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LES

ANCIENS SEIGNEURS

DE

BEAUFORT

AUJOURD'HUI MONTMORENCY

(AUBE)

PAR

M. LEON PIGEOTTE

MEMBRE RÉSIDANT de la société ACADÉMIQUE DE L'AUBE

et

CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE FRANCE

A quelques myriamètres de la ville de Troyes, dans le canton de Chavanges (Aube), on rencontre un modeste village dont le nom ne peut être prononcé sans éveiller l'attention. Ce village se nomme Montmorency, nom trop fameux dans les annales de notre histoire pour ne pas lui assurer, quelque soit son peu d'importance d'aujourd'hui, un certain éclat. Ce nom de Montmorency, il faut le dire tout de suite, il ne l'a pas donné à l'illustre famille qui depuis tant d'années l'a si glorieusement porté; il lui a été, au contraire, imposé par elle il y a bientôt deux cents ans, ainsi que nous aurons occasion de le dire à la fin de ce travail. Son nom d'origine est Beaufort (Bellumforte, Belfortis, Belfort, Biaufort). C'était celui d'une ancienne chatellenie qui ne fut pas sans renom

dans l'histoire de notre vieux comté de Champagne. Si ce village n'eut pas l'honneur de faire porter son nom à la famille des Montmorency, il eut la bonne fortune d'appartenir, du XIe au XVIIe siècle, à des personnages et à des familles ayant occupé les rangs les plus élevés, et spécialement d'être, dès le xive siècle, le nom patronymique de l'une des branches de la famille régnante en Angleterre, de celle des Lancastre, qui donna plusieurs rois à ce royaume, et dont plusieurs descendants célèbres dans les annales de l'histoire britannique, continuèrent à le porter avec éclat jusqu'à nos jours.

:

Moréri, ou pour mieux dire ses savants collaborateurs et continuateurs, semblent avoir ignoré cette dernière particularité que c'est bien le château de Beaufort, dans le comté de Champagne, qui a donné son nom à certains descendants de la famille de Lancastre. S'il consacre quelques lignes à la chatellenie de nos contrées, il ne fait aucune mention de ses anciens possesseurs; bien plus, il attribue le nom de Beaufort que portèrent quelques uns des membres de la famille de Lancastre à un certain château situé en France, sans plus ample indication, et qu'avait affectionné tout particulièrement un des descendants de cette famille 1.

La réserve dans laquelle Moréri est resté sur ce point s'explique facilement. Les documents diplomatiques publiés et qui peuvent éclairer sur cette question sont rares et les renseignements que l'on peut puiser dans les anciens chroniqueurs français et anglais sont très-laconiques. D'ailleurs il se trouve en France, outre la chatellenie de Beaufort en Champagne, plusieurs villes et châteaux du nom de Beaufort, dont l'existence remonte aux temps les plus anciens et dont quelques-uns eurent, au moyen-âge, une réelle importance. Ainsi, dans l'Anjou, nous trouvons Beaufort-en-Vallée 2 qui a appartenu à une famille Rogier, d'où descendirent les

1 T. II, première partie, page 239. Edition 1759.

Maine-et-Loire, arrondissement de Beaugé.

comtes de Beaufort, vicomtes de Turenne; et les marquis de Beaufort-Canillac 1. Nous rencontrons encore des châteaux, villes ou villages nommés Beaufort dans l'Artois, la Picardie, le Dauphiné, dont les seigneurs figurent dans les grands généalogistes de France. De plus, il y avait en Savoie une ancienne chatellenie de ce nom 5. Nous le reconnaissons pour l'avoir éprouvé, l'embarras pouvait être grand d'indiquer d'une manière certaine où était situé en France celui des châteaux nommés Beaufort qui avait donné réellement son nom à l'une des branches de la famille de Lancastre.

M. D'Arbois de Jubainville, dans son Histoire des Ducs et Comtes de Champagne 6, en parlant du mariage de Blanche D'Artois, veuve d'Henri III, comte de Champagne, avec Edmond d'Angleterre, comte de Lancastre, à la fin du xme siècle, et en indiquant les documents qui donnaient l'origine de la possession de la chatellenie de Beaufort par la famille royale d'Angleterre, avait déjà apporté un grand jour dans les obscurités qui pouvaient envelopper cette possession, mais rien n'était énoncé par lui sur les suites de cette possession et sur sa durée. Ce n'était pas son sujet et il n'aurait peut-être pu alors s'appuyer sur des preuves certaines. En effet, c'est dans le Cartulaire de l'Abbaye de la Chapelle-auxPlanches que vient de publier M. l'abbé Ch. Lalore que nous avons trouvé diverses chartes inédites jusqu'à ce jour, où nous avons pu puiser des renseignements précis pour éclairer cette question.

