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LES

ANCIENNES TOURELLES

DES

MAISONS DE TROYES

PAR

M. ALBERT BABEAU

SECRÉTAIRE DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE L'AUBE

Les vieilles maisons disparaissent et se transforment tous les jours. Pendant qu'elles existent encore, il faut se hâter de les faire reproduire par le dessin. Déjà l'on chercherait vainement plusieurs de celles que M. Amédée Aufauvre avait décrites au Congrès archéologique tenu à Troyes en 18531. Combien reste-t-il de constructions civiles antérieures au quinzième siècle? Je pourrai cependant citer un corps de logis, dépendant de l'hôtel du Char-d'Or et situé rue Boucherat, comme une construction du douzième siècle. Un grossier crépi, qui recouvrait sa façade de pierre, est tombé en partie dans ces dernières années, et a laissé à découvert une fenêtre formée de deux arcades, dont les cintres viennent

1 Notice sur les vieilles maisons historiées de Troyes. Congrès archéologique de France. Séances générales tenues à Troyes en 1853, p. 312-340.

reposer au centre sur une colonnette de pierre à chapiteau sculpté. Cette fenêtre a été bouchée, ainsi qu'une autre encore en partie masquée par le crépi, mais dont on peut deviner le dessin. La partie inférieure de ce corps de bâtiment est en briques; une large voûte cintrée, qui en occupe le centre, formait sans doute l'entrée d'une cave ou d'un souterrain, car tout indique que le sol de la rue a dû être abaissé d'environ deux mètres. Cette construction, qui est aujourd'hui la propriété des Hospices de Troyes, faisait partie avant la Révolution des possessions du chapitre de Saint-Etienne1.

Les anciennes constructions civiles de Troyes, surtout celles qui ont été bâties en pierre, appartiennent pour la plupart au seizième siècle. Quelques-unes d'entre elles attestent encore la prospérité et le goût qui régnaient dans la ville à cette époque, par leur élégante décoration et par l'heureux effet de leurs façades et de leurs tourelles.

Les tours étaient nombreuses dans nos vieilles villes. Je ne parle pas ici des tours des fortifications, qui s'élevaient entre les courtines ou qui dominaient les portes. Outre celles des portes, Troyes en comptait cinquante-quatre, que l'on désignait par des noms de saints, de personnages de l'histoire, de la mythologie ou du roman2. Je ne parlerai pas non plus de la grosse tour du Beffroi, où se tinrent jusqu'à la fin du quinzième siècle les assemblées électorales et populaires 3, ni des tourelles qui flanquaient du côté du nord l'ancien palais des comtes de Champagne ; je m'occuperai exclusivement de celles qui décoraient les édifices civils dans l'intérieur des murailles.

Si l'on examine un des panoramas de Troyes qui ont été gravés au dix-septième siècle, notamment celui de Merian, on est frappé du grand nombre de petits clochetons qui s'é

1 Plan de 1769, conservé à la Bibliothèque de Troyes.

2 Boutiot, Des anciennes fortifications... de la ville de Troyes. Annuaire de 1874, p. 83-84.

3 Ibid., p. 108.

lèvent entre les clochers plus élancés des églises. Depuis Saint-Urbain jusqu'à Saint-Nicolas l'on peut compter sept clochers et treize toits aigus qui semblent couronner des tourelles. Il y en avait sans doute d'autres qui ne devaient point faire saillie au-dessus des toits ou que des édifices plus élevés dérobaient aux regards. On ne voit pas à coup sûr dans le Quartier-Bas la grosse tour dite du Chapitre1, qui était un débris de l'ancienne enceinte de la Cité, et qui existait encore au commencement de notre siècle. Le panorama de Merian, pas plus que la curieuse vue de Troyes en 1621, dessinée par Joachin Duviert2, ne nous laisse apercevoir les tours de l'Hôtel-Dieu que l'on signale au seizième siècle et qui peut-être étaient déjà démolies. L'une de ces tours, où était sans doute l'horloge, fut décorée d'un grand écusson aux armes du roi, à l'entrée de Charles IX, en 15643.

Les tours et les tourelles avaient été élevées dans l'enceinte des villes pour plusieurs motifs, pour la défense, comme signe de juridiction ou de distinction nobiliaire, pour l'utilité, pour l'agrément ou pour la décoration.

Je ne crois pas qu'il y ait eu à Troyes des tours érigées pour la défense en dehors de celles des palais des Comtes, du château de la prévôté et de celui qui a donné son nom à la place de la Tour. Nos contemporains peuvent se rappeler la porte monumentale surmontée d'une tour carrée, qui s'élevait sur cette place; ils savent qu'elle a été démolie, qu'on en transporta les matériaux dans les dépendances du Musée, afin de la reconstruire, que ces matériaux ont été dispersés et que la tour n'a pas été réédifiée. Dans tous les cas, aucune de nos

Corrard de Breban, les rues de Troyes, 1857, p. 103. Ephémérides, Ed. Patris Debreuil, I, 28.

