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Les récits de l'époque sont, du reste, pleins d'horribles détails sur les atrocités dont nos malheureux blessés furent victimes, sur le champ de bataille, de la part des soudards allemands.

En outre, quand les troupes ennemies étaient passées, les brocanteurs, juifs pour la plupart, qui étaient autorisés à suivre l'armée envahissante, venaient compléter l'œuvre abominable laissée inachevée par les soldats. Sinistres glaneurs, ils se rendaient coupables de tous les forfaits à l'égard de nos pauvres blessés.

Ces voleurs et ces assassins pouvaient, du reste, opérer tout à leur aise, puisque la plus complète impunité leur était assurée. Bien plus, la férocité de l'autorité militaire allemande à l'égard de nos blessés, favorisait encore l'immonde et criminelle besogne de ces monstres à face humaine. On frémit d'horreur en pensant que nos barbares ennemis poussaient souvent la sauvagerie jusqu'à interdire aux habitants des pays envahis, de porter secours aux Français restés sur le champ de bataille où ils risquaient de devenir la proie des pires bandits.

Un historien de l'époque, M. Marotte, cite dans son livre intitulé la Bataille de Beaune-la-Rolande, l'exemple suivant de cette férocité lâche et stupide.

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Depuis la fin de la bataille du 28 novembre, dit-il, jusqu'à une heure de l'après-midi le lendemain, les Allemands ne permirent pas à un seul des hahitants de Beaune d'aller relever les blessés français.

"Combien de braves gens qu'on eût sauvés, et qui moururent ainsi après une horrible agonie!

L'abbé Garreau dans son livre les 40 ôtages de Beaunela-Rolande, dénonce dans ce même ordre d'idées, un autre fait de révoltante inhumanité commis par les Prussiens le 24 novembre. Après le combat de Lorcy, on l'empêcha d'aller secourir un malheureux Français blessé et de lui administrer les secours de la religion.

"Sur le milieu de la place de Lorcy, dit-il, un trompette du 7e chasseurs est tombé. Ils eurent, ces Allemands, la cruauté d'empêcher une main charitable d'aller étancher le sang de cet infortuné blessé, de lui apporter un peu d'eau pour étancher sa soif, de lui donner une parole de consolation."

Les écrivains étrangers, ceux-là mêmes qui nous témoignaient le moins de bienveillance, comme les journalistes anglais, étaient les premiers à reconnaître que le vainqueur n'observait à l'égard de nos blessés aucune des règles prescrites par l'humanité.

Nous trouvons, notamment, à ce sujet dans le livre de M. de Freycinet sur la Guerre de 1870, une appréciation due à la plume d'un journaliste anglais et qu'on ne saurait trop méditer.

"Le 8 décembre, à Beaugency, dit cet écrivain, un nombre immense d'obus tomba sur le couvent des Ursulines où était une ambulance. Le drapeau à croix rouge flottait sur l'édifice et sur les autres hôpitaux, mais aucune partie de la ville ne fut épargnée.

"Un obus éclata dans la chambre du collège qui était remplie de blessés. Il emporta les deux jambes d'un monsieur français, le rédacteur d'un journal religieux, qui s'était fait infirmier volontaire depuis le commencement de la guerre, et qui était occupé à soigner les blessures d'un soldat allemand qu'il avait apporté.

"Dans une pension de jeunes filles, toutes les chambres étaient combles, de la cave au grenier, d'hommes morts ou mourant d'inanition. Quelques-uns étaient là depuis le mardi soir; c'est maintenant samedi et pas une goutte d'eau, pas un atome de nourriture n'avait encore passé par leurs lèvres. Par un froid sibérien, ils avaient été couchés sur le parquet, leurs blessures non pansées. La puanteur était effrayante. Dans toutes les maisons, même spectacle.

"Beaucoup d'Allemands avec la croix rouge passèrent pendant la nuit, mais ils refusèrent de donner le moindre secours, étant trop occupés à conduire le bétail qu'ils avaient volé dans les fermes voisines. Le système des Prussiens, qui est admirable pour l'enlèvement de leurs propres blessés, fait hanqueroute complète dès qu'il s'agit des blessés de l'ennemi tombés entre leurs mains. Ils n'essayent même pas de s'en occuper.

"On les laisse emporter (et pas toujours encore) par des chars de la contrée, s'il y en a; leurs blessures doivent être pansées par des chirurgiens français, s'il y en a, et ils doivent être nourris par la commune où ils se trouvent, s'il reste de la nourriture. Or, comme toute la farine, tous les chevaux, tous les chariots sont réquisitionnés par l'armée allemande, il est généralement impossible de faire quoi que ce soit pour ces malheureux.

