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croyant que le ciel voulait les punir pour le crime de l'un d'eux.

Cette histoire après coup, inventée par les Sioux en 1739, pour pallier leur forfait, n'est qu'un tissu de faussetés. Ces brigands, comme toujours, après cet assassinat, cherchèrent à s'excuser et à faire peser tout le poids de la responsabilité sur un seul, sauf à recommencer tous ensemble, à la première occasion. Cette prétendue délibération sur le sort du P. Aulneau et décision en sa faveur, n'eurent lieu qu'après sa mort, lorsqu'ils commencèrent à craindre la vengeance des Français.

Trois semaines après la mort du P. Aulneau, cinq voyageurs canadiens, accompagnés de quelques sauvages du Sault-Ste-Marie, ayant abordé dans cette île, trouvèrent les corps des voyageurs gisant sur la grève. Ils virent les têtes des Français posées sur des robes de castor et la plupart sans chevelure. Le P. Aulneau avait un genou en terre, une flèche dans la tête, le sein ouvert, sa main gauche contre terre, la droite élevée.

Le sieur de La Vérendry était couché sur le ventre, le dos ciselé à coups de couteau, une houe enfoncée dans les reins, sans tête, le corps orné de jarretières et de bracelets de porc-épic.

Les Sioux avaient respecté le corps du P. Aulneau, qui n'avait subi aucune profanation.

L'île en question, comme presque toutes celles du lac des Bois, n'est qu'un rocher couvert d'une couche d'humus tellement légère, qu'il n'est pas prudent d'allumer le feu ailleurs que sur le rivage.

Une fois que la tourbe est embrasée, il arrive souvent qu'elle se consume entièrement, laissant le rocher à nu. Nos voyageurs enlevèrent donc ces quelques pouces de

un endroit peu éloigné du rivage et y déposèrent le corps du missionnaire qu'ils couvrirent ensuite de pierres en forme de tumulus d'une hauteur de 1 à 2 mètres.

En

1843, le Rév. M. Belcourt visita l'île du Massacre et reconnut le tumulus en question. Il recueillit sur les lieux, de la bouche d'un sauvage, le récit de cet événement tragique, dont le souvenir s'était conservé parmi eux.

Le père de ce sauvage avait aidé à donner la sépulture au P. Aulneau et connaissait, par conséquent, l'endroit précis où reposait le corps de ce missionnaire.

Dans l'automne 1737 des voyageurs français firent prisonnier le meurtrier du P. Aulneau et se proposaient de le livrer entre les mains de la justice; malheureusement d'autres sauvages intervinrent et les forcèrent de relâcher leur prisonnier.

Les Sioux racontèrent plus tard aux Français du fort Beauharnois, que le calice, la pierre consacrée et les vêtements d'autel, tombèrent entre les mains d'une veuve qui comptait plusieurs enfants parmi les jeunes guerriers sioux. En peu de temps, ils moururent presque tous, sous ses yeux. Frappée de douleur et d'effroi, elle attribua ses malheurs à la profanation qu'elle avait faite du calice. Elle se hâta de s'en débarrasser en le jetant à l'eau.

Les voyageurs français trouvèrent néanmoins plusieurs objets qui avaient appartenu à ce missionnaire et les conservèrent comme les reliques d'un saint. Le P. de Lauzon put se procurer sa calotte et la transmit à sa mère. Plusieurs personnes prétendirent avoir obtenu des grâces signalées par son intercession.

En relisant les lettres de la collection Aulneau on est surpris d'y voir plusieurs passages qui indiquent un pressentiment bien arrêté de ce missionnaire, au sujet de sa mort prochaine. Dans presque chacune d'elles, il déclare combien il serait heureux de mourir pour le Christ, et enfin huit jours avant sa mort, il annonce au P. de Gonnor qu'il espère de terminer bientôt sa carrière.

