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On ne vit plus que haine et que division,
Qu'envie, effroi, tumulte, horreur, confusion '.
Le véritable honneur sur la voûte céleste
Est enfin averti de ce trouble funeste.

Il part sans différer, et, descendu des cieux,
Va partout se montrer dans les terrestres lieux :
Mais il n'y fait plus voir qu'un visage incommode;
On n'y peut plus souffrir ses vertus hors de mode;
Et lui-même, traité de fourbe et d'imposteur,
Est contraint de ramper aux pieds du séducteur.
Enfin, las d'essuyer outrage sur outrage,

Il livre les humains à leur triste esclavage;
S'en va trouver sa sœur, et dès ce même jour 2,
Avec elle s'envole au céleste séjour.
Depuis, toujours ici riche de leur ruine,
Sur les tristes mortels le faux honneur domine,
Gouverne tout, fait tout, dans ce bas univers;
Et peut-être est-ce lui qui m'a dicté ces vers
Mais en fût-il l'auteur, je conclus de sa fable
Que ce n'est qu'en Dieu seul qu'est l'honneur véritable.

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De duro est ultima ferro (atas).
Protinus irrupit venæ pejoris in ævum
Omne nefas; fugere pudor, verumque, fidesque;
In quorum subiere locum fraudesque, dolique,
Insidiæque, et vis et amor sceleratus habendi.
Vivitur ex rapto : non hospes ab hospite tutus;
Non socer a genero: fratrum quoque gratia rara est.
Imminet exitio vir conjugis, illa mariti;

Filius ante diem patrios inquirit in annos.

(OVIDE, Métamorphoses, livre I, v. 128.)

2. Il y a là une suite de vers prosaïques. Le Brun fait remarquer que ce. hémistiche, S'en va trouver sa sœur, a une lenteur opposée à l'action du per

sonnage.

3. Dans une satire contre l'honneur, Régnier avait dit :

Mais, mon Dieu! que ce traistre est d'une étrange sorte!
Tandis qu'à le blasmer la raison me transporte,

Que de lui je mesdis, il me flatte et me dit
Que je veux par ces vers acquérir son crédit.

(REGNIER, satire vi, vers 229-232.)

Ipsi illi philosophi, etiam in illis libellis quos de contemnenda gloria scribunt, nomen suum inscribunt... prædicari de se volunt.

(CICERON, Pro Archia poeta.)

Ce que Pascal traduit ainsi : « Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit, et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi qui écris ceci, j'ai peut-être cette envie; et peut-être ceux qui le liront l'auront aussi. >>

AVIS AU LECTEUR

Je m'étais persuadé que la fable de l'huître, que j'avais mise à la fin de cette épître au roi, pourrait y délasser agréablement l'esprit des lecteurs qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avais mise semblait me mettre 2 à couvert d'une faute dont je faisais voir que je m'apercevais le premier; mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé longtemps si je l'ôterais, parce qu'il y en avait plusieurs qui la louaient avec autant d'excès que les autres la blâmaient; mais enfin je me suis rendu à l'autorité d'un prince3 non moins considérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très bien contée, ne lu semblait pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résisté; j'ai mis une autre fin à ma pièce, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques 5. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parce que mon style bon ou mauvais est aisé à reconnaître ; mais comme le nombre des sots est fort grand, et qu'ils pourraient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces qui sont dans ce livre, il n'y a rien de moi entre les mains du public, ni imprimé, ni en manuscrit.

1. Cet Avis a paru en tête de la 2e édition séparée (1672) de l'épître Ir. 2. Voilà une prose bien négligée.

3. Le grand Condé.

4. Boileau a replacé cette fable dans l'épitre II.

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5. La même désignée dans le Catalogue du Boileau, comme faite contre frais des enterrements; cette pièce, connue sous le nom de Satire contre les maltotes, attaque surtout ces frais. On l'attribue au P. Louis de Sanlecque, cependant elle n'a jamais été impriméc parmi ses œuvres. (M. CHERON.)

6. Discours au roi, satires I à IX, épitre Ire. Le discours sur la satire y est *oint.

ÉPITRES

ÉPITRE I1

AU ROI.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire
Pour toi seul désormais j'avais fait vœu d'écrire.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: Arrête, insensé ; que fais-tu ? 2
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?
Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages. 3

4

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Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char, Je ne pusse attacher « Alexandre » et « César; Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide T'exalter aux dépens et de «< Mars » et « d'Alcide, » Te livrer le « Bosphore », et, d'un vers incivil, Proposer au «< sultan » de te céder le Nil;

1. Composée après le traité d'Aix-la-Chapelle en 1668, à la demande de Colbert, détourner le roi de la guerre. Cette épître a été présentée à Louis XIV par Mme de Thianges, sœur de Mme de Montespan.

pour

2.

3.

Cum canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit et admonuit.

(VIRGILE, Églogue VI, v. 3-4.)

