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Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint,'
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oserait balancer.

Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone :
Le Rhin à leur aspect d'épouvante frissonne,
Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé 2 sont passés;
Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,3

flèches, des boucliers et des autres armes anciennes. Suivant Louis Racine, Boileau ne se vantait que d'une chose d'en avoir parlé poétiquement et avec de nobles périphrases. Il a dit, satire vIII:

Épître IV:

C'était peu que sa main conduite par l'enfer
Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer, etc.

De cent foudres d'airain tournés contre sa tête.

Ode sur la prise de Namur, strophe 10:

Et les bombes, dans les airs
Allant chercher le tonnerre,
Semblent, tombant sur la terre,
Vouloir s'ouvrir les enfers.

Malherbe avait déjà dit:

1. Corneille :

Mais d'aller plus à ces batailles,
Où tonnent les foudres d'enfer,
Et lutter contre des murailles

D'où pleuvent la flamme et le fer, etc.

(Ode à la reine Marie de Médicis.)

Tout à coup il se montre (l'ennemi) et de ses embuscades
Il fait pleuvoir sur eux cent et cent mousquetades :
Le plomb vole, l'air siffle, et les plus avances
Chancellent sous les coups dont ils sont traversés.
Nogent, qui flotte encor dans les gouffres de l'onde,
En reçoit dans la tête une atteinte profonde;
Il tombe, l'onde achève, et, l'éloignant du bord,
S'accorde avec le feu pour cette double mort.

2. Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien, né en 1643, mort le 1er d'avril 1709, et fils de Louis II de Bourbon, prince de Condé (le grand Condé). né en 1621, mort le 11 de décembre 1686. (M. CHERON.) S'épand a vieilli, surtout au figuré. (FÉRAUD.) Il était encore très fréquent au xviie siècle :

Sur un bruit épandu que le destin et moi.

(CORNEILLE, Suite du Ment., II, II.)

Son amour épandu sur toute la famille.

(ID., Pol., V, vi.)

La terreur de son nom, qui devance ses armes,

Epandit dans ses rangs de si vives alarmes.

Océan qui sur tes rives

(PERRAULT, Poème de la Peint.)

Épands tes vagues plaintives.

(LAMART., Harm., II, XIII.)

Quel est sur votre front ce nuage épandu ?

(VICTOR HUGO, Ch. du Crépuscule, II, XIX.)

Bossuet dit de ce fils : « Le prince le mène aux leçons vivantes et à la pratique. Laissons le passage du Rhin, le prodige de notre siècle et de la vie de Louis le Grand. » (Oraison funèbre du prince de Condé.)

3. Bossuet a dit du même prince : « Son ombre eût pu encore gagner des

Force les escadrons, et gagne les batailles;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit.'
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne:
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.

Du fleuve ainsi dompté la déroute éclatante

A Wurts jusqu'en son camp va porter l'épouvante.
Wurts, l'espoir du pays, et l'appui de ses murs;

3

Wurts... Ah! quel nom, grand roi, quel Hector que ce Wurts!

Sans ce terrible nom, mal né pour les oreilles,

Que j'allais à tes yeux étaler de merveilles !
Bientôt on eût vu Skink dans mes vers emporté
De ses fameux remparts démentir la fierté;
Bientôt... Mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime.
Finissons, il est temps: aussi bien, si la rime
Allait mal à propos m'engager dans Arnheim,
Je ne sais pour sortir de porte qu'Hildesheim."

Oh! que le ciel, soigneux de notre poésie,
Grand roi, ne nous fit-il plus voisins de l'Asie!
Bientôt victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurais fourni des rimes à milliers.
Il n'est plaine en ces lieux si sèche et si stérile

5

batailles.» (Oraison funèbre du prince de Condé.) Corneille (Illusion, acte 11, scène 1) fait dire a son Capitan :

1.

Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,

Défait les escadrons et gagne les batailles.

Aux combats, dès l'enfance, instruit par la victoire.

(VOLTAIRE, Henriade, I, v. 26.)

2. Corneille avait rassemblé sur les bords du Rhin les månes de Drusus, de Varus, de Germanicus, de Jean d'Autriche, de Farnèse, de Tolède, des Nassau, pour voir faire au roi ce qu'eux tous n'ont pu faire; le Rhin passé, il ajoute :

Tandis que l'escadron, fier de cette déroute,

Mêle au sang hollandais les eaux dont il dégoutte,
De honte et de dépit les månes disparus

De ces bords asservis qu'en vain ils ont courus

Y laissent à mon roi, pour éternel trophée.

Leurs noms ensevelis et leur gloire étouffée.

Le vent s'est abattu, le Rhin s'est fait docile.