La carte de Jeffreys (1762) montre l'île du Massacre (1) comme étant du côté sud du lac des Bois. Cette île se trouve de fait au sortir de la baie de l'angle nord-ouest, sur le chemin qui conduit à la rivière La Pluie, du côté nord de la grande traverse. Cette traverse a près de 30 milles de largeur et il n'est pas prudent de s'y aventurer en canot lorsque le vent souffle fort.

L'identité de l'île ne souffre aucune difficulté. Les sauvages ont toujours désigné l'île en question, depuis 1736, comme l'île du Massacre et c'est sous ce nom qu'on la connaît encore de nos jours.

Les sauvages évitent en général d'y aborder, disant qu'il y est arrivé un grand malheur et que leurs pères leur

(1) L'île du Massacre peut avoir environ 7 à 8 arpents de longueur et 3 ou 4 de largeur. Du coté ouest se trouve une anse où il est facile de mettre pied

à terre.

Un rocher nu s'élève sur cette île, à une hauteur de 150 pieds au-dessus des eaux du lac.

De ce sommet, la vue se promène sur une trentaine d'îles et d'îlots.

En juillet 1890 plusieurs PP. Jésuites visitèrent cet endroit. Ils trouvèrent sur ce monticule rocheux des pierres éparses, jetées çà et là sur le roc vif, qui paraissaient avoir été transportées là à dessein. Leur disposition était de nature à faire croire qu'elles avaient autrefois fait partie d'une construction qui aurait été ensuite défaite entièrement en jetant les pierres, au hasard, tout autour.

Le capitaine Laverdière, qui servait de guide aux PP. Jésuites dans cette excursion, prétend que l'on trouve souvent sur les îles du lac des Bois, des tas de pierres qui servaient autrefois à indiquer la route aux voyageurs, mais qu'on les plaçait toujours sur la grève et que l'île au Massacre est la seule où l'on constate des amas de pierres sur une hauteur.

Lors de cette excursion les PP. Jésuites érigèrent une croix au sommet du monticule. Pour la maintenir sur le roc, ils entassèrent au pied les pierres qu'ils trouvèrent là. Cette croix peut avoir 16 pieds de hauteur. Une forte planche clouée au croisillon porte cette inscription:

Rév. Père Aulneau, S. J.
Massacré ici, l'an 1736.

L'ile en question se trouve au 94° 46' longitude (Greenwich) et 49° 16' latitude. Elle se trouve donc en Canada. Plusieurs cartes géographiques l'indiquent comme étant dans la zone américaine. La tradition constante des sauvages ne laisse aucun doute que l'ile où cette croix fut érigée est bien réellement celle où fut tué le P. Aulneau.

ont appris que le sang des blancs a été versé à cet endroit. Avec les renseignements qui précèdent, il serait relativement facile de retrouver les restes du P. Aulneau et de leur donner une sépulture convenable.

Mgr Taché avait fait certaines démarches, paraîtrait-il, pour obtenir la concession de cette île, et il est probable que la chose aurait été faite gratuitement, si la coupe des bois des îles n'eût été vendue à une compagnie dont le terme d'exploitation n'était pas encore expiré.

Il se proposait d'y ériger un monument et un oratoire. Il est à espérer que le noble dessein de Mgr Taché pourra, un jour, être mis à exécution.

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LES FLEURS

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réveil de la nature dans nos jardins, nous faisions une petite excursion à Paris, où nous voyions les fleurs circuler par les rues dans de petites charrettes à bras ou dans une corbeille suspendue au cou d'une jeune fille. Autre pays autres usages, mais partout le même amour pour ces aimables créatures du bon Dieu. Au pays du

Cid, à qui l'on fait une guerre si injuste en ce moment, c'est le marchand de fleurs ambulant qui parcourt les rues avec sa cargaison odorante ; pots de fleurs sous chacun de ses deux bras, pots de fleurs retenus derrière son dos dans une manne qu'il porte à l'aide de deux bretelles, il traverse les places et les rues, le vendeur infatigable, et de loin on le prendrait pour un buisson fleuri qui marche. Il s'annonce par la douce senteur de sa marchandise, et aussi par des appels réitérés

JUILLET.-1898.

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