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Là, tous les vers sont bons, pourvu qu'ils soient nouveaux.
Au mauvais goût public la belle y fait la guerre;
Plaint Pradon1 opprimé des sifflets du parterre;
Rit des vains amateurs du grec et du latin;
Dans la balance met Aristote et Cotin;
Puis, d'une main encor plus fine et plus habile,
Pèse sans passion Chapelain et Virgile; *

Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés.
Mais pourtant confessant qu'il a quelques beautés,
Ne trouve en Chapelain, quoi qu'ait dit la satire,
Autre défaut, sinon qu'on ne le saurait lire;
Et, pour faire goûter son livre à l'univers,
Croit qu'il faudrait en prose y mettre tous les vers.

LA FEMME DE CONDITION.

quoi bon m'étaler cette bizarre école
Du mauvais sens, dis-tu, prêché par une folle?
De livres et d'écrits bourgeois admirateur,
Vais-je épouser ici quelque apprentive auteur ?
Savez-vous que l'épouse avec qui je me lie
Compte entre ses parents des princes d'Italie;
Sort d'aïeux dont les noms...? Je t'entends, et je voi
D'où vient que tu t'es fait secrétaire du roi :

Il fallait de ce titre appuyer ta naissance. 5
Cependant (t'avouerai-je ici mon insolence?),

1. Il s'agit ici de Mme Deshoulières. « Fille de Du Ligier, seigneur de la Garde, et mariée fort jeune à un lieutenant-colonel, elle entra dans le monde avec tous les avantages que donnent le rang, la naissance, l'esprit et la beauté. Elle eut de bonne heure un goût très vif pour la poésie, et apprit promptement, et au milieu de la dissipation et des plaisirs, le latin, l'italien, l'espagnol. » (WALCKENAER Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine.) -Tout le monde connait le fameux sonnet de Mme Deshoulières contre la Phèdre de Racine.

2. Ces vers font allusion aux jugements de Perrault sur les anciens et les modernes.

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3. Apprentif, et au féminin apprentive, c'était la forme ancienne de ce mot. L'un et l'autre aujourd'hui sont inusités. L'étymologie est apprendre, par cet adjectif de basse latinité apprehendivus. La poésie doit regretter le féminin apprentive.

4. Voi, ancienne orthographe plus conforme que la nouvelle à l'analogie latine video, je voi, l's étant réservée à la 2e personne, vides, tu vois.

5. Brossette cite un Georges d'Entrague qui, s'étant enrichi dans la recette gé nérale des aides de Paris, s'anoblit au moyen d'une charge de secrétaire du roi, pour épouser une demoiselle de condition. (SAINT-SURIN.) On peut voir dans les Mémoires de Saint-Simon, t. I, p. 221, l'histoire de Dangeau, qui ressemble un peu à celle-là.

Si quelque objet pareil chez moi, deçà les monts,
Pour m'épouser entrait avec tous ces grands noms,
Le sourcil rehaussé d'orgueilleuses chimères,
Je lui dirais bientôt : Je connais tous vos pères;
Je sais qu'ils ont brillé dans ce fameux combat 1
Où sous l'un des Valois Enghien sauva l'État.

D'Hozier n'en convient pas; mais, quoi qu'il en puisse être,
Je ne suis point si sot que d'épouser mon maître. "
Ainsi donc, au plus tôt délogeant de ces lieux,
Allez, princesse, allez, avec tous vos aïeux,
Sur le pompeux débris des lances espagnoles,
Coucher, si vous voulez, aux champs de Cérisoles.

SATIRE XI.
(1698)

A MONSIEUR DE VALINCOUR®.

CONSEILLER DU ROI EN SES CONSEILS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA MARINE

ET DES COMMANDEMENTS DE MONSEIGNEUR LE COMTE DE TOULOUSE.

Oui, l'honneur, Valincour, est chéri dans le monde :

1. Combat de Cérisoles, gagné par le duc d'Enghien en Italie. (BOILEAU, 1713.) -Le 14 avril 1545.

2. Dans l'édition de 1694, il y avait : Varillas n'en dit rien. On aurait pu croire que Varillas ne parlait pas de ce fameux combat. Brossette le fit observer à Boileau, qui fit ce changement d'autant plus heureux qu'il s'agit ici d'an point de généalogie.

3. Uxorem quare locupletem ducere nolim

Quæritis? Uxori nubere nolo meæ.

(MARTIAL, livre VIII, épig. x.)

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La finesse de cette épigramme réside dans les mots ducere et nubere, ducere Convient à l'homme, nubere se dit de la femme. Voir les raisons données par Mae Jourdain pour ne pas vouloir un gendre gentilhomme. (MOLIÈRE, le Bourgeois gentilhomme.) « Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes touJours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille procher ses parents, et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler and maman... je veux un homme en un mot qui m'ait obligation de ma fille, et a qui je puisse dire :- Mettez-vous là, mon gendre, et dinez avec moi. » (Acté Ill, scène XII.)

