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Fortifia mes pas et m'apprit à marcher.
C'est pour elle, en un mot, que j'ai fait vœu d'écrire

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
Et, pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc : Quinault est un Virgile,
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;'
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire ; ›
Saufal est le phénix des esprits relevés ;

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Perrin... Bon, mon Esprit! courage! poursuivez
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous.
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits 8 chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'État.

1. Perse fait aussi semblant de se rétracter:

Per me equidem sint omnia protinus alba;
Nil moror. Euge, omnes, bene miræ eritis res.
Hoc juvat?

(PERSE, satire 1, v. 110-112.)

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2. Nicolas Pradon, né à Rouen en 1632, mort à Paris au mois de janvier 1698. Ses tragédies eurent beaucoup de succès à la représentation, et celle de Phedre et Hippolyte parut éclipser d'abord la Phèdre de Racine. Ses œuvres ont été réunies pour la première fois, à Paris, chez Jean Ribou, 1682, in-12, et la dernière en 1744, 2 vol. in-12. (M. CHÉRON.)

3. Nicolas Perrot d'Ablancourt, traducteur célèbre, né à Châlons-sur-Marne, le 5 avril 1606, mort le 17 novembre 1664. Il fut reçu à l'Académie en 1637; et en 1662, en sa qualité de protestant, refusé par Louis XIV comme historiographe. Ses traductions de Tacite, de César, de Lucien, de Thucydide, de Xénophon, d'Adrien, des Stratagèmes de Frontin, étaient appelées les Belles infidèles. Sa traduction de la Description de l'Afrique de Marmol, laissée inachevée, fut terminée par Patru, et publiée par Richelet. Paris, 1667, 3 vol. in-4°.

4. Allusion au vers de la satire III.

5. Coras critique dans ce vers le mot flots, et la rime qu'il soutient mauvaise. et au sujet de laquelle il dit que les lecteurs

Se moquent d'un rimeur qui, pour rimer à terre,

Dans ses égarements ne trouve qu'une chaire.

On dirait en prosc fend des flots d'auditeurs. Boileau a préféré pour l'har monic fend les flots. Cette remarque est de peu de conséquence, mais elle prouve le soin que l'auteur prenait à polir ses vers. (LE BRUN, cité par BerriatSaint-Prix.)

6. Voir satire VII.

7. Auteurs (Saufal, Perrin) médiocres. (BOILEAU, 1713.)

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8. Boileau avait mis d'abord dans vos écrits; il changea cette leçon en 1668. 9. Cotin, dans un de ses écrits, m'accusait d'être criminel de lese-majesté divine et humaine. (BOILEAU, 1713.)

Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages;
Qui méprise Cotin n'estime point son roi,

Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais quoi! répondrez-vous, Cotin1 nous peut-il nuire ?
Et par ses cris enfin que saurait-il produire ?
Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas,
L'entrée aux pensions où je ne prétends pas ? 2
Non, pour louer un roi que tout l'univers loue,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénoue,
Et, sans espérer rien de mes faibles écrits,
L'honneur de le louer m'est un trop digne prix;
On me verra toujours, sage dans mes caprices,
De ce même pinceau dont j'ai noirci les vices
Et peint du nom d'auteur tant de sots revêtus,
Lui marquer mon respect, et tracer ses vertus.

Je vous crois; mais pourtant on crie, on vous menace.
Je crains peu, direz-vous, les braves du Parnasse. 3
Hé ! mon Dieu, craignez tout d'un auteur en courroux,
Qui peut... — Quoi?—Je m'entends.

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Mais encor?—Taisez-vous.

1. Voici la neuvième fois que le nom de Cotin se présente dans cette satire. Les amis de notre auteur craignirent que le fréquent retour du même nom ne parut affecté et ne déplût aux lecteurs. « Il faut voir, dit-il; je consens d'ôter tout ce qui sera de trop. » On s'assembla, on lut la satire entière; mais on trouva partout le nom de Cotin si bien placé, qu'on ne crut pas qu'il y cût aucun de ces endroits qui dût être retranché. (BROSSETTE.)

