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"bonne main". Vous vous exécutez généreusement et vous vous retirez plein d'une émotion bien légitime. Vous avez vu la tombe de Virgile, vous avez mis le doigt sur la pierre, le tout pour 2 fr. 50... C'est pour rien. Cependant, en y réfléchissant, vous vous demandez s'il est bien vrai que Virgile ait été enterré là, et s'il est vraisemblable que sa cendre ait été déposée dans le vulgaire columbarium que l'on vous a montré. Virgile n'est pas mort à Parthénope, mais à Brundusium. S'il est vrai qu'il ait désiré que sa dépouille mortelle fût rapportée aux lieux où il avait chanté, près de la villa qu'il avait habitée, est-il permis de penser qu'on l'eût déposée en un endroit si mal choisi et qu'on lui eût donné un gîte commun avec les derniers venus du voisinage? Le doute est permis, et plus d'un érudit l'a partagé. Silius Italicus acheta, dit-on, le champ où il reposait; l'eût-il acheté si la tombe avait un columbarium à l'usage de tout le monde ? Et parce que Pétrarque y planta un premier laurier avant celui de Casimir Delavigne, est-il bien sûr qu'il n'ait pas été la dupe du propriétaire, qui voulait tirer le meilleur parti possible du champ de Silius Italicus? Ce champ, lui-même, n'a pas toujours été à la même place; il était autrefois plus bas, et malgré les secousses que le sol napolitain a souvent subies, il paraît difficile que le champ ait gravi le dur escalier que l'on m'a fait suivre pour atteindre les hauteurs de Pausilippe. J'ai donc, avec mes 2 fr. 50, payé un impôt à la gaieté napolitaine.

VII

Cette gaieté, pour en jouir tout à son aise, il faut la voir les jours de la madone et surtout le jour des Morts. La fête commence le ler novembre. L'étranger ne la connait guère. On va rarement à Naples à cette époque de l'an

née. Ma bonne fortune m'avait conduit une fois, dans le bon moment, aux souriantes quiétudes de San-Miniato; je pouvais bien tenter de participer, l'année suivante, aux joies funèbres de Naples.

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Il y a à Naples deux cimetières : l'un ancien, l'autre tout moderne il n'a pas encore un siècle. Le Campo santo vecchio est abandonné aux pauvres, aux malheureux. Il est plein. Le Campo santo nuovo se remplira avec le temps. Il est admirablement situé, au sommet d'une colline, d'où la vue embrasse une partie de la ville et presque tout le golfe de Naples jusqu'au cap Misène. A gauche du spectateur, le Vésuve fume; à droite, le Palazzo reale se dérobe sous de magnifiques ombrages. Où peut-on être mieux ? C'est sans doute la pensée qui hante l'esprit de tous les Napolitains qui ont des parents ou des amis couchés sous les cyprès du cimetière neuf.

Le jour des Morts, j'y montai en compagnie de la population de Naples. Je ne l'ai pas comptée, mais il m'a semblé que toute la ville était là sur la route. C'était un mélange confus et bruyant de voitures et de piétons. Les carrosses des ducs et des marquis cheminaient à côté des voiturins de formes et de couleurs variées. Quelques-uns de ces véhicules, traînés par ces petits chevaux dont l'ardeur décèle une origine orientale, étaient surchargés d'hommes et de femmes en toilette et d'enfants accrochés à toutes les courroies, à toutes les saillies. Des ânes passaient, une femme assise entre deux paniers remplis de provisions, à côté de petits édifices peints en vert ou en rouge et montés sur deux roues, que poussait un homme, la veste brune sur l'épaule gauche, le bonnet pendant sur l'oreille, qui s'en allait criant: aqua fresca gelati, et qui débitait aisément sa marchandise, car il faisait chaud, et à force de crier, tous ces braves gens avaient soif. Çà et là, quelques étalages de marchands de macaroni et de pastèques et des jeunes filles offrant des fleurs aux passants.

Dieu me pardonne! Quelques-unes avaient des tambours de basque dont elles secouaient, en chantant, les grelots en cadence rythmée avec le poing ou roulée avec le pouce. Des jeunes gens, des enfants de douze à quinze ans, s'étaient armés de ces marteaux en bois qui marquent la mesure dans toutes les danses napolitaines, et des pifferari montaient en sautant et soufflant le long chemin des Morts.

