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vitude abolie en Dannemark par Christian VII et son vertueux Ministre Bernstorff; la Tolerance proclamée à-la-fois à Stockholm et à Pétersbourg; la Législation criminelle adoucie et sagement réformée dans le Nord, et dans cette Italie où la Philosophie de Montesquieu avait trouvé pour disciples les Beccaria et les Filangieri; voilà, sans doute, les plus flatteurs, voilà les plus dignes hommages rendus aux Lettres françaises, et souvent renouvelés dans ce siècle où le Génie de nos écrivains politiques parut en quelque sorte siéger dans les Diètes Européennes et dans les Conseils des Rois.

On voyait renaître ces jours de l'Antiquité où les Peuples confiaient à des Sages étrangers l'édifice de la Législation nationale. Un Peuple voisin, long-tems asservi, secoue le joug de ses vainqueurs ; il veut se donner une Constitution et des Lois; et il les demande à un Philosophe français: une Nation généreuse se rend indépendante dans le Nouveau-Monde; elle veut se donner une Constitution et des Lois; et elle les demande à un Philosophe français. Partout s'établissent des Académies françaises, partout des Théâ

tres français. Un Traité se conclut dans les glaces du Nord, entre le Successeur des Sultans et l'Héritière des Czars, et ce Traité se rédige en français. Enfin une Académie étrangère propose pour sujet d'un concours l'universalité de la Langue française, et elle couronne un Français. Quelle fut jamais la Nation qui reçut tant de gloire de sa Littérature? Quel fut jamais le siècle illustre qui lui attira tant d'honneurs?

Si nous portons nos regards sur les Ages fameux de l'Antiquité, nous y voyons les lumières soumises, en quelque sorte, à la division géographique des États. Les institutions mêmes de ces peuples, leur fanatisme politique, ne leur permettaient point d'assigner pour but à leurs travaux le bonheur, du genre humain, ni d'étendre leurs affections à toute la famille des hommes. Comme leurs vertus n'étaient que patriotiques, leur littérature ne fut que nationale. Ils semblaient voir dans les bienfaits de la Philoso phie et des Arts un des droits exclusifs de la Cité autour d'eux tout était barbare.

Chez les Modernes, au contraire, des dé

couvertes sublimes ont rendu accessible à tous les peuples la noble carrière des Lettres et de la civilisation. Dès-là ces peuples, si souvent divisés par la politique et par la politique et par les armes, ont tendu constamment à s'unir dans la culture des arts, et à ne plus former enfin qu'une République des Lettres où circuleraient sans cesse, en se multipliant par la circulation, toutes les richesses de l'esprit et de la raison humaine. Il fut donné au dixhuitième Siècle d'achever ce magnifique ouvrage. Une Littérature où se trouvaient discu tés les droits et les devoirs de tous les hommes devait être adoptée par le genre humain. Elle a fait de l'Europe entière l'immense patrie des Arts, de la Civilisation et du Génie.

Il fallait à cette Patrie des Lettres, une langue commune à tous ses citoyens. Longtems tous les Savans de l'Europe n'avaient écrit qu'en Langue Latine: cet usage utile pour eux, et qui les rendait tous en quelque sorte compatriotes, était loin d'être aussi favorable à l'instruction du reste des lecteurs. Il devait empêcher les Sciences de s'introduire dans le monde, de descendre à tous les rangs de la société et s'il avait

été suivi plus long-tems, il eût séparé les hommes en deux classes dont l'une aurait pu tout apprendre, et l'autre aurait été forcée de presque tout ignorer. La Langue Française, devenue pour ainsi dire, chez tous les peuples, langue usuelle pour les hommes dont l'éducation avait été cultivée, sans avoir les inconvéniens de l'idiôme scientifique, pouvait en réunir les plus grands avantages: elle le pouvait sur-tout à une époque où il ne se faisait pas en Europe une seule découverte vraiment remarquable, qui ne fût aussitôt expliquée et développée dans notre Langue; à une époque où les Sciences, parées des charmes du style, enrichies parmi nous de découvertes nouvelles et d'heureuses théories, ou habilement appliquées aux Arts, s'embellissaient, se fécondaient ou devenaient plus utiles, sous la plume des disciples de Buffon, sous le compas des rivaux de d'Alembert, dans les amphithéâtres ou dans les laboratoires des émules de Daubenton et de Lavoisier.

Tel était l'état des Sciences et des Lettres en France, quand éclata la Révolution.... A ce mot un profond silence semble inter

roger l'Orateur. Va-t-il lui-même répondre par le silence? Quelle fut sur cette révolution, qui devait changer la face du monde, l'influence des Lettres et de la Philosophie? Loin de ces jours orageux de succès et d'infortunes célèbres, une postérité reculée pourra seule y porter des regards libres de passion et de crainte. Elle se dira sans doute : La ruine des institutions vieillies de nos pères était devenue inévitable; elle aurait produit les mêmes agitations sans le progrès des lumières (1) mais sans le progrès des lumières, aurait-elle eu jamais pour dernier résultat d'extirper dans l'Europe entière les plus profondes racines de la servitude féodale, et d'effacer les vestiges de l'antique barbarie ? Mais surtout elle se dira: C'est

(1) Il serait facile de prouver qu'il n'est pas un seul des Philosophes vraiment iilustres du dix-huitième Siècle, qui n'ait hautement prononcé la condamnation des funestes excès dont nous avons tous été victimes. Mais de semblables discussions ne pourraient que réveiller de douloureux souvenirs, ou même des ressentimens que l'intérêt de l'État veut sans doute qu'on oublie. Les tempêtes politiques ne sont point de celles dont on peut dire, quand on est entré dans le port: Forsan et hæc olim meminisse juvabit,

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