-Vous m'avez dit vous-même qu'il était temps de mettre nos parents dans nos confidences, et nous étions convenus que vous feriez un effort pour a border ce su jet délicat de vant mon père dont la pré sence, dites vous, vous im pose tant. Eh! bien, je viens d'apprendre quelque chose que je ne puis vous dire, mais d'où je conclus qu'il n'y a pas de temps à perdre. Vous avez le plus grand intérêt à ce que tout soit arrêté et décidé tout de suite. S'il vous est possible de partir pour R..., il faudrait le faire au plus vite. Il est bien probable que mon père ne vous donnera point de réponse immédiate et il ajournera, je pense, notre mariage, s'il y consent, à une année ou peut-être plus loin; mais d'après ce que je vois, vous avez le plus grand intérêt à faire cette démarche à présent. Clorinde était pâle, elle respirait à peine, et dans l'agitation où elle se trouvait, nul doute que Charles lui aurait arraché son secret, si la dame de la maison qui entra dans ce moment n'avait pas interrompu leur tête-à-tête. Mlle Wagnaër fit disparaître aussi promptement qu'elle le put, les traces de son émotion, et une conversation assez indifférente s'établit entre ces trois personnes. Comme il allait se retirer, Charles remit à Clorinde une petite croix de corail qu'elle saisit avec empressement... -Que je suis heureuse, dit-elle, où avez-vous trouvé cela? -L'autre soir en sortant de la soirée de madame Wilby, j'ai ramassé cette petite croix près du seuil de la porte. J'allais demander à quelques dames qui sortaient si elle leur appartenait, lorsque je lus distinctement ces lettres C. W. et la date 22 juin 1822. Je fus frappé de vos initiales et je vous cherchai; mais vous veniez de partir. -C'est bien étrange que ce soit vous qui me remettiez cette petite croix ! Je l'ai bien cherchée et j'ai été bien en peine. Je suis doublement heureuse de la retrouver de cette manière. Cela me paraît un heureux présage. -Que veut donc dire cette date? Et quel mystère y a-t-il? -Vous saurez cela plus tard, répondit Clorinde tristement. Puis elle ajouta vivement : -Irez-vous demain chez madame Norton ? -Est-ce que vous y serez ? -Oui, je compte y aller. Si vous venez, n'amenez point ce monsieur Voisin qui ne se sépare pas de vous plus que votre ombre. -Mais pourquoi donc ? Quel mal vous fait ce pauvre garçon, qui chante continuellement vos louanges et les miennes? -Il ne me plaît pas. -Oh! cela est péremptoire : c'est un homme jugé et condamné. Il ne vous plaît pas ! il faut le tuer, je pense? -Il est cependant bien poli et bien aimable, ce monsieur, remarqua madame L.... De nos jours où les jeunes gens ne portent leurs attentions qu'aux demoiselles à marier et sont même peu courtois pour les mamans, et les dames qui ne dansent point, je l'ai trouvé plein d'égards et d'une politesse tout à fait de bon genre. Charles sut trouver quelques paroles convenables et assez galantes pour expliquer les attentions dont parlait la dame de la maison, après quoi il prit congé d'elle et de Clorinde. Fierre-J.-Q. Chauveau. (A suivre) UNE VILLEGIATURE IMPERIALE S (Suite et fin) UR le plateau du parc de chasse, dans ce quartier figurant une sorte de labyrinthe que l'on appelle le "Bosquet," on avait jadis aménagé en piste une large allée circulaire : cette piste, bien gazonnée, coupée d'obstacles, ayant été remise en état sur les ordres de l'impératrice, plusieurs fois par semaine Sa Majesté s'y exerçait à sauter la haie, le mur, le fossé, la banquette irlandaise, etc. Certain jour, soit par inadvertance, soit pour accoutumer son cheval à aborder chacune des faces de l'obstacle, la comtesse Hohenembs prit la piste à revers ou, pour mieux dire, s'engagea dans le sens opposé à celui qu'elle avait pour habitude de suivre. Le hunter franchit sans faute une première haie, puis le fossé, mais toucha le mur et fit panache l'impératrice, par chance désarçonnée, fut projetée contre une grosse cépée de chêne qui la renvoya brutalement en raquette, et la voilà couchée à terre, inerte et sans mouvement: elle était évanouie ! Affolé, le vieil écuyer se précipite à bas de son cheval et court à l'infortunée princesse qui, les yeux clos, le visage livide, semblait