L'abbaye de la Chapelle-aux-Planches (Capella ad Plancas), de l'ordre de Prémontré, était située sur les bords du grand étang de la Horre, à quelques kilomètres seulement de Beau

1 Moréri IX, première partie, page 296.

2 Beaufort-Blavincourt, Pas-de-Calais, arrondissement de Saint-Pol.

3 Somme, arrondissement de Montdidier.

4 Isère, arrondissement de Saint-Marcellin.

5 Beaufort-sur-Doron, Savoie, arrondissement d'Albertville.

6 T. IV, première partie, page 454.

fort, aujourd'hui Montmorency. L'abbaye n'existe plus, il ne reste qu'un petit hameau sis dans la Haute-Marne, canton de Montierender, commune de Puellemontier, aux confins du département de l'Aube. De nombreuses et importantes libéralités avaient été faites à l'abbaye par les anciens seigneurs de Beaufort et des relations suivies avaient eu lieu entre ces derniers et les religieux. Ces relations sont l'objet de plusieurs chartes contenues dans ce cartulaire. Il ne peut être mis en doute que les seigneurs qui y sont nommés comme seigneurs de Beaufort ne soient bien les possesseurs de la chatellenie de notre comté de Champagne.

Avant de dire par quelles circonstances la maison de Lancastre est devenue propriétaire de Beaufort et de reproduire avec un peu d'étendue les nouveaux documents que nous avons rencontrés traitant de cette possession, nous devons faire connaître quels furent les premiers seigneurs de cette chatellenie. Puis, après avoir établi comment la maison de Lancastre est devenue propriétaire, nous indiquerons en dernier lieu, en signalant brièvement les hautes situations qu'ils ont occupé, tous les personnages qui, depuis la maison de Lancastre, ont été successivement possesseurs de Beaufort. Pour la première partie de notre travail et particulièrement pour la troisième partie, nous n'avons nullement la prétention de révéler des renseignements nouveaux et inconnus. André Duchesne, le P. Anselme, Moréri ont été nos guides, ils sont entre les mains de tous. En nous bornant à ne faire connaître de Beaufort que ce qui concerne la maison de Lancastre, il nous semble que nous aurions été incomplets; Beaufort fut un des fiefs de notre vieux comté de Champagne. Si en parlant des personnages importants et célèbres qui, à diverses époques, l'ont possédé, nous sommes entrés dans des détails trop étendus, on nous le pardonnera, car son histoire est la nôtre et elle nous est chère.

I

Les premiers Seigneurs de Beaufort

La donation faite par Hugues Bardoul I à l'abbaye de Montierender d'un terrain sis près son château de Baufort pour la construction d'une église nous semble le premier document concernant la chatellenie de Beaufort. La charte qui contient cette donation n'est pas datée. André Duchesne la classe avant 1058; M. Lalore la date de 1060 à 1061. Hugues Bardoul était petit-fils de Renaud ou Renart, seigneur de Broyes et de Beaufort, qui, suivant A. Duchesne, vivait à la fin du xe siècle. Il était fils de Isambart, seigneur de Broyes et de Beaufort, dont l'existence est constatée par le même auteur dans les premières années du x1° siècle.

Hugues Bardoul I était mort avant l'année 1081; il avait laissé plusieurs enfants, entre autres Barthélemy qui lui succéda dans la chatellenie de Beaufort 2.

Barthélemy était également décédé avant l'année 1081; il avait laissé deux enfants dont l'aîné fut Hugues Bardoul II qui porta le titre de seigneur de Broyes et de Beaufort.

La possession de la chatellenie de Beaufort entre les mains de Hugues Bardoul II est constatée par une charte de 1089 contenant confirmation par lui et Emméline de Montlhéry son épouse, d'une donation faite à l'abbaye de Montier-la-Celle, près Troyes. Cette charte est donnée au château de Beaufort et elle énonce formellement que Hugues Bardoul II est le seigneur de ce château 3.

1 André Duchesne; Histoire de la Maison de Broyes et de Chateauvillain, preuves, p. 7 et 8; M. l'abbé Ch. Lalore, Chartes de Montierender, T. IV de la Collection des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, p. 169, 170.

2 André Duchesne, Histoire de la Maison de Broyes, p. 8, 9.

3 Histoire de la Maison de Broyes, preuves, p. 10, et M. l'abbé Ch. Lalore, Cartulaire de Montier-la-Celle, t. V de la Collection des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, p. 201.

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