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2 Nous ne connaissons d'autre exemplaire de ce panorama que celui du cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. Il représente la ville vue du côté du nord, entre les Tauxelles et le canal actuel. On y lit ces indications : Joachin Duviert inventor. Philipe Milot fecit, Louys Gaucher paris. 3 L'Hôtel-Dieu de Troyes au XVIe siècle. Ann. de 1878, p. 69.

tourelles actuelles n'a servi à la défense; nos bourgeois n'avaient rien des allures belliqueuses des nobles italiens du moyen âge, tels que ces patriciens d'Albenga et de San-Gemigniano, qui ont laissé des témoignages étonnants de leur orgueil et de leur humeur batailleuse dans les tours élancées et crénelées, dont leur cité est encore hérissée.

La tour troyenne est plus modeste. Celle de la maison dite de l'Election avait pu être un signe de juridiction. Le palais des comtes, devenu le palais royal, avait ses tourelles, comme le Palais-de-Justice de Paris avait ses tournelles. Le fief du Chaperon, situé dans la rue actuelle de la Monnaie, se composait d'un bâtiment avec tourelle. Le droit de tourelle était une sorte de droit seigneurial.

C'est pour cette raison que les nobles ou les anoblis, qui se faisaient construire un hôtel, aimaient à y placer une ou plusieurs tours. Leur vanité était sous ce rapport d'accord avec l'utilité et l'agrément 1. La tourelle était l'indice du rang du propriétaire; elle lui servait de cage d'escalier, et en même temps elle fournissait à sa façade, sur la rue ou sur la cour, un motif de décoration pittoresque.

Je n'ai pas la prétention de décrire toutes les tourelles qui existent encore aujourd'hui à Troyes; je parlerai seulement de celles que j'ai pu découvrir, en les divisant en deux catégories d'après la nature de leur construction, le bois ou la pierre.

La plus élevée des tourelles construites en bois est celle de la maison de l'Élection, où se tinrent de 1630 à 1754 les audiences de la juridiction financière de ce nom 2. Située dans la cour d'une grande maison en bois de la rue de la Monnaie, elle est de forme carrée et contient un escalier. Sa construction présente une particularité remarquable; les

Les tours, dit Viollet-Leduc, servaient de retrait, de trésor, de lieu de sûreté, dans les hôtels que les princes possédaient au milieu des villes. (Dict. d'architecture au moyen âge, IX, 170.)

2 Il semble résulter d'un acte de 1634, que cette maison avait été acquise en 1630, par les Elus de Troyes. (Arch, de l'Aube, 7 H 2, fol. 379 v.)

briques sont entaillées aux extrémités pour s'emboîter dans les montants en bois où l'on a pour ainsi dire ménagé une rainure afin de les recevoir; on dit qne le noyau de l'escalier tournant est formé d'un seul tronc d'arbre. Mais ce qui fait l'intérêt de cette tour, c'est un admirable épi du seizième siècle, dressé au-dessus de son toit, qui est recouvert d'ardoises ainsi que sa partie supérieure exposée à la pluie. Il aurait dû suffire à faire maintenir cet édifice sur la liste des monuments historiques du département, dont il a été retranché en 1874, malgré les réclamations de la Société académique de l'Aube.

La maison de l'Election, la tour et l'épi qui la dominent, ont été dessinés par M. Charles Fichot, et lithographiés pour l'Album monumental et pittoresque de l'Aube, dont le texte a été rédigé par Amédée Aufauvre (p. 35).

Non loin de là, au coin de la rue de Champeaux et de la rue de Paillot-de-Montabert, s'élève une tour en bois dont l'aspect original a plus d'une fois exercé le crayon des artistes. Elle a été successivement dessinée par Schitz, en 1839, dans son Album troyen (planche 18), et en 1844 par Dauzats, dans la grande publication sur la Champagne, du baron Taylor. Cette même publication renferme une autre vue du même sujet, dessinée par Mansson et lithographiée par Eugène Ciceri. Enfin, la Revue de la Champagne a publié une eau-forte de M. Adolphe Varin, qui représente l'ancienne rue du Domino et laisse apercevoir la silhouette de la tour dont nous parlons. Supportée sur des consoles de bois sculptées, elle est de forme ronde, et sa partie supérieure est recouverte de deux carapaces d'ardoise.

L'ardoise, comme nous l'avons vu pour la maison de l'Election, paraît être le revêtement ordinaire de la partie haute des tours construites en bois. Celle qui s'élève dans la la cour de l'ancien hôtel de Mauroy, rue de la Trinité, en est presque entièrement revêtue. C'est aussi une cage d'escalier; mais elle est de forme hexagonale. Elle concourt à la décoration de cet hôtel, qui peut être regardée comme le spécimen le

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