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A peine installé, le Gouvernement provisoire le nomma ministre de la guerre (24 février). Il déclina cet honneur; mais le lendemain, sur l'appel fait à son dévouement et à son patriotisme, il accepta le commandement de la 1re division militaire. Le 13 avril, il échangea ce commandement contre celui de la 1re division d'infanterie de l'armée des Alpes, dont il resta titulaire jusqu'au 20 décembre 1848.

La carrière militaire du général était terminée. Élu représentant du peuple par le département de la Loire-Inférieure, il devint l'un des vice-présidents de cette assemblée. Le soldat se réveilla en lui pendant les néfastes journées de Juin, et il fut dangereusement blessé en combattant l'insurrection. Enfin, il fit partie de l'Assemblée nationale législative, en 1849, comme représentant du département de la Seine. Après la dissolution de cette assemblée, il passa plusieurs années en Belgique, et revint ensuite se fixer à Nantes; il y vécut complétement retiré du monde et dans la pratique de la dévotion.

Un décret du 4 août 1852 lui avait concédé le maximum de la pension de retraite du grade de général de division.

Le maréchal Bugeaud, alors qu'il était gouverneur général de l'Algérie, avait signalé maintes fois le général Bedeau comme un officier d'un jugement supérieur et d'une grande solidité dans le combat. Vers le même temps, le bach-agha des Beni-Amer lui rendait ce témoignage, aussi véridique dans le fond qu'original dans sa forme orientale : « Cet homme excelle par sa raison, sa sagesse et sa sagacité dans toutes les les circonstances; il sait se rendre agréable à tout le monde; tout le monde est attiré vers lui, et tous sont revenus à lui à cause de son amitié sincère et de sa générosité sans égale. » Et le maréchal Bugeaud ajoutait : « On trouve peu de têtes aussi bien organisées. Il serait à désirer que nous eussions en Afrique beaucoup d'hommes de cette trempe, et qu'ils voulussent consacrer dix ans de leur vie à l'œuvre que nous poursuivons. On peut dire à l'honneur du général Bedeau qu'il a dignement accompli cette tâche.

H. HENNET.

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CURE DE SAINT-PIERRE DE NANTES.

L'éloge de M. l'abbé Audrain n'est plus à faire; il est tout entier dans le deuil qu'a causé sa mort et dans les pages touchantes qu'elle a inspirées à l'un de ses confrères les plus éminents, qui fut aussi l'un de ses plus brillants élèves. M. l'abbé Fournier a raconté la vie de M. Audrain avec cette âme que l'Écriture appelle l'esprit du cœur, mens cordis. Qu'ajouter à un tel récit? Et cependant, la Revue ne peut rester complétement muette sur un des hommes qui ont le plus marqué, à Nantes, dans l'enseignement et dans le ministère. Je demanderai donc la permission de rappeler quelques impressions personnelles, et de donner ainsi à mon vieux maître, au guide de ma jeunesse, à l'ami constant de mon âge mûr, un dernier témoignage de reconnaissant et affectueux souvenir.

Lorsque je rencontrai, pour la première fois, M. Audrain, il n'avait que vingt-cinq ans, comptait à peine un an de prêtrise, et était déjà professeur de rhétorique au Petit-Séminaire. Tel était même dès lors le rang qu'il occupait dans l'opinion de tous que nous attachions un intérêt marqué aux circonstances de sa vie. Nous nous répétions les uns aux autres, dans nos conversations d'enfants, que, dès l'âge de douze ans, il professait dans le pensionnat du bon M. Rousic1; que, dès l'âge de quinze, il fixait l'attention de Mgr Duvoisin qui se chargeait de son avenir. Ce haut

