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ments s'est appuyé le chroniqueur troyen; ce que nous savons, c'est qu'on s'occupait, au commencement du xvre siècle, d'agrandir ou de reconstruire en entier l'église primitive.

Cette église, si elle était bâtie en bois, était de dimension restreinte et ne pouvait désormais être regardée comme digne des riches marchands qui habitaient alentour. Saint-Pantaléon, qui n'était pas une paroisse, était au centre du quartier où s'était fixée une partie du haut commerce. Le clergé logeait autour de Saint-Pierre, les hommes de loi autour de SainteMadeleine, les artisans autour de Saint-Nizier et de SaintDenis, les marchands autour de Saint-Jean; de puissantes familles s'étaient élevées par leur travail dans le quartier de Croncels. Tels étaient les Molé, les Largentier, les Hennequin, les Dorigny, les Lesprivier, les Angenoust, et c'est non loin. de l'église Saint-Pantaléon qu'un Hennequin et un Largentier devaient élever dans le courant du siècle les deux beaux hôtels qu'on admire encore et qu'on désigne aujourd'hui sous les noms d'hôtels de Vauluisant et de Chapelaines.

on fit

Ce fut sous l'influence des membres de ces familles, parmi lesquels se recrutaient les marguilliers, que l'on songea, vers 1516, à reconstruire l'église. En gens prudents, on faisait venir d'avance les pierres de Tonnerre, on les faisait tailler, et nous voyons qu'au jour de la Saint-Michel serrer les blocs de pierre de ladite église qui étaient répandus au long des rues. Ce qui n'empêcha pas, pendant toute l'année suivante, d'en faire extraire de diverses perrières 1. Le maître-maçon chargé de diriger les travaux était Jean Bailly, qui avait déjà travaillé à la cathédrale et qui en fut le maître de l'œuvre ou l'architecte de 1531 à 1559 2. Mais il était encore jeune, et, avant de commencer, on voulut avoir le conseil d'un homme plus compétent. Martin Cambiche,

1 On en acheta en 1517 pour une somme de 196 1. 4 s. 7 d., valant près de 6,000 francs de nos jours.

2 Léon Pigeotte, Étude sur les travaux d'achèvement de la cathédrale de Troyes, p. 191-192.

alors maître-maçon de Saint-Pierre, dont Bailly épousa la petite-fille, fut appelé par les notables à donner son avis sur les plans 2. On s'était assuré de l'approbation des officiers et des gens du roi qui furent appelés à faire une visite touchant la maçonnerie et principallement pour... permettre de passer oultre le coing de l'église. Ils leur octroyèrent cette permission le 2 juillet 1517, et pour reconnaître leur peine, on offrit un « sou d'or couronné de 39 sous tournois » à Monsieur le Procureur du roi et à Monsieur l'Avocat. « Monsieur le recepveur Maret» dut se contenter d'un demi-écu. Quant à Monsieur le lieutenant Clément, il refusa l'écu qu'on lui offrait et accepta le pain de sucre qu'on lui fit 'porter en échange 3.

La visite des officiers du roi et la consultation de l'architecte de la cathédrale indiquent clairement que c'est à partir de 1517 que l'on entreprit la reconstruction de l'église. Ce n'est pas qu'aucun travail préliminaire n'ait été exécuté auparavant. La plupart des églises agrandies au xve et au XVIe siècle n'ont pas été refaites d'un seul morceau. On construisait le choeur au-delà du vaisseau primitif, comme à SaintJean; on ajoutait à l'église des annexes partielles; on l'édifiait d'un côté tandis qu'on la démolissait de l'autre. Au moment où l'on va prolonger Saint-Pantaléon, on refait la couverture, on en étame le plomb, on en peint l'arète; on en a renouvelé la charpente, puisque plusieurs manoeuvres ont descendu le « vieil bois de la vieille ramée. On répare le pavé de la terrasse de dessus les basses chapelles; on pose un jubé en

La fille de Cambiche épousa Jean de Soissons, qui lui succéda comme maîtremaçon de la cathédrale, et elle en eut une fille qui fut mariée à Bailly. Ces architectes se succédaient de gendre en gendre. Gabriel Favereau, successeur de Bailly, était aussi le gendre d'un artiste célèbre, Dominique Florentin.

2 Au maitre-maçon de Saint-Pierre, pour avoir esté assembler par Monseigneur de Villy, Monsieur Le Voyeur, Me Jehan Dorigny, Colinet Maliot et Jacques Dorigny pour avoir leur advis et conseil pour commencer à besongner à l'église, V sols. Archives de l'Aube, 19, G. 4.

3 Mêmes Archives, 19, G. 3, fol. 70, vo.

bois et l'on entoure le choeur d'une closture de fer 1; › ce qui n'empêche pas les maçons de tailler des pierres et de travailler pendant toutes les années suivantes dans un atelier qu'on leur loue 6 livres par an« au quoing de la ruelle des pois.

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En 1523 on procède à la démolition; on est obligé de réparer les orgues qui avaient été gastées en abatant les voltes; mais le service religieux n'en souffre point; l'organiste continue à recevoir son salaire; on a sans doute construit un plafond provisoire. Le pignon du portail est ébranlé; on l'étaie. On respecte le premier pignon qui s'élève sur la rue du Dauphin; il s'y trouvait un petit cochet de fer noir ; on le remplace par une croix dorée d'or fin. Si l'on construit des parties nouvelles, on embellit les ancienues.