privée de vie. Que faire ? Il est seul, le bosquet est désert, personne à portée de voix: va-t-il enlever l'impératrice dans ses bras et tentera-t-il de franchir, chargé de son précieux mais pesant fardeau, les 200 mètres qui séparent la piste du château ? Ou bien faut-il qu'il se décide à abandonner Sa Majesté pour aller chercher du secours ? C'est à ce dernier parti qu'il se résout. Tout haletant, il arrive au perron et crie au laquais qui fait antichambre: The doctor! Her Majesty is half dead! La dame d'atours de service qui, de sa fenêtre, a vu passer l'Anglais, devinant un malheur, n'a fait qu'un bond de sa chambre au vestibule: elle appelle la lectrice, prévient le baron Nopcsza, en un clin d'œil toute la maison est sur pied! Le valet personnel de Sa Majesté, aidé de l'intendant, s'empare d'une chaise longue à défaut de brancard, et, guidés par l'écuyer, on court à l'endroit où gît la souveraine toujours en syncope. On la ranime à grand'peine et avec toutes sortes de précautions, car la souffrance lui arrache un gémissement aussitôt qu'elle fait un mouvement; on la transporte au château. Mais le médecin qui ne paraît point! Avec sa bonne grâce accoutumée, la comtesse Hohenembs l'a autorisé à s'installer en famille aux Petites-Dalles : chaque matin, il monte à Sassetot, et après s'être assuré qu'aucun membre de la colonie impériale ne réclame ses soins, il regagne son home; aussi, est-ce vainement qu'on l'a cherché dans le parc et aux alentours: enfin, une voiture dépêchée à son domicile le ramène. Grâce à Dieu, le praticien ne constate pas de fracture et laisse espérer qu'il n'existe pas de lésion interne il ne pourra, toutefois, se prononcer sur ce point qu'après un nouvel examen, lorsque les phénomènes nerveux consécutifs à la commotion auront disparu. Si la petite cour est bouleversée, je vous le donne à penser la physionomie du château a pris tout d'un coup des airs funèbres; on se parle à voix basse, les visages sont mornes les sémillantes Autrichiennes, d'ordinaire rieuses et enjouées, sont devenues ténébreuses; leurs collègues, ces mondains de carrière, ennemis pour cela des choses tristes, ont la figure sombre. Sans cesse, on revient sur les audaces de l'impératrice pour les déplorer; on ne se lasse pas de disserter sur les causes de la chute et on maudit l'écuyer qui n'en peut mais. On n'est pas non plus sans se demander si, quelque complication venant à se produire, le séjour en Normandie ne serait pas forcément prolongé; un pessimiste, ou peut-être un taquin, fin gourmand des plaisirs de Vienne, ne va-t-il pas jusqu'à parler d'un hiver à Sasse tot! Oh! ce fut une soirée lugubre que celle de ce jour néfaste, chacun broyant du noir à qui mieux mieux. Par surcroît, on était sans révélation de l'empereur : le grand maître avait sur l'heure télégraphié en chiffres à la Hofburg l'accident dont l'impératrice venait d'être victime, et il était impatient de recevoir une réponse qu'il pût mettre sous les yeux de la souveraine, cette réponse n'arrivait pas ! Durant toute la nuit, le bureau de Sasse tot, auquel le ministère des télégraphes avait adjoint un employé possédant la langue allemande, resta en permanence, mais inutilement, la fatalité ayant voulu qu'à ce moment, François-Joseph fût absent de Vienne. Afin d'échapper pendant quelque vingt-quatre heures aux soucis des affaires de l'État, l'empereur était parti pour le Tyrol à l'improviste, et, perdu dans les montagnes, il y chassait l'isard c'est ainsi qu'il apprit le danger couru par son auguste épouse, deux jours seulement après l'événement, alors que déjà l'état de Sa Majesté n'inspirait plus d'inquiétude à ses entours. En effet, dès le lendemain de la terrible chute, le docteur affirmait qu'aucune suite grave n'était à redouter. Il n'avait diagnostiqué qu'une courbature douloureuse et il assurait qu'après une quinzaine de repos, Sa Majesté pourrait reprendre à peu près sa vie. Le fait est que, trois semaines durant, l'impératrice ne quitta guère son lit de repos et ce fut durant la période de convalescence de Sa Majesté que François-Joseph vint, dans le plus strict incognito, passer quelques jours à Sasse tot. Le secret de |