Le moment où je parle est déjà loin de moi . Mais quoi! toujours la honte en esclaves nous lie, 1. Perse, sat. v. (BOILEAU, 1713.) — Vers 153: Vive memor lethi, fugit hora: hoc quod loquor inde est. M. Sainte-Beuve raconte, d'après Brossette, l'anecdote suivante: «L'auteur qui se levait fort tard, très peu janséniste en ce point, était au lit quand il récita pour la première fois son épître à Arnauld qui l'était venu voir un peu matin. 11 disait à merveille, et quand il en fut à ce vers: Le moment où je parle..... il le récita d'un ton si léger et si rapide, qu'Arnauld transporté, et assez neuf à l'effet des beaux vers français, se leva brusquement de son siège, et fit deux ou trois tours de chambre, comme pour suivre ce moment qui fuyait. » (Sainte-Beuve, Port-Royal, V, p. 334.) 2. « Ce mot, dit Vaugelas, exprime une chose pour laquelle nous n'en avions point encore qui fût si propre et si significatif : parce que honte est un terme équivoque qui désigne la bonne et la mauvaise honte, au lieu que pudeur ne désigne que la bonne honte. » Ce terme a été introduit dans notre langue par Desportes. 3. Le passage suivant est imité en partie de plusieurs autres de Virgile, d'IIorace et d'Ovide: Ce Molli paulatim flavescet campus arista, Non rastros patietur humus, non vinea falcem, (VIRGILE, églogue IV, v. 20-03.) Omnia liberius, nullo poscente, ferebat. Reddit ubi cererem tellus inarata quotannis, (HORACE, épode XVI, v. 43-44.) Mollia securæ peragebant otia gentes. Ipsa quoque immunis, rastroque intacta, nec ullis 4. Virgile, Georgiques, I, 45 : ella. (OVIDE, Métam., I, v. 100 112.) Depresso incipiat jam tum mihi taurus aratro que Delille traduit ainsi : Que j'entende le bœuf gémir sous l'aiguillon. "Voilà la contre-partie du vers léger de tout à l'heure. On ne nous dit pas si, ▲ ce traînant passage, Arnauld, comme surchargé, se renfonça dans son fau La vigne offrait partout des grappes toujours pleines, La peste en même temps, la guerre et la famine? teuil, ou s'il battit lentement la mesure. Ces deux vers une fois emportés (qui sont les deux points extrêmes du tableau, le point clair et le point sombre), Bor leau tenait son affaire, il avait touché son but; il ne s'agissait plus que de fair décemment et sans trop de chute. (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, V, p. 334.) 1. 2. Tum primum siccis aer fervoribus ustus Canduit, et ventis glacies adstricta pependit: (OVIDE, Métam., I, v. 119-121.) (VIRGILE, Georgiques, I, v. 127-131.) Mox et frumentis labor additus: ut mala culmos Carduus... (VIRGILE, Géorgiques, I, v. 160-152.) ....... Macies et nova febrium (HORACE, liv, I, ode 1, v. 30-31.) 3. Rimes autrefois exactes parce que primitivement la prononciation des deut mots était la même (parouétre, clouétre). De là vient que dans nos vieux poetes histoire (histouère) rime avec douaire, paroisse (parouesse) avec pécheresse. François (Fransoués) avec lois (loués). L'usage a maintenu quelques-unes de ces rimes au XVIIe siècle, même après que la prononciation, d'abord semblable, fût devenue différente. (V. GÉNIN, Var. du lang. fr., p. 300.) Note de M. Ch. Aubertin. Édit. classique, Eug. Belin. Depuis on n'a point vu de cœur si détaché 1 2 1. Terme mystique : qui est dans le détachement, qui n'a plus d'attachemcat. Il est toujours en soi détaché de soi-même. (Conn. Imitat., I, 3.) «Ce ministre si fortuné et si détaché tout ensemble.» (Boss., Or. fun. de Le Tellier.) 2. Nequicquam cœno cupiens evellere plantam. (HORACE, liv. II, sat. vii, v. 27.) Ce dernier hémistiche était, à ce qu'il paraît, difficile à trouver. J'arrache un pied timide... Il fallait finir, faire tomber ce pied d'accord avec la rime. Boileau consulta Racine qui n'en vint pas à bout; mais quand Raeine revint le lendemain, Boileau lui cria du plus loin qu'il l'aperçut : Et sors en m'agitant; il s'était tiré du mauvais pas poétique, du limon prosaïque qui ne l'embarrassait certes pas moins que l'autre limon. Nous tenons par cette seule épître bien des Secrets du métier. (SAINTE-BEUVE, Port-Royal.) 