2. En 1662, Chapelain avait fait donner une de ces pensions à Cotin. Coras disait: « Lubin parle ici contre sa conscience, puisqu'il ne peut souffrir que Chapelain soit bien renté. >>

3. Brave signifie un homme vaillant à la guerre; en unissant ce terme à celui de Parnasse, Boileau a fait une alliance de mots très heureuse et très vive. Cela rappelle de loin ces vers de Saint-Amant :

Adieu, vous qui me faites rire,

Vous, gladiateurs du bien dire,
Qui, sur un pré de papier blanc,
Versant de l'encre au lieu de sang,

Quand la guerre entre vous s'allume;
Vous entre-bourrez de la plume,
D'un cœur doctement martial,
Pour le sceptre éloquential.

SATIRE X.

(1692)

LES FEMMES.

FRAGMENTS

LA JOUEUSE.

A quoi bon, en effet, t'alarmer de si peu?
Eh! que serait-ce donc, si, le démon du jeu
Versant dans son esprit sa ruineuse rage,
Tous les jours, mis par elle à deux doigts du naufrage,
Tu voyais tous tes biens, au sort abandonnés,
Devenir le butin d'un pique ou d'un sonnez? 1
Le doux charme pour toi de voir, chaque journée,
De nobles champions ta femme environnée, 2
Sur une table longue et façonnée exprès,
D'un tournoi de bassette ordonner les apprêts!
Ou, si par un arrêt la grossière police
D'un jeu si nécessaire interdit l'exercice,
Ouvrir sur cette table un champ au lansquenet,
Ou promener trois dés chassés de son cornet!
Puis sur une autre table, avec un air plus sombre,
S'en aller méditer une vole au jeu d'ombre; 3
S'écrier sur un as mal à propos jeté ;

1. Pique, terme du jeu de piquet. Sonnez, les deux six, terme du jeu de tric trac. (BOILEAU, 1713.)

2. On peut voir dans Mme de Sévigné, dans Saint-Simon, dans les comédies de Dancourt, dans Saint-Évremond, à quel excès de fureur le jeu en était venu chez les femmes. Molière, dans l'Avare, fait dire à Frosine, en parlant de Marianne: « De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de nos quartiers qui a perdu, à trente-etquarante, vingt mille francs cette année. Mais n'en prenons que le quart. Cinq mille francs au jeu par an... » (Acte II, scène iv.)

3. Bassette, lansquenet, ombre, béte: autant de jeux de cartes. Bassette, jeu de cartes semblable au lansquenet, italien, bassetta, connu depuis très longtemps en Italie, d'où un noble Vénitien l'apporta en France, où il était ambassadeur en 1678. - Le lansquenet nous est venu d'Allemagne, c'est le nom des fantassins allemands. Hombre, jeu de cartes pris des Espagnols qui se joue avec quarante cartes, après avoir ôté du jeu les huit, les neuf et les dix, et avoir donné à chaque joueur neuf cartes trois à trois et par ordre. Hombre, homme, comme si, dit Richelet, ce jeu était si excellent qu'il dût porter le nom d'homme, ou plutôt celui qui fait jouer, s'appelant hombre, l'homme, n'est-ce pas son nom qui a passé au jeu ? (E. LITTRE.)

Se plaindre d'un gâno1 qu'on n'a point écouté:
Ou, querellant tout bas le ciel qu'elle regarde,
A la bête gémir d'un roi venu sans garde!
Chez elle, en ces emplois, l'aube du lendemain
Souvent la trouve encor les cartes à la main;
Alors, pour se coucher les quittant, non sans peine,
Elle plaint le malheur de la nature humaine,
Qui veut qu'en un sommeil où tout s'ensevelit
Tant d'heures sans jouer se consument au lit.'
Toutefois en partant la troupe la console,

Et d'un prochain retour chacun donne parole.
C'est ainsi qu'une femme en doux amusements
Sait du temps qui s'envole employer les moments;
C'est ainsi que souvent par une forcenée
Une triste famille à l'hôpital traînée

Voit ses biens en décret sur tous les murs écrits
De sa déroute illustre effrayer tout Paris.

LA FEMME AVARE.

Mais que plutôt son jeu mille fois te ruine,

Que si, la famélique et honteuse lésine 5

Venant mal à propos la saisir au collet,
Elle te réduisait à vivre sans valet,
Comme ce magistrat de hideuse mémoire,

1. Termes du jeu d'ombre. (BOILEAU, 1713.) Le gano signifie: laissez-moi venir la main, j'ai le roi; espagnol, gano, je gagne. (E. LITTRE.)

2. Jeu de cartes qui se joue à quatre ou à cinq, en donnant cinq cartes à chacun, apres avoir ôté du jeu les petites cartes.