Où vas-tu t'embarquer? regagne le rivage.

Cette mer où tu cours est célèbre en naufrage.

Telle est, selon Brossette, la première leçon; mais à l'impression, Boileau mit les deux rimes au pluriel (les rivages... naufrages) et on les lit ainsi aux éditions de 1672 à 1698. Desmarets observa: 1° que rivages au pluriel ne valait rien, parce qu'il suffit à un vaisseau en danger de gagner un port ou un rivage; 20 que, dès que le poète n'était pas encore embarqué, il ne pouvait regagner le vage... Pradon renouvela cette critique, dont on voit que Boileau à profité. BERRIAT SAINT-PRIX.)

4. Corneille avait dit en 1650:

Je lui montre Pompée, Alexandre, César,
Mais comme des héros attachés à son char.
(Prologue d'Andromède.)

Qu'un jour Alexandre et César
Sembleraient les vaincus attachés à son cnar.

Treize ans après il rappelait cet éloge :

Édition antérieure à 1701:

(CORNEILLE, Remerciement au roi, 1663.)

Ce n'est pas que ma main, comme un autre, à ton char
Grand roi, ne pût lier Alexandre et César;

Ne pût, sans se peiner, dans quelque ode insipide, etc.

Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire ;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents
Phébus même aurait peur s'il entrait sur les rangs;
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace ;
Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.

Est-ce la cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devait des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformait tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous !
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris « Memphis » et « Byzance »,
Sur les bords de « l'Euphrate » abattu le « turban »,
Et coupé, pour rimer, « les cèdres du Liban » ? 1
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées ?

Que répondrais-je alors? Honteux et rebuté,
J'aurais beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique :
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller du récit de ta gloire immortelle
Habiller chez Francœur 2 le sucre et la cannelle.

1. Allusion à ces vers:

O combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban!
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bosphore en ses deux rives
Aura de sultanes captives!
Et que de mères à Memphis,
En pleurant, diront la vaillance
De son courage et de sa lance
Aux funérailles de leur fils!

(MALHERBE, Ode à Marie de Médicis.)

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Boileau se souvenait sans doute de cette critique de Théophile contre Malherbe et son école :

Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourra s'apparier la rime de Memphis;

Ce Liban, ce turban, et ces rivières mornes,
Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes.

2. Claude Julienne, dit Francœur, épicier, fournisseur de la maison du roi, demeurait rue Saint-Honoré, devant la croix du Trahoir (à la hauteur de la rue de l'Arbre-Sec), à l'enseigne du Franc-Cœur. L'un de ses ancêtres devait ce sur nom de Francœur à Henri III, qui dit un jour : « Julienne est un franc cœur. »> Despréaux ignorait ce détail; ce fut Brossette qui le lui apprit.

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Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart le silence prudent : 1

Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

Malgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.
Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile, *
Des vertus de mon roi spectateur inutile,
Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer
Que ma tremblante voix commence à se glacer?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle
N'ose le suivre aux champs de Lille et de Bruxelle, 2
Sans le chercher aux bords de l'Escaut et du Rhin,
La paix l'offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les sièges, les batailles :
Qu'un autre aille en rimant renverser des murailles :
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S'aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
A quoi bon, d'une muse au carnage animée,
Échauffer ta valeur, déjà trop allumée?
Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.

Deferar in vicum vendentem thus et odores,
Et piper, et quidquid chartis amicitur ineptis.

(IlORACE, 1. II, épît. 1, v. 267-270.)

Valentin

1. Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (BOILEAU, 1713.) Conrart, chez qui s'asseinblaient les littérateurs qui furent le noyau de l'Académie française, naquit à Paris en 1603 et mourut le 23 de septembre 1675. Il était calviniste. Conrart n'a publié de son vivant que quelques pièces détachées, jointes à d'autres ouvrages. Depuis il a paru en 1681, in-12: Lettres familières de Con rart à M. Félibien, et en 1825, dans la Collection Petitot: Mémoires sur l'his toire de son temps. La Bibliothèque de l'Arsenal possède les papiers de Conrart (M. CHÉRON.)

Linière avait déjà

dit du même personnage :

Conrart, comment as-tu pu faire
Pour acquérir tant de renom,
Toi qui n'as, pauvre secrétaire,
Jamais imprimé que ton nom?

2. Infertile était d'un grand et bel usage en poésie ;
Et comme mes soupirs ma peine est infertile.

(REGNIER, Élég., I.)
Sus donc, ne perdons plus en discours infertiles
Ce temps qu'il faut donner aux effets plus utiles.
(MAIRET, Sophonisbe, v. 5.)

André Chénier s'en est également servi :

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Sans l'amitié, quel antre ou quel sable infertile
N'eût été pour le sage un désirable asile ?

Epithète trop peu usitée de nos jours, dit Le Brun; par oubli ou par dédair nous négligeons souvent nos richesses. >>

3. Allusion à la campagne de Flandre, faite en 1667.

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