1 Je trouve, dans une note qui m'est remise, quelques détails sur les rapports de M. Audrain et de M. Rousic. Ce fut celui-ci qui donna la première instruction classique à M. Audrain, et gratuitement. Le petit Audrain, fils d'un pauvre charpentier de bateaux, venait, chaque matin, de Chantenay à ses leçons. Le plus souvent il portait ses sabots à la main, afin de ménager sa chaussure. M. Rousic fut tellement content de lui qu'il le chargea bientôt de ses plus jeunes élèves. Comme témoignage de satisfaction, il lui donna d'abord cinquante centimes par semaine, puis deux francs, que l'enfant remettait, sans en rien garder, à sa mère.

patronage d'un évêque célèbre et digne de l'être, sinon par sa fermeté malheureusement, du moins par son intelligence et son savoir, lui faisait, à nos yeux, comme une auréole. Je ne sais d'ailleurs d'où nous venaient ces détails; mais ils formaient légende. Ce qui est sûr c'est qu'ils ne venaient pas de M. Audrain. La seule chose que je lui aie entendu dire de sa vie, c'est qu'il était né le 25 mars, jour de l'Annonciation de la Vierge; et, s'il le disait, c'était pour exprimer sa confiance en celle qu'il appelait sa bonne mère 1.

Dans l'exercice de ses fonctions de professeur, M. l'abbé Audrain avait un rare talent, celui de se faire écouter toujours sans punir jamais. Personne ne possédait mieux que lui nos grands auteurs ét ne les commentait avec plus d'entrain et d'esprit. Étions-nous las du grec et du latin, il ouvrait tantôt Bossuet, tantôt Massillon; je me rappelle qu'un jour il tomba sur les Plaideurs de Racine, et sa lecture, habilement nuancée, nous faisait saisir au vol les beautés des maîtres.

Son goût était exquis mais sévère, et le Génie du Christianisme, qui passionnait alors nos jeunes imaginations, était souvent une pierre d'achoppement entre notre professeur et nous. M. Audrain goûtait peu ce christianisme extérieur qui, disait-il, n'allait pas jusqu'à la moëlle; il était plus opposé encore à cette mélancolie rêveuse qui donne à l'esprit des vapeurs pour nourriture. Nous résistions, et telle était avec lui notre liberté que la discussion devenait parfois vive.

L'auteur de prédilection de M. Audrain, comment s'en étonner! - c'était Bossuet: il le citait, il le possédait; les habitudes de langage du grand évêque étaient presque devenues les siennes, tellement que nous aimions à saisir dans sa parole quelques-unes de ces formes légèrement vieillies de la première moitié du XVIIe siècle, qui avaient pour nous le charme d'un lointain et bon souvenir.

Et après avoir enseigné, charmé des enfants, il traversait la rue et allait, comme François de Sales, enseigner et édifier de saintes 1 C'est M. Audrain qui a inauguré à Nantes le Mois de Marie, et il le prêchait, luimême, chaque année, à la cathédrale,

religieuses, qui, aujourd'hui encore, après quarante ans, conservent précieusement et méditent ses écrits.

Le talent de M. Audrain, comme prédicateur, était alors hautement apprécié à Nantes et hors de Nantes. Il prêcha souvent au loin, à Orléans surtout. Lorsqu'on lui demandait des conseils sur quelque question doctrinale ou morale, il répondait quelquefois : - Ouvrez Bourdaloue; il n'y a pas de phrases, mais tout est là. Eh bien! on pouvait dire à peu près la même chose de ses discours; il n'y avait pas de phrases non plus; le ton était grave, la parole sobre, mais tout était précis et pratique; tout était là ‘.

Ajoutons qu'il possédait admirablement l'Écriture-Sainte, cette source inépuisable de l'éloquence sacrée. Aussi avait-il le don de ces textes heureux qui sont comme ces essences dont il ne faut qu'une goutte pour parfumer tout un vase. On peut s'en convaincre en lisant les trois oraisons funèbres qu'il a publiées et dont l'une, celle de Louis XVIII, eut deux éditions 2.