4.

Quis ferat uxorem, cui constant omnia? Malo,

Malo Venusinam, quam te, Cornelia mater
Gracchorum, si cum magnis virtutibus affers
Grande supercilium, et numeras in dote triumphos.

Tolle tuum, precor, Annibalem, victumque Syphacem

In castris, et cum tota Carthagine migra.

(JUVENAL, satire vi, v. 176-171.)

5. Composée en 1698, à l'occasion du procès intenté aux Boileau sur leur noblesse, par une compagnie de financiers.

6. Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, de l'Académie française et de

Chacun, pour l'exalter, en paroles abonde;
A s'en voir revêtu chacun met son bonheur;
Et tout crie ici-bas: L'honneur! vive l'honneur!
Entendons discourir, sur les bancs des galères,
Ce forçat abhorré, même de ses confrères;
Il plaint, par un arrêt injustement donné,
L'honneur en sa personne à ramer condamné:1
En un mot, parcourons et la mer et la terre;
Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre,
Courtisans, magistrats: chez eux, si je les croi,2
L'intérêt ne peut rien, l'honneur seul fait la loi.

Cependant, lorsqu'aux yeux leur portant la lanterne,'
J'examine au grand jour l'esprit qui les gouverne,
Je n'aperçois partout que folle ambition,
Faiblesse, iniquité, fourbe, corruption, *

4

Que ridicule orgueil de soi-même idolâtre.

Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre, "
Où chacun en public, l'un par l'autre abusé,
Souvent à ce qu'il est joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage,
Impudemment le fou représenter le sage,
L'ignorant s'ériger en savant fastueux,

6

Et le plus vil faquin trancher du vertueux.

7

celle des sciences, né à Paris en 1653, mort en 1730. On a de lui: Lettre à Mme la marquise de... sur la princesse de Clèves. Paris, 1678, in-12; la Vie de François de Lorraine, duc de Guise. Paris, 1681, in-12; des observations sur l'Edipe de Sophocle, quelques traductions en vers, des contes, etc. (M. CHERON.)

Voici ce qu'en dit Voltaire : « Une épître que Despréaux lui a adressée fait sa plus grande réputation. On a de lui quelques petits ouvrages: il était bon littérateur. Il fit une assez grande fortune, qu'il n'eût pas faite s'il n'eût été qu'homme de lettres. Les lettres seules, dénuées de cette sagacité laborieuse qui rend un homme utile, ne procurent presque jamais qu'une vie malheureuse et méprisée. »

du

1. Suivant Brossette, le duc d'Ossone, vice-roi de Naples et de Sicile, visitant un jour les galères du port, eut la curiosité d'interroger les forçats sur les causes de leur détention. Ils étaient tous, à les entendre, les plus honnêtes gens monde. Un seul eut la franchise d'avouer qu'il aurait été pendu, si on lui avait rendu justice. « Qu'on m'ôte d'ici ce coquin-là, dit le duc en lui rendant la liberté, il gåterait tous ces honnêtes gens. »>

2. Nous avons expliqué cette forme, satire vIII, v. 9, et satire x, 3° fragment. 3. Allusion au mot de Diogène le Cynique, qui portait une lanterne en plein jour, et qui disait qu'il cherchait un homme. (BOILEAU, 1713.) 4. Le Misanthrope dit aussi chez Moliere :

Je ne trouve partout que tâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie.

5. Petrone a dit : « Mundus universus exercet histrioniam. »
6. Fastueux, qui fait étalage de son savoir.

7. Trancher du vertueux, c'est prendre des airs de vertu. Corneille dit: trancher du nouveau gouverneur (Theodore, acte 1, scène n); tranchant des entendus (Le Menteur, acte III, scène 11), Voltaire dit que c'est une expression familière.

1

Mais, quelque fol espoir dont leur orgueil les berce
Bientôt on les connaît, et la vérité perce. 1
On a beau se farder aux yeux de l'univers :
A la fin sur quelqu'un de nos vices couverts
Le public malin jette un œil inévitable;

Et bientôt la censure, au regard formidable, 2
Sait, le cravon en main, marquer nos endroits faux,
Et nous développer avec tous nos défauts. 3
Du mensonge toujours le vrai demeure maître ;

Pour paraître honnête homme, en un mot, il faut l'être ;*
Et jamais, quoi qu'il fasse, un mortel ici-bas

Ne peut aux yeux du monde être ce qu'il n'est pas.
En vain ce misanthrope aux yeux tristes et sombres
Veut, par un air riant, en éclaircir les ombres :
Le ris sur son visage est en mauvaise humeur ;
L'agrément fuit ses traits, ses caresses font peur;
Ses mots les plus flatteurs paraissent des rudesses
Et la vanité brille en toutes ses bassesses."
Le naturel toujours sort et sait se montrer:
Vainement on l'arrête, on le force à rentrer;

1. Il ne faut pas négliger de remarquer la richesse des rimes chez Boileau; c'est un mérite de sa poésie. Lucrèce a dit :

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2. Il y avait d'abord épagneule admirable. Boileau a bien fait de changer cet hémistiche.