3. Une femme s'accusait à confesse de trop d'attachement pour le jeu, et le directeur insistant d'abord sur la perte de temps: « Hélas! oui, s'écria-t-elle en l'interrompant, on perd tant de temps à mêler les cartes!» (BROSSETTE.) 4. Ancien mode d'expropriation des immeubles. (B.-S.-P.)

5. Lésine, épargne sordide jusque dans les moindres choses. Du temps de Régnier, le mot était encore nouveau et gardait sa forme italienne?

Or, durant ce festin, damoiselle Famine,
Avec son nez étique et sa mourante mins,
Faisant un beau discours dessus la lesina.

(Satire x.)

En effet, ce mot est italien, il signifie alêne de cordonnier. Il y a un livre italien intitulé: Della famosissima Compagnia della Lesina, dialogo, capitoli e ragionamenti, Vicenza, 1589, dont un passage nous apprend que la Lesina était une compagnie d'avares qui raccommodaient eux-mêmes leurs souliers et savates, et, comme il faut pour cela une alêne, ils en prirent le nom (italien, lesina, alènc). C'est de la sorte qu'un mot signifiant proprement alene en est venu à signifier épargne sordide. (Voir E. LITTRÉ.)

6. Le lieutenant criminel Tardieu. (BOILEAU, 1713.) 11 était le parrain de Jacques Boileau, le docteur en Sorbonne, frère de Despréaux. Sa femme, Marie. Ferrier, était fille d'un ministre converti. C'est elle que Racine désigne sous le

Dont je veux bien ici te crayonner l'histoire

Dans la robe 1 on vantait son illustre maison:
Il était plein d'esprit, de sens et de raison,
Seulement pour l'argent un peu trop de faiblesse
De ces vertus en lui ravalait la noblesse.
Sa table toutefois, sans superfluité,

N'avait rien que d'honnête en sa frugalité.
Chez lui deux bons chevaux, de pareille encolure,
Trouvaient dans l'écurie une pleine pâture,
Et, du foin que leur bouche au râtelier laissait,
De surcroît une mule encor se nourrissait
Mais cette soif de l'or qui le brûlait dans l'âme
Le fit enfin songer à choisir une femme,

Et l'honneur dans ce choix ne fut point regardé.
Vers son triste penchant son naturel guidé

Le fit, dans une avare et sordide famille,

Chercher un monstre affreux sous l'habit d'une fille:
Et, sans trop s'enquérir d'où la laide venait,
Il sut, ce fut assez, l'argent qu'on lui donnait.
Rien ne le rebuta, ni sa vue éraillée,

Ni sa masse de chair bizarrement taillée :
Et trois cent mille francs avec elle obtenus
La firent à ses yeux plus belle que Vénus. 3
Il l'épouse; et bientôt son hôtesse nouvelle,
Le prêchant, lui fit voir qu'il était, au prix d'elle,
Un vrai dissipateur, un parfait débauché.
Lui-même le sentit, reconnut son péché,
Se confessa prodigue, et, plein de repentance,
Offrit sur ses avis de régler sa dépense.
Aussitôt de chez eux tout rôti disparut;

Le pain bis, renfermé, d'une moitié décrut;

Les deux chevaux, la mule *, au marché s'envolèrent;

nom de la pauvre Babonette, dans les Plaideurs; Guy-Patin en parle beaucoup dans sa correspondance. Ils furent assassinés dans leur maison du quai des Ofévres, le 24 août 1665, par les frères René et François Touchet, qui furent rompus vifs trois jours après. (M. CHÉRON.) Voir Tallemant des Réaux, t. V, p. 48,

édit. Monmerqué.

1. Parmi les magistrats.

2. Elle était, dit Brossette, extrêmement laide et mal faite. » Tallemant des Réaux semble contredire et Brossette et Boileau: « Elle était bien faite; elle jouait bien du luth. »>

3. La firent plus belle est une expression hardie, sans le paraître; elle anime le personnage; la rendirent plus belle affaiblirait bien l'idée. (LE BRUN.) 4. Le lieutenant criminel est obligé de suivre les criminels condamnés à la mort, et il est monté sur une mule, qui était l'ancienne monture des magistrats avant l'usage des carrosses.» (BROSSETTE.) — Racine à Boileau : « Au Quesnay, 30 mai 1693. - ...Au reste j'ai été obligé de dire ici, le mieux que j'ai pu,

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