En 1828, M. Audrain fut nommé curé de la cathédrale de Nantes. Il n'avait que trente-sept ans. La première pensée de ce choix était venue à M. l'abbé Angebault, aujourd'hui évêque d'Angers. Si c'est toujours un honneur d'être distingué par ses supérieurs hiérarchiques, n'en est-ce pas un plus grand encore d'être désigné à leur choix par ceux qui sont de votre âge, qui marchent à côté de vous dans la même carrière, qui vous ont vu tous les jours, dans le laisseraller de la vie avec ses bons instants et ses instants moins bons, à qui rien n'a été caché, même ce qu'on cache à ses maîtres? et lorsque ceux qui désignent ainsi sont destinés à être un jour d'éminents prélats, l'honneur n'est-il pas complet? Ce n'est pas la seule fois, au reste, que l'abbé Audrain a éveillé, en dehors même de ses relations habituelles, de ces hautes estimes. Il ne lui fallut que quelques voyages en Bretagne, pour gagner la vive affection de l'abbé

1 La supérieure d'un couvent de Carmélites rapporte le mot suivant de Mgr de Guérines Tout ce que prêche ou écrit M. le curé de Saint-Pierre est juste, excellent, et jamais il n'y a un mot inutile dans ses instructions.

-

de M. le

2 Oraison funèbre de Louis XVIII, prononcée à la cathédrale, en 1824; marquis Armand de la Bretesche, en l'église de Torfou, en 1839; — et de M. le marquis Philippe de la Bretesche, en la même église, le 1" décembre 1859.

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Epivent, curé de Saint-Brieuc, aujourd'hui évêque d'Aire, affection qui s'est produite récemment d'une manière touchante, lorsqu'on a vu le vénérable évêque accourir du fond des landes de Gascogne dire un dernier adieu à son ami.

pour

Je n'ai point à parler ici du ministère pastoral de M. l'abbé Audrain. Un prêtre comme M. l'abbé Fournier ne laisse, à cet égard, rien à dire. On ne peut que répéter ses paroles si justes, si vives, si senties. Travail persévérant et qui devançait le jour; enseignement exact, fort, méthodique et soutenu; conseils pleins dè sagesse, frappant droit au but; don de discerner les esprits et d'en toucher les secrets ressorts; prudente et ferme direction; dévouement aux soins et aux intérêts des pauvres 1; devoir que l'abbé Audrain s'imposait d'accompagner leur humble convoi; fondations pieuses et charitables; éloignement de tous dangereux compromis, de toutes petitesses; admirable caractère composé d'élévation, de droiture, de simplicité et de vigueur : rien n'a été omis par son biographe ; tout est rendu d'un trait, qui part du jugement le plus élevé et le plus pénétrant. Il visait droit à Dieu et à la pure vertu, dit encore M. l'abbé Fournier, « et cette magnifique constitution morale, il la communiqua aux enfants de sa direction; il l'inspirait à ce qui l'approchait et l'entourait. >>

M. Fournier ajoute un dernier mot qui dit tout : touché de la ferveur de M. Audrain à l'autel. »

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« J'étais

Qu'on me per

mette ici un souvenir. Il y a quinze ans, un brillant officier, mort depuis à la tête de son régiment, dans la terrible journée de Magenta, demandait à un ami, au moment de quitter la garnison de Nantes pour celle de Montpellier, s'il ne pourrait lui indiquer quelque ecclésiastique dans cette dernière ville. « Non, lui fut-il répondu, mais Dieu lui-même se chargera de l'indication. Regardez bien les prêtres dont vous entendrez la messe, et celui qui vous édifiera le plus sera celui qu'il vous faut. »

1 M. Audrain distribuait en pain et en paiements de loyers, par l'entremise des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, des sommes considérables. Le livre sur lequel étaient inscrits ses pauvres était un carnet couvert en maroquin et à tranches dorées, C'était son livre d'or. (Note communiquée.)

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