On voit par les déclarations de l'écrivain anglais, que les Allemands ont criblé d'obus les hôpitaux et les ambulances de Beaugency, et refusé tout secours aux blessés français recueillis dans la ville.

Rappelons, à cette occasion, qu'à Strasbourg, Soissons, Mézières, Châteaudun, Paris, que partout enfin, les Barbares du XIXe siècle ont pris les hôpitaux où flottait le drapeau de la croix rouge, comme cible de leurs canons. Qu'on n'oublie pas, non plus, le dramatique récit du maire de Châteaudun racontant comment un obus vint éclater dans l'hôpital au milieu des blessés; qu'on se souvienne des attentats commis, au Mans contre les ambulances où un soldat fut tué dans son lit à coups de baïonnette, et l'on pourra juger de la façon dont les Allemands se comportèrent à l'égard de nos malheureux compatriotes blessés.

Camille Derouet.

(A suivre)

CHARLES GUERIN

ROMAN DE MŒURS CANADIENNES

ILLUSTRATIONS DE J.-B. LAGACÉ.

(Suite)

-Oh! mais, c'est bien différent cela! La noblesse, ou la noblaille, comme vous voudrez, s'est anglifiée pour se rendre encore plus aristocratique се n'est pas ainsi que je l'entends. L'anglification gagnant peu la masse du peuple, le préparerait à se fondre bien vite dans le vaste océan démocratique, qui....

à peu

-Halte-là! Je n'aime pas les grandes phrases, et je n'aime pas qu'on me fonde! La politique d'anglification en vient toujours là. Avec cela, il faut toujours être fondu. C'est une idée qui m'ennuie considérablement. Qu'en dis-tu, Guérin ?

-A présent, c'est l'américanisation que M. Voisin veut nous prêcher. Je t'assure que ça m'est bien égal. Mordu d'un chien ou d'une chienne....Je ne suis pas pour les fusions. Les peuples comme les métaux ne se fondent pas à froid. Il faut pour cela de grandes secousses, une grande fermentation.

-Que voulez-vous y faire? On ne vous demande pas si cela vous fera du mal ou du bien. On ne s'inquiète pas le moins au monde de vos sensations, si ça vous brûlera, ou si ça vous gèlera. On vous pose un fait un fait, diable, que voulez-vous encore une fois? On ne répond

pas aux faits, on. ne répond pas aux chiffres. Voyons, nous sommes serrés entre l'émigration d'Angleterre et la population des États-Unis. Il n'y a pas à regimber. Si vous ne voulez pas être Anglais, soyez Yankees; si vous ne voulez pas être Yankees, soyez Anglais. Choisissez! Vous n'êtes pas un demi-million; pensez-vous être quelque chose? La France ne songe pas à vous: elle a bien de la peine à conquérir sa propre liberté...

-Oh! elle l'a glorieusement conquise! Cette année mil huit cent trente, qui vient de finir, est une grande année pour le monde ! C'est l'ère de la liberté ! La France libre et puissante dans l'ancien monde, pourquoi n'aideraitelle pas, ne protégerait-elle pas une nouvelle France dans le nouveau monde ?

-Voilà bien de l'enthousiasme ; mais, pour cela, il faudrait d'abord que la France nous connût.

-Nous nous ferons connaître ! Le premier réveil de son ancienne colonie, le premier cri de guerre, le premier coup de fusil d'une révolution attirera ici des centaines et des milliers de Français. Ne les a-t-on pas vus partout où il y a du danger et de la gloire ? Pourquoi ne feraient-ils pas pour la Nouvelle-France ce qu'ils ont fait pour la Nouvelle-Angleterre ? (1)

-Pourquoi? Mon Dieu, je vous le répète : ils ne nous connaissent pas. Les coups de fusil que vous tirerez ici, ils ne les entendront pas. Entendons-nous siffler à nos

oreilles la flèche de l'Indien ?

-Quant à cela, Voisin a raison. Il y a longtemps, pour la France, que nous sommes morts et enterrés. Nous ressusciterions qu'elle n'y croirait pas ; elle ne saurait pas ce que cela voudrait dire. Il n'y a pas de peuple qui soit plus dans l'ignorance de ce qui se passe hors de chez lui que le peuple français. Un de mes amis, qui a fait ses cours à

(1) Ces idées étaient généralement celles de la jeunesse canadienne avant 1837. L'événement a donné raison aux prédictions d'Henri Voisin.

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