Quand j'arrivai au champ du repos, le cimetière était plein de monde, et tout ce monde était en branle. Comme à Florence, on couvrait les tombes de fleurs, mais sans goût, à flots, avec toute l'exagération qui semble un fruit du sol. Sur la pierre beaucoup de femmes étaient assises, comme chez elles, tirant du panier des fruits, des provisions, et mangeant à belles dents. Des éclats de rire partaient comme des fusées de droite et de gauche. Ceux qui n'avaient pas apporté leur déjeuner s'adrsssaient aux marchands ambulants pour donner satisfaction à leur appétit. Les oranges calmaient la soif des uns pendant que d'autres puisaient dans un rosolio plus énergique un complément de gaieté.

Toute la journée se passa en ces exercices pieux qui ne devaient pas soulager beaucoup dans leur souffrance les âmes douloureuses du Purgatoire. Quand, vers 4 heures, le jour commença à baisser, toute cette foule animée et en grande liesse reprit le chemin de la ville, non sans s'arrêter quelquefois pour boire de l'eau fraîche, manger les dernières pastèques et improviser des danses et des chansons au son de la piva et du cimbalo.

Je conclus de ma journée que les Napolitains étaient le peuple le plus heureux de la terre puisqu'il envisageait les visites aux morts comme le plus gai des pèlerinages. En résumé, par tout ce que je connaissais de l'Italie, j'avais vu que la mort n'y engendre pas des idées tristes et que, tout au contraire, elle y entretient dans les âmes une intarissable gaieté.

Alphonse de Calonne.

LE TYPHUS DE 1847

(Suite)

CHAPITRE QUATRIÈME

LES MARTYRS DE LA CHARITÉ.

Le typhus est un fléau qu'on n'affronte pas impunément et dans les circonstances où s'exerce présentement son règne, il atteint son but avec des proportions effrayantes.

Quelques semaines viennent de s'écouler dans ces ambulances où des centaines d'êtres humains succombent sous ses coups destructeurs. Les prêtres, les religieuses néanmoins sont encore debout, mais leurs pas deviennent chancelants. Le courage seul les maintient à leur poste. Quelques jours encore, et il leur faudra rendre les armes.

La bonne mère McMullen, qui vient chaque jour encourager du regard et de l'action ses chères filles, remarque l'altération qui parait déjà sur leur figure pâle et amaigrie Toute inquiète, elle veut leur porter de nouveaux secours... Hélas! depuis près d'un mois presque toute sa communauté se porte aux sheds. Dès les commencements elle leur fit user de ménagement dans leur marche, elle obligeait les sœurs à aller prendre leurs repas à la maison de ferme tout près des sheds, et là rien ne manquait à leur entretien.

Mais dans leur ardente activité, elles ne prennent ces repas qu'à des heures bien irrégulières, ne trouvant jamais de loisir pour quitter leurs chers malades.

Plusieurs ne se rendent même pas jusqu'à la ferme, elles se contentent d'aller plonger l'écuelle dans la marmite du bouillon à l'usage commun et d'en retirer une petite portion de viande qu'elles mangent en retournant à leur poste. Mais cette action sans relâche qui ne sait pas se ralentir, le mal pestilentiel l'arrêtera inopinément. Il arrive un soir où quelques-unes s'étendent sur leur lit pour ne plus se relever. L'infirmerie de l'Hôpital Général commence à se remplir de sœurs atteintes de la contagion. La salle d'exercices du noviciat se transforme en dortoir pour les chères et jeunes novices qui reviennent à leur tour, ornées du glaive qui doit bientôt les immoler et consommer en elles un glorieux martyre. Les bons pères Sulpiciens se défendent en vain des premières attaques de la peste, M. Morgan est conduit à l'Hôtel-Dieu ainsi que l'excellent M. Caroff. Voici venir les premiers jours de juillet, les Soeurs Grises se remplacent difficilement aux sheds; l'infatigable supérieure de la communauté devient de plus en plus inquiète, et voyant l'épidémie entrer dans l'hôpital même, elle fait part de ses appréhensions au supérieur du séminaire; celui-ci fait connaître. la situation à Mgr Bourget. Sa Grandeur, remplie d'une sollicitude toute paternelle, se hâte d'offrir à cette bonne mère dix soeurs de la Providence. Ce secours est fort urgent. Le 26 juin, on les accueille à l'hôpital, et chaque matin ces nouvelles religieuses se mettent en route avec les Sœurs Grises pour s'initier à leurs travaux. Soeur McMullen veut néanmoins qu'on se partage la besogne avec discrétion ; une partie d'entre elles passeront l'avantmidi à la ferme et prendront la place des autres dans l'après-dîner; ainsi chaque jour, cet échange de travail et de repos pourra quelque peu prolonger les forces. La situation devient de plus en plus alarmante, le nombre des malades va toujours croissant. Le 2 juillet, on compte 1300 malades, il en meurt 30 à 40 par jour. L'assistance

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