3. Développer, c'est-à-dire ôter l'enveloppe, est ici d'une justesse très heureuse. Horace a dit de Lucilius, un poète satirique :

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4. Ce vers fait honneur au poète. Voltaire le cite avec beaucoup d'autres du même genre, et il ajoute : « Voilà ce qu'on doit appeler des maximes dignes des honnêtes gens. »

5. Brossette nous apprend que l'auteur ne manquait jamais de dire, en récitant ce vers: En vain ceux Caton, et désignait ainsi, suivant L. Racine, le premier président de Harlay, qui, auditeur immobile de la satire IX, s'était contenté de dire froidement après la lecture: Voilà de beaux vers. Voici quelques-uns des traits de son caractère empruntés à Saint-Simon : « D'ailleurs sans honneur effectif, sans mœurs dans le secret, sans probité qu'érieure, sans humanité même ; en un mot un hypocrite parfait, sans foi, sans lot, sans Dieu et sans âme, cruel mari, père barbare, frère tyran, ami uniquement de soi-même, méchant par nature, se plaisant à insulter, à outrager, à accabler, et n'en ayant de la vie perdu l'occasion. »>

6. Ceci s'accorde bien avec ce que dit Saint-Simon du premier président de Harlay « Il affecta le désintéressement et la modestie qu'il déshonora, l'une par sa conduite, l'autre par un orgueil raffiné, mais extrème, et qui, malgré lui, sautait anx yeux. »

Il rompt tout, perce tout, et trouve enfin

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passage. Mais loin de mon projet je sens que je m'engage. Revenons de ce pas à mon texte égaré.

L'honneur partet, disais-je, est du monde admiré;
Mais l'honneur en effet qu'il faut que l'on admire,
Quel est-il, Valincour? pourras-tu me le dire ?
L'ambitieux le met souvent à tout brûler;

2

L'avare, à voir chez lui le Pactole rouler;

5

Un faux brave, à vanter sa prouesse frivole;
Un vrai fourbe, à jamais ne garder sa parole;
Ce poète, à noircir d'insipides papiers ; *
Ce marquis, à savoir frauder ses créanciers;
Un libertin, à rompre et jeûnes et carême;
Un fou perdu d'honneur, à braver l'honneur même.
L'un d'eux a-t-il raison? Qui pourrait le penser?
Qu'est-ce donc que l'honneur que tout doit embrasser?
Est-ce de voir, dis-moi, vanter notre éloquence,
D'exceller en courage, en adresse, en prudence;
De voir à notre aspect tout trembler sous les cieux;
De posséder enfin mille dons précieux ?

Mais avec tous ces dons de l'esprit et de l'âme
Un roi même souvent peut n'être qu'un infâme,o
Qu'un Hérode, un Tibère effroyable à nommer.
Où donc est cet honneur qui seul doit nous charmer?
Quoi qu'en ses beaux discours Saint-Évremond nous prône,

1.

Naturam expellas furca; tamen usque recurret,

Et mala perrumpet furtim fastidia victrix.

(HORACE, livre I, épitre x, v. 24-25.)

Chassez le naturel, il revient au galop.

(DESTOUCHES, Le Glorieux, acte III, scène v.)

La Fontaine, livre II, fable xvII :

Coups de fourches, ni d'étrivières,
Ne lui font changer de manières.
Et fussiez-vous embâtonnés,

Jamais vous n'en serez les maitres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

2. Fleuve de Lydie, où l'on trouve de l'or, ainsi que dans plusieurs autres fleuves. (BOILEAU, 1713.)

3. « Comment Boileau a-t-il pu dire qu'un fourbe fait consister l'honneur à tromper? Il nous semble qu'il met son intérêt à manquer de foi, et son honneur à cacher ses fourberies. » (VOLTAIRE, Dict. philos., Honneur.)

4. L'auteur disait quelquefois en récitant :

Linière, à barbouiller d'insipides papiers.

5. Libertin est pris dans son sens originel, qui affecte une liberté impie sur les choses de la religion. « Voilà un discours d'impie; voilà un raisonnement digne d'un hérétique ou d'un libertin. (Boss., Panég. de saint Thomas de Cantorb., III.)

6. C'est beau de liberté dans un siècle tout royal. (LE BRUN⚫)

7. Saint-Evremond a fait une Dissertation dans laquelle il donne la préférence

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