3. Commandant de l'armée ennemie. (BOILEAU, 1713.)- Wurts, qui comman dait le camp destiné à s'opposer au passage du Rhin, s'était acquis beaucoup de réputation en défendant Cracovie pour les Suédois, contre les impériaux. Il mou rut à Hambourg le 24 de mai 1676. (M. CHERON.)

4. Ce fort, qui passait pour imprenable, fut assiégé le 18 et pris le 21 de juin 1672. (M. CHERON.)

5. Ville considérable du duché de Gueldre, prise par Turenne le 14 de juin 1672. (M. CHERON.)

6. Petite ville de l'électorat de Trèves. (BROSSETTE.)

Qui ne soit en beaux mots partout riche et fertile. '
Là, plus d'un bourg fameux par son antique nom
Vient offrir à l'oreille un agréable son.

Quel plaisir de te suivre aux rives du Scamandre;
D'y trouver d'Ilion la poétique cendre;

De juger si les Grecs, qui brisèrent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours!
Mais pourquoi sans raison désespérer ma veine?
Est-il dans l'univers de plage si lointaine
Où ta valeur, grand roi, ne te puisse porter,
Et ne m'offre bientôt des exploits à chanter?
Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles:
Puisqu'ainsi dans deux mois tu prends quarante villes,
Assuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellespont."

ÉPITRE V.3

A M. DE GUILLERAGUES1

SECRÉTAIRE DU CABINET.

Esprit né pour la cour, et maître en l'art de plaire, Guilleragues, qui sais et parler et te taire,

5

1. Tanto est sermo græcus latino jucundior, ut nostri poetæ, quoties dulce carmen esse voluerunt, illorum id nominibus exornent. (QUINTILIEN, Instit. oratoires, liv. XII, ch. x.)

2. Tarare-ponpon, ajouta Bussy-Rabutin, qui d'ailleurs écrivit une lettre où toute l'épitre était amèrement censurée. Le P. Rapin et le comte de Limoges s'entremirent pour réconcilier Despréaux et Bussy qui, se craignant l'un l'autre, ne jugèrent pas à propos de continuer la querelle. (DAUNOU.) Il y a dans la Correspondance de Boileau une lettre à Bussy-Rabutin, du 25 de mai 1673.

Voir sur le passage du Rhin Mme de Sévigné, lettre du 3 juillet 1672; VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, ch. X.

3. Composée et publiée en 1674.

4. Gabriel-Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues, secrétaire des commandements du prince de Conti, secrétaire de la chambre et du cabinet du roi, ambassadeur à la cour ottomane, né à Bordeaux, mort d'apoplexie à Constantinople le 5 de décembre 1684. On citait ses mots d'esprit. Guilleragues disait hier que Pellisson abusait de la permission qu'ont les hommes d'ètre laids.» (Mme DE SÉVIGNE, lettre du 5 janvier 1674.) Mme de Caylus vante son esprit et ses chansons. Quand il partit pour Constantinople le roi lui dit : «... Si vous voulez vous acquitter à mon gré de votre ambassade, faites tout le contraire de ce qu'a fait votre prédécesseur (M. de Nointel). Sire, répondit-il, je ferai e sorte que Votre Majesté ne donne pas la même instruction à mon succes

seur. »

5.

......

Dicenda, tacendaque calles ?

(PERSE, sat. IV, v. 5.)

Apprends-moi si je dois ou me taire ou parler.
Faut-il dans la satire encor me signaler,

Et, dans ce champ fécond en plaisantes malices,
Faire encore aux auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non sans tumulte, on m'y vit éclater,

Quand mon esprit plus jeune, et prompt à s'irriter,
Aspirait moins au nom de discret et de sage;

Que mes cheveux plus noirs ombrageaient mon visage.1
Maintenant que le temps a mûri mes désirs,
Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs,
Bientôt s'en va frapper à son neuvième lustre, 2
J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre. 3
Que d'une égale ardeur mille auteurs animés
Aiguisent contre moi leurs traits envenimés ;

4

Que tout, jusqu'à Pinchêne, et m'insulte et m'accable:
Aujourd'hui vieux lion, je suis doux et traitable; "
Je n'arme point contre eux mes ongles émoussés.
Ainsi que mes beaux jours mes chagrins sont passés: 6
Je ne sens plus l'aigreur de ma bile première,
Et laisse aux froids rimeurs une libre carrière.

Ainsi donc, philosophe à la raison soumis,
Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis,"
C'est l'erreur que je fuis; c'est la vertu que j'aime.

1. Ses cheveux commençaient à blanchir. (BROSSETTE.)

2. A la quarante-et-unième année. (BOILEAU, 1713.) Il n'avait alors que trente-huit ans. (BROSSETTE.) Il était né le 1er novembre 1636, et l'épître v fut composée en 1674.

