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1

Et ton nom, du Midi jusqu'à l'Ourse vanté,
Ne devra qu'à leurs vers son immortalité.
Mais plutôt, sans ce nom dont la vive lumière
Donne un lustre éclatant à leur veine grossière,
Ils verraient leurs écrits, honte de l'univers,
Pourrir dans la poussière à la merci des vers.
A l'ombre de ton nom ils trouvent leur asile,
Comme on voit dans les champs un arbrisseau débile,
Qui, sans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languirait tristement sur la terre couché. 2

Ce n'est pas que ma plume injuste et téméraire.
Veuille blâmer en eux le dessein de te plaire;
Et, parmi tant d'auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connaît qui te peuvent louer :

Oui, je sais qu'entre ceux qui t'adressent leurs veilles,"
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.
Mais je ne puis souffrir qu'un esprit de travers
Qui, pour rimer 5 des mots, pense faire des vers,
Se donne en te louant une gêne 6 inutile;
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile:
Et j'approuve les soins du monarque guerrier
Qui ne pouvait souffrir qu'un artisan grossier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle. 7

1. L'Ourse constellation qui marque le nord.

2. Ces vers ont été blâmés par Desmarets, Pradon, Condillac, Le Brun et Daunou. On y a vu des idées peu liées et des métaphores mal choisies. On s'est étonné qu'après avoir parlé d'un nom entouré d'une vive lumière qui donne un lustre éclatant à une veine grossière, l'auteur dise ensuite à l'ombre de ton nom ils trouvent un asile. Ces reproches ne sont pas sans fondement, il faut pourtant accorder quelque chose au style poétique.

3. Pradon disait : « il faut dire consacrer des veiiles, employer des veilles... je ne crois pas qu'un autre que Boileau ait jamais dit adresser des veilles. » C'est que Boileau a su développer le génie de notre langue. C'est une hardiesse heureuse pour le fruit de leurs veilles.

4. Pierre du Pelletier, parisien, misérable rimeur, faisait sa principale occupation de composer des sonnets à la louange de toute sorte de gens. Dès qu'il savait qu'on imprimait un livre, il ne manquait pas d'aller porter un sonnet à l'auteur pour avoir un exemplaire de l'ouvrage. Il gagnait sa vie à aller en ville enseigner la langue française aux étrangers. Saint-Marc. Son nom reviendra souvent dans les satires de Boileau. Corneille a célébré dignement les victoires du roi dans les poèmes composés à sa louange.

5. Pour rimer, parce qu'il rime.

6. Gène, torture, sens très rigoureux tiré de l'étymologie: Géhenne.

7. Horace (livre II, épître 1):

Edicto vetuit, ne quis se, præter Apellem,
Pingeret; aut alius Lysippo duceret æra
Fortis Alexandri vultum simulantia.

Despréaux avait mis d'abord :

Et j'approuve les soins de ce prince guerrier
Qui, craignant le pinceau d'un artiste grossier.
Voulut qu'Appelle seul exprimat son visage
Ou Lysippe en airain fit fondre son image.

1

Moi donc, qui connais peu Phébus et ses douceurs,
Qui suis nouveau sevré sur le mont des neuf sœurs,
Attendant que pour toi l'âge ait mûri ma muse,
Sur de moindres sujets je l'exerce et l'amuse:
Et tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les méchants par la peur des supplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices;
Et, gardant pour moi-même une juste rigueur,
Je confie au papier les secrets de mon cœur.
Ainsi, dès qu'une fois ma verve se réveille.
Comme on voit au printemps la diligente abeille •
Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des sottises du temps je compose mon fiel:
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine;
Et, sans géner ma plume en ce libre métier,
Je la laisse au hasard courir sur le papier.

2

1. Le Brun trouve dans ces vers des figures incohérentes, il est sûr qu'un bras qui va la foudre à la main n'est pas le modèle d'un bon style. Boileau disait pour s'excuser: « Il faut être poète pour sentir les beautés de ce vers, » et il cherchait à se justifier en citant ce vers de Racine :

Et mes derniers regards ont vu fuire les Romains.

cela risque fort de rappeler ce vers de Molière :

(BROSSETTE.)

