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L'Académie des Belles-Lettres, devenue si supérieure à elle-même et au but de son institution, avait cominencé, dès les premières années du siècle (1), la publication de ses Mémoires, aujourd'hui si répandus en Europe, cités par les érudits de toutes les Nations, et qui jettent un si grand jour sur les Antiquités Historiques. Celles de la Grèce et de Rome, il est vrai, avaient été plus ou moins éclaircies: mais un voile épais couvrait encore les Antiquités Asiatiques. On vit naître alors une nouvelle Érudition qui eut pour objet de lever ce voile. Et cette Érudition nouvelle, partageant l'impulsion donnée dans ce siècle à toutes les études, fournit des matériaux immenses à ce nouveau genre d'histoire qui, caractérisant l'Esprit humain chez tous les peuples et dans tous les tems, a pour but principal de retracer l'édifice écroulé des Institutions, des Mœurs et des Croyances. Alors l'érudit et l'Historien associant leurs travaux, furent, l'un, comme l'habile ouvrier qui, d'après les éminences du sol, découvrirait une ville ensevelie, en mettrait au jour les décombres,

(1) En 1717.

des Socles, des Chapiteaux, des Colonnes tronquées et des débris de Portique ; l'autre, comme le savant Architecte qui, plaçant ces débris dans leur ordre, assemblant les restes épars du Portique, relevant la Colonne sur sa base, jugerait, d'après leurs dimensions, de la proportion des édifices, de la disposition même des rues; et, suppléant par l'analogie aux monumens encore enfouis, tenterait de donner l'ancien plan de cette ville brisée et perdue.

C'était ainsi que tous les genres de Littéra ture, mais plus encore toutes les Sciences, se prêtaient, dès cette époque, un riche et mutuel secours. A force de s'agrandir, elles s'étaient, pour ainsi dire, touchées; devenues enfin si vastes par tant de développemens successifs, que pour embrasser.complettement l'une d'elles, il falloit emprunter quelque chose à presque toutes les autres. Alors naquit l'Encyclopédie.

Deux Hommes dont l'esprit étendu avait embrassé toutes les Sciences, frappés de cette étroite chaîne dont ils les voyaient unies,

formèrent le hardi projet de les rassembler toutes dans un même ouvrage, éternel et immense dépôt des connaissances et des erreurs humaines. L'un était ce d'Alembert qui démontra le premier, par des calculs rigoureux, la théorie de la gravitation, et qui prononça les Éloges de Massillon et de Boileau; immortel par le Discours préliminaire de l'Encyclopédie, où il traça le modèle de cet étonnant édifice tel qu'il aurait dû être, et ne fut pas élevé. L'autre était ce Diderot qu'une imagination fougueuse entraîna dans plusieurs écarts, mais qui, également versé dans les systêmes des Sciences, et dans les procédés des Arts, étonne par le nombre de ses connoissances, par leur prodi gieuse variété, penseur fécond, quelquefois, obscur, dont la tête ardente et profonde semblait contenir toute entière cette même Encyclopédie, commencée sur un plan si riche, et proportionné au sujet. Plan trop étendu sans doute pour être dignement rempli d'un seul jet, et, dans toutes ses parties; ouvrage trop de mains travaillèrent, mais. qui, par sa nature même, doit se perfectionner d'âge en âge, et dont l'utilité réelle ne saurait être révoquée en doute par les hommes

assez instruits pour savoir combien d'inventions de méthodes utiles se sont perdues. par trait de tems, qui se seraient conservées dans un recueil de ce genre: monument de gloire pour l'époque à laquelle il fut élevé, puisque, dans l'énumération qu'il renferme des découvertes de l'Esprit humain, celles de cette même époque tiennent une place honorable: monument caractéristique de l'esprit de ce siècle universel, et dont la seule entreprise suffirait pour le distinguer entre tous les âges célèbres. Il ne fallut point de cartes aux Navigateurs, tant qu'ils se bornèrent à parcourir les côtes de nos mers européennes; mais elles leur devinrent nécessaires quand, par-delà les Colonnes d'Alcide, s'ouvrit un Faste Océan dont ils allaient explorer les Continens et les Iles. Voilà l'image des progrès et de l'état des Sciences au dix-huitième Siècle. L'Encyclopédie devait être, elle sera peut-être un jour, la Carte nautique de cet immense Océan des Sciences humaines, où il restera toujours des découvertes à faire, et de nouvelles routes à tracer: l'Encyclopédie, dès sa naissance, parut ajouter encore à cette ardeur pour les études profondes, à cet amour de la vérité, à ce zèle pour les lumières,

et pour l'utilité publique, qui pouvaient bien être joués chez quelques lommes de lettres, mais qui étaient alors les mobiles connus de la Littérature entière.

tel

Ici se présente à nos regards un spectacle

que n'en offrirent aucun siècle, aucune littérature. Ce ne sont pas quelques Sages s'appliquant dans la retraite à multiplier leurs connaissances, à éclairer leur raison; c'est une Nation entière qui se livre à toutes les études, accumule tous les succès. Ce ne sont pas quelques Princes favorisant la flatterie en récompensant les arts souvent introduits dans les cours sous le sauf- conduit de la louange, et payés pour prendre la livrée du maître ; c'est une Nation entière qui protège tous les arts. Ce ne sont pas quelques honneurs passagers, individuels, accordés par la puissance, obtenus par la faveur ; c'est une nouvelle noblesse proclamée par tout un peuple, la noblesse des talens; c'est une nouvelle dignité reconnue par tout un peuple, la dignité du génie; c'est un empire celui de la raison et des lumières.

nouveau,

Cette admiration pour les talens, cette activité des esprits, se propagent dans la Francè

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