3. Embarras illustre, l'expression est hardie; elle est heureuse. (SAINT-MARC.) Certainement, illustre est pris dans son sens étymologique : qui met en lumière. 4. Pinchesne était neveu de Voiture. (BOILEAU, 1713.). Estienne Martin, seigneur de Pinchesne, né à Amiens qui, dit le Catalogue manuscrit de la Bibliothèque nationale, s'imaginait avoir de l'esprit, parce qu'il était neveu de Voiture,» a publié Poésies héroïques; Poésies mêlées; Amours et poésies chrétiennes. Paris, A. Cramoisy, 1670, 1672 et 1674, in- 4°; etc. « Ses poésies, ajoute le catalogue déjà cité, n'ont rien de recommandable que la rime, qui est fort froide.» Pinchesne, peu de temps après la publication de cette épître (1675), répondit à Boileau. Il lui dit : De quoi te plains-tu?

Si le commun persécuteur

Des beaux esprits en toi je fronde,

Je n'insulte qu'un insulteur.

5. Allusion à la fable du Lion devenu vieux. (PHÈDRE, I, 20; LA FONTAINE, III, 14. 1668.)

6. De 1674 à 1713 on a toujours imprimé :

Ainsi que mes chagrins mes beaux jours sont passés.

(BERRIAT-SAINT-PRIX.)

7. L est aussi l'idée qu'Horace développe dans la plupart de ses épîtres :

Spectatum satis et donatum jam rude quæris,
Maecenas, iterum antiquo me includere ludo:
Non eadem est ætas, non mens...

Nunc itaque et versus et cetera ludicra

pono,

Quid verum atque decens curo et rogo et omnis in hoc sum.

(Epitre 1, liv. I, v. 2.)

Je songe à me connaître, et me cherche en moi-même :
C'est là l'unique étude où je veux m'attacher.
Que, l'astrolabe1 en main, un autre aille chercher
Si le soleil est fixe ou tourne sur son axe,

Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe; 2
Que Rohaut vainement sèche pour concevoir
Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir;
Ou que Bernier compose et le sec et l'humide
Des corps ronds et crochus errants parmi le vide :*
Pour moi, sur cette mer qu'ici-bas nous courons,
Je songe à me pourvoir d'esquif et d'avirons,
A régler mes désirs, à prévenir l'orage,
Et sauver, s'il se peut, ma raison du naufrage.

C'est au repos d'esprit que nous aspirons tous,
Mais ce repos heureux se doit chercher en nous.
Un fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne,
Et malade à la ville ainsi qu'à la campagne,
En vain monte à cheval pour tromper son ennui,

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1. L'astrolabe sert à mesurer la hauteur des astres au-dessus de l'horizon. Me de la Sablière a dit que le poète parlait de l'astrolabe sans le connaître. 2. La parallaxe (ce mot est feminin) est la différence entre le lieu apparent et le lieu véritable d'un astre, c'est à-dire entre la place que semble occuper l'astre vu de la surface de la terre et celle qu'il occuperait vu du centre. (BROSSETTE.) On dit que Mme de la Sablière releva la faute que Boileau avait commise en faisant ce mot du masculin et qu'elle s'attira le portrait malicieux que Bo'leau fit d'elle dans la Satire X.

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r'ameux cartésien. (BOILEAU, 1713.) Jacques Rohault, professeur de la philosophie cartésienne, gendre de Cl. Clerselier, autre cartésien, né à Amiens en 1620, mort à Paris en 1675. On a de lui: un Traité de Physique. Paris, Thierry, 1671, in-4°.

4. Célèbre voyageur qui a composé un abrégé de la philosophie de Gassendi. (BOILEAU, 1713.) - François Bernier, médecin et voyageur, né à Angers, mort à Paris le 22 de septembre 1688. Il était en relation avec les personnages les plus illustres de son temps. Il a publié: Histoire de la dernière révolution des États du Grand-Mogol. Paris, 1670 et 1671, 4 vol. in-12; l'Abrégé de la philosophie de Gassendi. Lyon, 1678, 8 vol. in-12.

5. S'il y a quelque vide dans la nature, ou si tout est absolument plein, c'est une question qui a partagé les philosophes anciens et modernes, et particulièrement les deux plus célèbres philosophes du dernier siècle, Descartes et Gassendi. Notre auteur les désigne en citant leurs plus déclarés partisans. Rohaut dit avec Descartes que, tout espace étant corps, ce qu'on appelle vide serait espace et corps par conséquent, et qu'ainsi non-seulement il n'y a pas de vide, mais qu'il n'y en peut pas même avoir. Bernier, au contraire, veut, après Gassendi, que tout soit composé d'atomes indivisibles qui errent dans un espace vide infini, et que ces atomes ne puissent se mouvoir sans laisser nécessairement entre eux de petits espaces vides. (SAINT-MARC.)

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