Et moi je vous soutiens que mes vers sont fort bons.

2. Imité d'Horace (livre II, satire 1, v. 30. C'est ce qu'Horace disait du poète Lucilius. Selon Souchay (édit. de Paris 1740) Boileau devait ce vers à Montaigne.

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Mais moi, comme l'abeille de Matine, qui se fatigue à recueillir les sucs embaumés du thym, je ne compose pas sans peine, sous les ombrages, près des eaux du frais Tibur, mes vers laborieux. » (Patin, t. I, p. 311.)

La Fontaine (Épître à Huet):

Je suis chose légère et semblable aux abeilles,
A qui le bon Platon campare nos merveilles.

J.-B. Rousseau dans l'Ode au comte du Luc.

Et semblable à l'abeille en nos jardins éclose,
De différentes fleurs j'assemble et je compose
Le miel que je produis.

et dans son Epitre aux Muses, v. 341:

Tout vrai poète est semblable à l'abeille.
C'est pour nous seul que l'aurore s'éveille,
Et qu'elle amasse, au milieu des chaleurs,
Ce miel si doux tiré du suc des fleurs.

B. S. P.

Le mal est qu'en rimant, ma muse un peu légère
Nomme tout par son nom, et ne saurait rien taire. 1
C'est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans : *
Ils tremblent qu'un censeur, que sa verve encourage,
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage,
Et, fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la vérité. 3
Tous ces gens, éperdus au seul nom de satire,
Font d'abord le procès à quiconque ose rire :
Ce sont eux que l'on voit d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout est renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace
De jouer des bigots la trompeuse grimace.

5

Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux.

C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux cieux :

Mais, bien que d'un faux zèle ils masquent leur faiblesse,
Chacun voit qu'en effet la vérité les blesse :
En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu 6
Se couvre du manteau d'une austère vertu ;
Leur cœur, qui se connaît et qui fuit la lumière,
S'il se moque de Dieu, craint Tartufe et Molière :

Mais pourquoi sur ce point sans raison m'écarter?
Grand roi, c'est mon défaut, je ne saurais flatter :

1. L'auteur dit dans la première satire au vers 51:

Je ne puis rien nommer si ce n'est par son nom.

et Régnier (satire xv, v. 166.)

Mon vice est, mon ami, de ne pouvoir m'en taire.

2. Horace, épit. 1, 16, v. 44:

Sed videt hunc omnis domus et vicinia tota

Introrsum turpem, speciosum pelle decora,

3. Démocrite disait que la vérité était au fond d'un puits, et que personne ne l'en avait encore pu tirer.

BOILEAU.

4. Horace développe la même idée dans la satire 4 du 1er livre, vers 23 et

suivants :

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A ce moment même, 1665, le sieur de Rochemont publiat un odieux libclle sous le titre d'Observations sur le Don Juan.

5. Molière vers ce temps-là fit. jouer son Tartufe.

Boileau. Cette comédie

déjà composée en 1664, he put être jouée sans entrave qu'en 1669.

6. On a blámé cette expression on peut en rapprocher celle d'Homère. Iliade, livre I, v. 149, où Achille apostrophe ainsi Axamemnon · ȧva Sɛiŋy imicipsko, retėin d'impudence.

1

Je ne sais point au ciel placer un ridicule,
D'un nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule;
Et, sans cesse en esclave à la suite des grands,
A des dieux sans vertu prodiguer mon encens.
On ne me verra point d'une veine forcée,
Même pour te louer, déguiser ma pensée;

2

Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain,
Si mon cœur en ces vers ne parlait par ma main,
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui pût en ta faveur m'arracher une rime.