A coup sûr l'église s'agrandit. On dit que Jean Dorigny, Jean et Claude Molé donnèrent les terrains nécessaires à son extension. On raconte même que les Molé achetèrent dans ce but l'emplacement d'un jeu de boules et que le maçon en a conservé le souvenir en sculptant sur les murs de l'église quelques boules de pierre; on peut en voir encore une aujourd'hui dans la petite rue du Marché-aux-Noix qui longe l'église au midi. Duhalle, qui rapporte cette tradition, n'y croit point, et il a raison; il attribue les boules à une fantaisie de l'artiste ou à une cause inconnue 2.

Pendant les travaux, le grand incendie de 1524 éclata. Il favorisa sans doute l'extension de l'édifice. Le grand procédé d'expropriation de cette époque, c'était le feu. Atteignit-il l'église en entier ? En respecta-t-il une partie ? Cette dernière hypothèse est vraisemblable. Les quatre cloches que contenait le clocher furent fondues; le service du culte fut suspendu pendant deux mois 3. On se remit à l'œuvre avec plus

1 Pour la closture de fer du cueur..., pour la chaire, porte que autres ouvrages... cent liv. X s. t. Reg. 19, G. 4.

2 Manuscrits, II, 257.

3 Boutiot, Histoire de Troyes, III, 312.

d'ardeur que jamais, et c'est de cette époque que date le chevet rectangulaire qui s'aligne sur la rue du Dauphin. Des inscriptions qui existent encore sur cette partie de l'édifice rappellent le désastre dont il a souffert en 1524 1. Deux autres églises, Saint-Jean et Saint-Nicolas, furent également atteintes par le feu et reconstruites ensuite avec la même disposition rectangulaire du chevet, que l'alignement d'une rue ne semblait point cependant nécessiter. Cette disposition, assez commune en Angleterre au moyen-âge, mais rare en France, ne se trouve à Troyes que dans ces trois églises dont la partie postérieure fut certainement réédifiée après l'incendie.

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Les registres de dépenses font malheureusement défaut de 1523 à 1536; de sorte qu'il est impossible d'apprécier l'importance des travaux qui furent faits pendant cette période. Ce qui est certain, c'est que les maçons charrient encore des pierres en 1536, car on fait racoutrer le cheriot dont ils se servent pour les traîner. On fait aussi la charpenterie » » « et la volsure... de la chapelle de derrière». On reconstruit la chapelle de Jean Molé; on la sépare du reste de l'église par une cloison qui est au droit de la chapelle de Mme de Lamotte; tandis qu'on la démolit, on étaie « la ramée; en même temps l'on voûte, grâce aux libéralités de sa veuve, la chapelle de feu Claude Molé, seigneur de Villy 2. L'une de ces chapelles des Molé, de cette famille troyenne qui a produit des grands hommes comme Mathieu Molé, est encore reconnaissable aujourd'hui. Leurs armoiries figurent encore à l'intersection des arêtes enchevêtrées de la voûte, avec cette devise reproduite sur deux cartouches CVIDER DEÇOIT; idée philosophique assez mélancolique qui fait songer à la curiosité que suscita la Renaissance dans le domaine de l'intelligence et aux déceptions que cette curiosité rencontra.

1 A. Aufauvre, Album de l'Aube, p. 21.

2 Ce Claude Molé avait épousé successivement Simonette et Jeanne Dorigny. Généalogie des Hennequin, man, de la bibliothèque de Troyes, fol. 29, vo.

Chacun, à cette époque, cherche à embellir sa chapelle; c'est une sorte d'émulation entre ces riches bourgeois que le commerce a grandis et qui forment dans la cité une sorte de patriciat d'où sortiront des familles nobles. Le XVIe siècle est. l'âge de l'aristocratie bourgeoise; aussi ces hauts et puissants marchands veulent-ils avoir leur chapelle qui les distingue de la foule. Il n'y a pas de chapelles dans les bas-côtés des nefs de Saint-Jean et de Saint-Remy qui ont été construites antérieurement; il y en a partout dans les églises du xvre siècle, à Saint-Nicolas, à Saint-Nizier comme à Saint-Pantaléon. On dirait presque dans cette dernière église qu'elle a été faite pour les chapelles; lorsque les bas-côtés sur lesquels elles ouvrent ont été terminés, le zèle des grands bourgeois paraît s'être attiédi. Ils ne songèrent plus à élever la voûte de leur église du moment qu'on pût couvrir la nef au niveau de ces bas-côtés. L'église resta ainsi basse et comme écrasée pendant cent vingt ans ; la lumière n'y pénétrait que par des fenêtres latérales qui s'ouvraient sur d'étroites ruelles dominées ellesmêmes par de hautes maisons comme celle de Claude Molé, qui fut maire de Troyes en 15501; mais qu'importait! Le jour pénétrait à travers les vitraux coloriés sur lesquels on voyait étinceler sur fond d'azur les chandeliers d'or des Dorigny, et sur champ de gueules les étoiles d'or et le croissant d'argent des Molé.

II

Il est vrai de dire que ces chapelles n'étaient pas concédées sans le consentement des paroissiens. Ceux-ci n'étaient pas étrangers à l'administration de leur église ; ils se réunissaient en assemblée générale sous la présidence des marguilliers à des intervalles plus ou moins éloignés, et c'était dans ces réunions qu'ils entendaient les requêtes des notables qui voulaient

1 Corrard de Breban, les Rues de Troyes, p. 42.

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