Paris à l'oc

3

Jamais Iphigénie, en Aulide immolée, 1
N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé 2
En a fait sous son nom verser la Champmêlé.
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré
Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré

En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent: 5

Et son trop de lumière, importůnant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux;

$

casion de la Phèdre de Racine. Il était de Mme Deshoulières, on l'attribua d'abord au duc de Nevers.

Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante et blême
Dit des vers où d'abord personne n'entend rien :
Sa nourrice lui fait un sermon fort chrétien
Contre l'affreux dessein d'attenter sur soi-même.
Hippolyte la hait presque autant qu'elle l'aime :
Rien ne change son coeur, ni son chaste maintien.
La nourrice l'accuse; elle s'en punit bien :
Thésée a pour son fils une rigueur extrême.

Il meurt enfin, traîné par ses coursiers ingrats;
Et Phèdre, après avior pris de la mort aux rats,
Vient, en se confessant, mourir sur le théâtre.

1. Iphigénie fut représentée en 1674. Le sacrifice de la fille d'Agamemnon et de Clytemnestre avait été mis à la scène par Euripide. Le grec, dans cet auteur, porte v Aŭλıdı, à Aulis. L'Aulide n'était pas une province, Aulis n'était qu'une bourgade, ayant un port sur l'Euripe entre l'Eubée et la Béotie.

2. Etaler se dit quelquefois dans le sens de faire paraître sur le théâtre, mais il s'y ajoute toujours une idée d'éclat et de solennité. « Ces beautés... ont fait leur effet en ma faveur, mais je me ferais scrupule d'en étaler de pareilles à l'avenir sur notre théâtre. » (CORN., Cid. exam.)

Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages?

(BOILEAU, Art poét., II.)

3. Célèbre comédienne. (BOILEAU 1713.) - Marie Desmares, fille d'un président au parlement de Rouen, née dans cette ville en 1644, morte à Auteuil en 1698. Elle épousa un acteur du théâtre de Rouen, Charles Chevillet, sieur de Champmeslé, et débuta avec lui, en 1669, au théâtre du Marais, à Paris; ils passèrent de là au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, puis à celui de la rue Guénégaud.

4. Savants, bien composés, fruit d'un art supérieur et consommé. Horace applique l'épithète doctus au poète tragique Pacuvius:

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« Je ne doute point que le public ne soit étourdi et fatigué d'entendre, depuis quelques années, de vieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libre

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