3. Voici l'appréciation générale de cette épitre par M. Sainte-Beuve : « Cette épitre, quelque bonne volonté que nous y mettions, ne peut nous paraître forte de philosophie et de pensée; mais elle reste marquée de beaux vers. Elle n'est pas des meilleures de Boileau, elle n'est pas des pires. Le poète y veut soutenir que la mauvaise honte est la cause de tous les maux, de tous les vices, de tous les rimes à la bonne heure! C'est ainsi que, plus tard, il s'en prit à l'équivoque comme à la peste universelle. Mais on ne doit considérer l'idée que comme un thème propre à enchâsser et encadrer deux ou trois petits tableaux, un moyen de faire passer devant le poète quelques images et développements qui prêtent aux beaux vers: souvent l'idée générale n'est pas autre chose chez Boileau. Molière et La Fontaine prennent l'homme et la nature humaine par des ouvertures bien autrement larges et franches, véritablement par le flanc et par les entrailles; non point Boileau. » (Port-Royal, V, p. 332.) ÉPITRE IV1. AU LECTEUR. Je ne sais si les rangs de ceux qui passèrent le Rhin à la nage devant Tholus sont fort exactement gardés dans le poème que je donne au public; et je n'en voudrais pas être garant, parce que franchement je n'y étais pas, et que je n'en suis encore que fort médiocrement instruit. Je viens même d'apprendre en ce moment que M. de Soubise 3, dont je ne parle point, est un de ceux qui s'y est le plus signalé. Je m'imagine qu'il est ainsi de beaucoup d'autres, et j'espère de leur faire justice dans une autre édition. Tout ce que je sais, c'est que ceux dont je fais mention ont passé des premiers. Je ne me déclare donc caution que de l'histoire du fleuve en colère, que j'ai apprise d'une de ses naïades, qui s'est réfugiée dans la Seine. J'aurais bien pu aussi parler de la fameuse rencontre qui suivit le passage; mais je la réserve pour un poème à part. C'est là que j'espère rendre aux mânes de M. de Longueville l'honneur que tous les écrivains lui doivent, et que je peindrai cette victoire qui fut arrosée du plus illustre sang de l'univers; mais il faut un peu reprendre haleine pour cela 5. AU ROI. En vain, pour te louer, ma muse toujours prêt 1. Composée au mois de juillet 1672 et publiée au mois d'août de la même année. (BROSSETTE.) 2. Texte de la première édition séparée, 1672. 3. François de Rohan, prince de Soubise, second fils d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon et de Marie de Bretagne-Vertus, mort le 24 août 1712, dans sa quatre-vingt-huitième année. Il traversa le Rhin à la nage à la tète des gen darmes de la garde, dont il était capitaine-lieutenant. 4. Charles-Paris d'Orléans, duc de Longueville et d'Estouteville, né le 29 de janvier 1649, tué au passage du Rhin le 12 de juin 1672, au moment où il allait être élu roi de Pologne. Cf. lettres de M. de Sévigné des 17 et 20 de juin, et 3 de juillet 1672. 5. Il n'a point exécuté ce projet. 6. En 1672 le roi avait déclaré la guerre aux Hollandais. Turenne, Condé, Luxembourg commandaient les trois corps d'armée que Louis avait formés pour cette expédition. La campagne ne dura que deux mois. Le roi conquit dans ce peu de temps trois provinces et prit plus de quarante villes Des villes que tu prends les noms durs et barbares 3 Pour trouver un beau mot, courir jusqu'au Tessel. Encor si tes exploits, moins grands et moins rapides, Par quelque coup de l'art nous pourrions nous sauver. 1. Quid cupis in nostris dicique legique libellis, Et nonnullus honor creditur esse tibi : Ne valeam, si non res est gratissima nobis Et volo te chartis inseruisse meis. Sed tu nomen habes averso fonte sororum Quod nec Melpomene, quod nec Polyhymnia possit, Ergo aliquod gratum Musis tibi nomen adopta: (MARTIAL, liv. IV, épigr. xxxI.) 2. Nous unissons dans une seule note tous ces noms qui faisaient le désespoir du poète. Issel, rivière de Hollande qui se jette dans le Zuiderzée; Tessel, ile hollandaise de l'océan Germanique; Woerden, ville forte de la Hollande, sur le Rhin; Heusden, autre ville de Hollande; Docsbourg, prise par Monsieur, le 22 de juin 1672; Zutphen, capitale du comté de ce nom, prise par Monsieur, le 26 de juin; Wageninghem, Harderwic, villes du duché de Gueldre, qui se rendirent les 22 et 23 de juin; Knotzembourg, fort sur le Wahal, assiégé le 15, pris le 17 de juin par Turenne; le Wahal et le Lech sont deux branches du Rhin qui se mêlent à la Meuse. (M. CHÉRON.) 3. Boileau pålit au seul nom de Voërden; Avec d'Estrée à Rosmal s'avancer? La gloire parle, et Louis me réveille; (VOLTAIRE, Epitre à la duchesse du Maine.) 4. « La difficulté vaincue, dit Le Brun, rend ces deux vers doublement plaisants. » |