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Mais lorsque je te vois, d'une aussi noble ardeur,
T'appliquer sans relâche au soin de ta grandeur,
Faire honte à ces rois que le travail étonne, 5
Et qui sont accablés du faix de leur couronne ;
Quand je vois ta sagesse, en ses justes projets,
D'une heureuse abondance enrichir tes sujets,
Fouler aux pieds l'orgueil et du Tage et du Tibre,
Nous faire de la mer une campagne libre; 7
Et tes braves guerriers, secondant ton grand cœur,
Rendre à l'aigle éperdu sa première vigueur :

1. C'est-à-dire un homme ridicule (Molière, le Misanthrope):

Parbleu! je viens du Louvre où Cléante au levé,

Madame, a bien paru ridicule achevé.

2. Le mot vertu est pris dans son sens étymologique, sans force. Racine a dit de même :

Benjamin est sans force et Judas sans vertu.

3. Étrange figure que celle de ce cœur qui parle par la main. Pradon a dit : ⚫ d'ordinaire le cœur parle par la bouche: cela a du moins la grâce de la nouveauté. Le Brun y voit une heureuse hardiesse.

4. On ne voit pas bien comment une maxime pourrait arracher une rime; c'est bien plutôt rime qui amène ici maxime. dont on n'a que faire. Géruzez. On est porté croire que Boileau faisant allusion aux Maximes, alors en vogue, prend ce mot dans le sens d'axiome, de raison d'une grande autorité morale. Bossuet dit dans l'oraison funèbre du prince de Condé : « c'est la maxime qui fait les héros. »

5. C'est-à-dire frappe d'une sorte de terreur.

6. Le Tage pour l'Espagne, le Tibre pour l'Italie. Le roi se fit faire dans ce temps-là (1664) réparation de deux insultes faites à ses ambassadeurs à Rome et à Londres, et ses troupes envoyées au secours de l'Empereur défirent les Turcs sur les bords du Raab. Boileau. Ces insultes furent faites en 1662 et 1661 par ies Corses de la garde papale et par l'ambassadeur d'Espagne. BROSSETTE. 7. Victoire navale (1665) remportée sur Alger et Tunis, refuges des pirates barbaresques.

8. Allusion aux secours envoyés à l'Empereur et à la défaite des Turcs sur le Raab. L'Aigle figure dans les armes de l'Autriche. Il semblerait qu'il fallût écrire l'Aigle éperdue puisqu'il s'agit du sens figuré. Au temps de Boileau le genre de ce mot n'était pas encore bien fixé. J.-B. Rousseau a fait aussi aigle du masculin dans le sens figuré, et Féraud avait d'abord décidé (Dictionnaire grammatical) qu'aigle au figuré était des deux genres. B. S. P.

La France sous tes lois maîtriser la Fortune,

2

Et nos vaisseaux, domptant l'un et l'autre Neptune, 1
Nous aller chercher l'or, malgré l'onde et le vent,
Aux lieux où le soleil le forme en se levant :
Alors, sans consulter si Phébus l'en avoue,
Ma muse toute en feu me prévient et te loue, 3
Mais bientôt la raison, arrivant au secours,
Vient d'un si beau projet interrompre le cours,
Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte,
Que je n'ai ni le ton, ni la voix assez forte.
Aussitôt je n'effraye, et mon esprit troublé
Laisse là le fardeau dont il est accablé ;

Et, sans passer plus loin, finissant mon ouvrage,
Comme un pilote en mer, qu'épouvante l'orage,
Dès que le bord paraît, sans songer où je suis,
Je me sauve à la nage 3 et j'aborde où je puis.

5

1. L'Océan et la Méditerranée.

2. En l'année 1664, le roi établit la compagnie des Indes orientales, à laquelle il accorda de grands privilèges, fournit des sommes considérables, et prêta des vaisseaux pour le premier embarquement.

3. Me devance. S. MARC.

4. Horace dit de même à Auguste. Epit. II, I, v. 257 ;

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5. M. D. finit toutes ses satires comme un homme qui ne sait plus où il en est, et qui prend la première chose qu'il trouve, où il s'accroche pour se tirepromptement d'affaire. » Pradon. Il est certain qu'il y a un peu de fatigue dans cette fin. Elle se trahit par ce grand nombre de métaphores mal continuées et, voix, de fardeau et de pilote.

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